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L’espace du préventif

L’espace du préventif cible la temporalité durant laquelle un ensemble d’action est mis en place au vu de limiter les facteurs de risques et l’incidence d’une ou de plusieurs pathologies. Les pathologies cancéreuses s’inscrivent dans cet espace puisque divers facteurs de risques sont directement incriminés comme étant à l’origine des cancers. Le caractère « évitable » de ces facteurs de risque va nous amener à nous intéresser aux comportements de vie, et plus précisément aux comportements alimentaires.

1.1 Les cancers dits « évitables »

D’après les statistiques de l’Insee, depuis 2004, les cancers représentent la première cause de mortalité en France, hommes et femmes confondus. Avant cette date, les maladies de l’appareil circulatoire siégeaient au premier rang. Les cancers représentent la première cause de décès chez les hommes et la seconde chez les femmes (après les maladies de l’appareil circulatoire), et restent la principale cause de décès pour les personnes âgées de 65 à 84 ans. Dès les années 1980 l’épidémiologie commence à s’intéresser aux différents facteurs de risques des cancers (Doll et Peto, 1981). Rapidement, les modes de vie sont incriminés et deviennent un levier dans la lutte contre le cancer (Hubert, 2004). Parmi eux, la consommation de tabac, d’alcool, l’alimentation, la pollution environnementale, l’environnement professionnel, les pratiques sexuelles, la sédentarité. L’attribution de ces causalités engendre un fait non discutable : les cancers sont en majorité évitables. Selon l’OMS, au moins un tiers des cancers sont évitables. Le Plan Cancer 2014-2019 précise que sur les 148 000 décès32 par cancer chaque année en France, 30 % (soit 44 000) sont liés au tabac, 10 % (soit 15 000) à l’alcool, 1,6 % (soit 2 300) au surpoids et à l’obésité, 0,7 % (soit 1000) à l’exposition solaire et 0,5 % (soit 700) à l’infection par papillomavirus. Autrement dit, environ 40 % des décès par cancer en France seraient évitables. Le rapport « Les causes du cancer en France »33 (Autier et al., 2007), basé spécifiquement sur des

32 Dont 85 000 hommes et 63 000 femmes.

33 Ce rapport est présenté par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), l’Académie Nationale de Médecine, l’Académie Nationale des Sciences, la Fédération Nationale des Centres de Lutte

44 méta-analyses ou des jugements de groupes d’experts internationaux, propose trois types de causes : les « causes avérées », les « causes hypothétiques » et les « causes inconnues ». Parmi les « causes avérées », sans grande surprise, le tabac (dont le tabagisme passif chez l’adulte) est en première ligne, suivi de loin par l’alcool et l’exposition professionnelle. Concernant les consommations alimentaires, le rapport précise certes un impact de l’alimentation, mais reste réservé sur l’effet de facteurs nutritionnels tels que les quantités nutritionnelles consommées en calories, mais aussi en fruits, légumes, charcuterie ou viande rouge. Selon les cas, les effets n’ont pas été confirmés, n’ont qu’un risque modéré dans la survenue d’un cancer, ou n’ont été constatés que sur le modèle animal. De plus, les conclusions fiables restent délicates puisque les collectes de données sont exclusivement réalisées chez des individus adultes et qu’elles omettent des informations relatives à l’alimentation gestationnelle et au cours de l’enfance pouvant avoir un impact sur la survenue d’un cancer à l’âge adulte. Parmi les autres causes avérées nous retrouvons les traitements hormonaux de la ménopause chez la femme et l’exposition solaire. Concernant la pollution de l’eau, de l’air, des sols et des aliments ce rapport reste fortement en retrait, ce qui lui vaudra plusieurs critiques (Salines et al. 2007 ; Afsset, 2009). Il rend compte d’un très faible impact des polluants sur l’incidence des cancers en France et conclut qu’il est nécessaire de continuer les recherches dans ce domaine. Les causes présentées comme étant « hypothétiques » font généralement suite à divers biais méthodologiques relevés dans les études ou bien à la complexité de la quantification même de l’effet de l’agent polluant (comme par exemple l’arsenic dans l’eau). Nous retrouvons ici la proximité des habitats de sources de pollution (industrielles, dépôts de déchets, incinérateurs), les dioxines, les rayonnements non ionisants autres que les UV, les téléphones portables, les antennes de téléphonie mobile. Les « causes inconnues » relèvent des facteurs sous évalués ou bien ne pouvant pas être mesurés tels que les infections, la nutrition, les facteurs épigénétiques ou génétiques, la non intervention de facteurs exogènes, l’interaction de certains cancérogènes entre eux.

conte le Cancer (FNCLCC) et a obtenu le soutien de l’Institut National du Cancer (INCa) et de l’Institut de Veille Sanitaire (InVS).

45 Les conclusions de ce rapport susciteront de nombreuses critiques, mais elles restent claires : « ce rapport confirme l’extrême importance de quelques facteurs liés aux comportements individuels contre lesquels la prévention peut être très efficace » (p. 6). L’investissement dans la prévention est une des grandes mesures du Plan Cancer 2014-2019 et devient une « stratégie nationale de santé ». Elle a pour principal objectif de diminuer de moitié le nombre de décès par cancer dits évitables. La première intention reste la lutte contre le tabagisme avec la création du Programme national de réduction du tabagisme ayant comme principal objectif d’éviter l’entrée dans le tabagisme notamment chez les jeunes et de favoriser l’arrêt du tabac pour toute la population. La prévention se concentre ensuite sur la réduction de la consommation d’alcool, la promotion de l’activité physique et de l’alimentation équilibrée.

1.2 L’alimentation parmi les déterminants du cancer

La connexion entre nutrition et cancer a pris une dimension institutionnelle en 1982 avec la World Cancer Research Fund (WCRF) et l’American Institute for Cancer Research (AICR) au travers d’actions de recherches visant à identifier les facteurs de risque de la maladie. Ils ont permis la mise en place de programmes d’éducation centrés sur les styles de vie. Plusieurs organismes nationaux34 se sont penchés sur cette thématique Alimentation-Cancer avec pour objectif de promouvoir une alimentation susceptible de lutter contre la survenue de cancers dits évitables, c’est-à-dire en lien direct ou indirect avec les modes de vie des individus (Doll, Peto, 1981). Une expertise collective coordonnée par l’INCa et le réseau NACRe (Réseau national Alimentation Cancer Recherche), et étant basée sur le rapport publié en 2007 par la WCRF et l’AICR, actualisé en septembre 2015 (cf. Annexe 2), détermine la corrélation entre dix facteurs nutritionnels pertinents dans le contexte français et le risque de survenue d’un cancer (INCa, 2015). A des niveaux de preuves convaincants ou probables, cinq facteurs sont identifiés comme étant des facteurs de risque et cinq autres comme étant des facteurs protecteurs. Ainsi les boissons alcoolisées, le surpoids et l’obésité, les viandes rouges et les charcuteries, le sel et

34 L’Institut National du Cancer (INCa), le Réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe), l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (Inpes), l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l‘alimentation de l'environnement et du travail (ANSES), etc.

46 les aliments salés et les compléments alimentaires à base de bêta-carotène à forte dose (notamment pour les fumeurs et les personnes exposées à l’amiante), sont identifiés comme étant des facteurs de risque. Alors que l’activité physique, les fruits et les légumes, les fibres alimentaires, les produits laitiers et l’allaitement sont désignés comme étant des facteurs protecteurs.

L’identification de ces dix facteurs nutritionnels vient confirmer les recommandations préventives de santé publique notamment définies dans le Plan-cancer 2014-2019 et repris au sens large dans le PNNS :

- diminuer la consommation des boissons alcoolisées ; - privilégier une alimentation équilibrée et diversifiée ; - pratiquer une activité physique régulière ;

- privilégier l’allaitement.

Ces recommandations rendent compte du processus de médicalisation de l’alimentation. Certains comportements alimentaires se retrouvent ainsi valorisés, alors que d’autres seront diabolisés et stigmatisés. Comme nous l’exposerons plus loin, les individus connaissent ces messages, mais un décalage encore trop important s’observe entre les connaissances et les pratiques alimentaires (Escalon et al., 2009a). Le dernier Baromètre Cancer publié en 2010 (Beck et Gautier, 2010) précise que 87 % des français interrogés établissent une relation directe entre les comportements alimentaires et la survenue d’un cancer. Cependant, les connaissances relatives sur l’influence des facteurs de risques ou des facteurs protecteurs restent encore floues (Ansellem et al., 2012). Près d’une personne sur cinq ne connaît pas l’influence de l’activité physique, de la consommation de fruits et légumes et de la surcharge pondérale, elles sont près d’une sur deux à ne pas connaître l’incidence de la consommation de charcuterie, de sel ou d’aliments salés et de viande rouge sur la survenue d’un cancer. De même près d’une femme sur deux ne connaît pas le caractère protecteur de l’allaitement sur le cancer sein. Il est important de noter ici que le sexe n’est pas un déterminant de la perception du rôle de l’alimentation sur l’incidence de cancer. Par contre, l’âge, les connaissances nutritionnelles, le niveau de diplôme et de revenu y sont directement corrélés. Ce rapport montre que les messages diffusés sur le cancer et

47 l’alimentation manquent de clarté, et vient confirmer les conclusions du Baromètre Santé Nutrition de 2008 (Escalon et al., 2009b) relatives au cancer35. Cependant, même si les individus ne connaissent pas concrètement les relations « scientifiques » entre certains comportements et la survenue de certains cancers, ces recommandations restent fortement proches des recommandations largement diffusées par le PNNS prônant l’équilibre et la variété alimentaire.

Les mises à jour des rapports de santé publique montrent bien l’incidence des modes de vie, dont les pratiques alimentaires, dans la survenue des cancers. Ces informations fortement médiatisées marquent les questionnements relatifs aux risques engendrés par notre alimentation pour notre santé. Bien que l’alimentation soit seulement associée à l’incidence de 1,6 % des cancers en France, la pression des pouvoirs publics via les campagnes de préventions marque les représentations de la population et accentue la médiatisation de ce phénomène. Les dernières mises à jour du rapport de la WCRF et de l’AICR concernant l’impact de la consommation de viande et de charcuterie sur l’incidence des cancers colorectaux ont suscité, en France, de nombreuses retombées médiatiques au cours du mois d’octobre 2015, alors que ces données étaient connues depuis 200736 et avaient été actualisées en 2011 (cf. Annexe 2). Il en est de même pour l’obésité et le surpoids. Le rapport publié en 2007 montrait, à un niveau de preuve convaincant, que l’obésité et le surpoids étaient des facteurs de risques pour les cancers de l’œsophage, du pancréas, du colon-rectum, du sein post-ménopausal, de l’endomètre et du rein. Les mises à jour du rapport de 2015 confirment ces données37 et montrent seulement une nouvelle association, avec un niveau de preuve convaincant, pour les cancers de l’estomac. La consommation de viande rouge et de charcuterie, l’obésité et le surpoids sont donc, pour certains cancers, directement identifiés comme facteur de risque. Ces données, axées sur les seuls facteurs de risques nutritionnels de l’alimentation, semblent complètement délaisser les risques toxicologiques de notre alimentation sur notre santé.

35 Les individus interrogés identifient l’importance de l’alimentation dans la survenue d’un cancer en dernière position après l’obésité, les maladies cardio-vasculaires, le diabète et l’ostéoporose.

36

Le rapport de la WCRF et de l’AICR publié en 2007 identifié déjà la consommation de viande rouge et de charcuterie comme facteur ayant une incidence sur la survenue des cancers à un niveau de preuve convainquant.

37 Ces données avaient été actualisées en 2012 pour les cancers du pancréas, en 2011 pour les cancers du colon-rectum, en 2010 pour les cancers du sein posménopausal et en 2013 pour les cancers de l’endomètre. Elles sont été actualisées en 2015 pour les cancers du rein.

48 Bien que l’exposition professionnelle aux produits phytosanitaires soit aujourd’hui identifiée comme un potentiel facteur de risque pour les cancers de la prostate, les cancers hématopoïétiques et les cancers de l’enfant (exposition professionnelle en période prénatale) et auraient une incidence faible pour les cancers du testicule, les tumeurs du cerveau et la maladie de Hodgking, l’expertise collective semble délicate et profondément bercée par la controverse. De plus, cette expertise se focalise sur l’exposition professionnelle et semble totalement délaisser l’incidence de la consommation de certains produits phytosanitaire, ou autres composants fortement présents dans notre alimentation quotidienne comme les additifs alimentaires. Bien que l’information soit peu précise et surtout peu présente, les risques toxicologiques de notre alimentation sur notre santé suscitent de nombreux questionnements chez les mangeurs et s’observent notamment dans la montée des restructurations des régimes alimentaires valorisant l’alimentation « bio » et saine (Escalon et al., 2009b).