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Pourquoi s’intéresser à l’expérience alimentaire des malades atteints d’un cancer ?

Le diagnostic d’un cancer et le suivi des traitements lui étant associés engendrent des perturbations alimentaires. Perte d’appétit, nausées, vomissements, troubles digestifs, perturbations sensorielles, fatigue, viennent perturber les habitudes alimentaires des personnes atteintes. Une association directe entre ces perturbations alimentaires et les pertes de poids observées chez les malades, directement associées à leur pronostic vital (Ravasco et al., 2004 ; Senesse et al., 2012), fait consensus dans le monde scientifique (WCRF, AICR, 2007 ; Meuric et Besnard, 2012 ; Sennesse et al., 2012). Une des populations les plus touchées par ce phénomène de perte de poids reste les personnes atteintes d’un cancer bronchique (Hébuterne et al., 2013). S’inscrivant directement dans les réflexions entreprises par le monde biomédical sur la perte de poids des personnes atteintes (Senesse et al., 2012), ce travail de thèse se propose d’étudier la réorganisation du rapport à

19 l’alimentation des personnes atteintes d’un cancer bronchique et traitées par chimiothérapie. En s’intéressant à l’expertise même des malades, nous souhaitons rendre compte des stratégies d’adaptation alimentaires mises en place par ces derniers et/ou par leurs proches, pour pallier les perturbations alimentaires chimio-induites. La définition de cette recherche s’est construite au travers de quatre enjeux. Les premiers relatifs à la santé publique marquent l’importance sanitaire et économique de notre recherche portant exclusivement sur les cancers bronchiques. Les deuxièmes, d’ordres scientifiques, repositionnent le fait alimentaire dans sa dimension thérapeutique en questionnant directement le concept même d’éducation thérapeutique dans une situation d’urgence médicale et vitale. Les troisièmes, d’ordres sociaux, ont pour objectif de donner de l’importance à l’expertise des malades et de leurs proches dans la définition du sens accordé à l’alimentation dans la lutte contre le cancer et des stratégies d’adaptation alimentaires mises en place par ces derniers. Et enfin les quatrièmes, que nous qualifions d’interdisciplinaires, marquent les confrontations disciplinaires imposées par une telle recherche engendrant des articulations théorique et méthodologique.

1.1. Les enjeux de santé publique

D’après l’Agence Internationale de Recherche contre le Cancer (IARC) (Globocan, 2012), en 2012, un cancer a été décelé chez 14,1 millions de personnes dans le monde, a causé 8,2 millions de décès, et 32,6 millions de personnes avaient eu un diagnostic de cancer au cours des cinq dernières années. Les cancers les plus diagnostiqués dans le monde et pour les deux sexes sont respectivement les cancers bronchiques, les cancers du sein et les cancers colorectaux17. Concernant la mortalité par cancer dans le monde et toujours pour les deux sexes, les cancers bronchiques sont de loin la première cause de décès par cancer, suivi par les cancers du foie et de l’estomac18. En outre, les cancers restent la première cause de décès dans le monde, et les cancers bronchiques sont classés dans le « top 10 »

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En 2012, l’incidence est de 1 824 701 pour les cancers bronchiques (soit 13 % du total), de 1 671 149 personnes pour les cancers du sein (soit 11,9 % du total) et de 1 360 602 personnes pour les cancers colorectaux (soit 9,7 % du total).

18 En 2012, 1 589 925 personnes sont décédées suite à un cancer bronchique (soit 19,4 % du total), 745 533 suite à un cancer du foie (soit 9,1 % du total), et 723 073 suite à un cancer de l’estomac (soit 8,8 % du total).

20 des principales causes de mortalité dans le monde par l’OMS19 après les cardiopathies ischémiques, les accidents vasculaires cérébraux (AVC), les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO) et les infections des voies respiratoires inférieures. En bref, les cancers font partie des pathologies chroniques dont les préoccupations de santé publique sont grandissantes, du fait tout d’abord de leur taux d’incidence et de mortalité, mais aussi du fait de leurs facteurs de risques. En effet, toujours selon l’OMS, au moins un tiers des cancers sont évitables. Le Plan Cancer 2014-2019 précise que sur les 148 000 décès20 par cancer chaque année en France 30 % (soit 44 000) sont liés au tabac, 10 % (soit 15 000) à l’alcool, 1,6 % (soit 2 300) au surpoids et à l’obésité, 0,7 % (soit 1000) à l’exposition solaire et 0,5 % (soit 700) à l’infection par papillomavirus. Autrement dit, environ 40 % des décès par cancer en France seraient évitables. Cette identification des causes évitables vient automatiquement se coupler au coût des prises en charge des personnes atteintes de cancer. En 2009, la prise en charge des cancers s’est élevée pour les 27 pays membres de l’Union Européenne à 126 milliards d’euros dont 17 milliards pour la France (soit 0,9 % du PIB) (Luengo-Fernandez et al., 2013). Au vu de ces chiffres et conclusions, les enjeux de santé publique de notre recherche semblent fortement évidents : les comportements de vie, dont les pratiques alimentaires sont directement corrélées à l’incidence et à la mortalité par cancer qui engendre des coûts exorbitants pour les pouvoirs publics. Or, notre objet de recherche n’est pas construit dans l’espace du préventif mais bien dans celui du thérapeutique. Du fait de sa forte incidence, les cancers bronchiques restent les plus coûteux mais surtout, bien que les avancées de leurs prises en charge permettent aujourd’hui de constater une augmentation notable de l’espérance de vie des personnes atteintes, cette dernière reste relativement faible. Souvent diagnostiqué à des stades relativement avancés, sur la période 2005-2010 en France métropolitaine la survie à 5 ans des personnes diagnostiquées était de 16 % chez les hommes et de 20 % chez les femmes. Cette survie diminue avec l’âge en passant de 25 % à 5 ans chez les malades les plus jeunes à 10 % pour les malades les plus âgés (Delafosse et al., 2016). Les cancers bronchiques sont classés en cinquième position des cancers dont l’espérance de vie est la

19 Organisation Mondiale de la Santé : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs310/fr/ (consulté le 15/12/2015)

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21 plus faible à 10 ans21, et reste la première cause de mortalité chez les hommes âgés entre 45 et 64 ans en France en 2011 (HAS, 2013). Notre recherche s’inscrit dans cette dimension relative à l’espérance de vie. Certes, nous n’avons aucunement l’ambition d’accroitre l’espérance de vie par l’alimentation, mais nous pouvons contribuer à améliorer la qualité de vie de ces malades, se dégradant rapidement. La perte de poids est un marqueur de complication de la prise en charge médicale et est directement associée aux complications postopératoires, aux toxicités des traitements médicaux, à la survie et à la qualité de vie des personnes atteintes (Senesse et Vasson, 2012). Il est donc opportun de comprendre les mécanismes de la décision alimentaire au cours des traitements anticancéreux, en les resituant dans un contexte global de prise en charge médicale. C’est cet élément qui vient définir les enjeux scientifiques de notre recherche.

1.2. Les enjeux scientifiques

Le rôle des facteurs nutritionnels (alimentation et activité physique) comme facteurs protecteurs ou de risque des cancers est de mieux en mieux connu (WCRF et AICR, 2007). Des recommandations de prévention primaire sont ainsi transmises à la population générale par les instances de santé publique, via notamment le PNNS22 en France. Au stade de la maladie déclarée, les avancées de la médecine en matière de prise en charge des effets secondaires, et notamment des nausées, vomissements et diarrhées, ont permis une prise de conscience des perturbations alimentaires telles que les pertes d’appétit et les perturbations sensorielles. L’intérêt pour la nutrition et l’alimentation pendant la prise en charge de la maladie, lors des phases de rémission et de récidive fait consensus. Pour autant, les études et expertises portant sur ce sujet (WCRF et AICR, 2007) sont encore peu nombreuses et aucune mesure de santé publique n’est à ce jour proposée aux malades. La « recommandation spécifique numéro 2 » destinée aux personnes atteintes d’un cancer du

21 Pour les hommes, l’espérance de vie à 10 ans est de 1 % pour les mésotheliomes de la plèvre, 4 % pour les cancers du foie, 4 % pour les cancers du pancréas, 7 % pour les cancers de l’œsophage et 9 % pour les cancers bronchiques. Pour les femmes, l’espérance de vie à 10 ans est de 5 % pour les cancers du pancréas, 6 % pour les cancers du foie, 6 % pour les mésothéliomes de la plèvre, 9 % pour les cancers de l’œsophage et 12 % pour les cancers bronchiques.

22 Le PNNS est le Plan National Nutrition Santé mis en place par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments en 2001 en France. Il a pour principal objectif d’améliorer l’état de santé de l’ensemble de la population en agissant sur tant sur l’alimentation que sur l’activité physique et sportive.

22 rapport de la WCRF et de la AICR de 200723 précise certes que les personnes diagnostiquées d’un cancer doivent bénéficier de conseils diététiques délivrés par des professionnels spécialisés, mais aucune recommandation n’est proposée. De plus, ce rapport tend à supposer que la prise en charge diététique pendant la maladie doit se

« référer aux recommandations nutritionnelles préventives » (sauf contre-indications

médicales) où le risque de récidive, de développement d’un nouveau cancer primitif ou d’autres pathologies chroniques reste la principale crainte. Ces recommandations nutritionnelles définies pour la population générale en prévention primaire, et ayant comme principal objectif de prévenir l’excédent alimentaire et la sédentarité, sont-elles adaptées après le diagnostic d’un cancer ? Des groupes d’experts questionnent la pertinence ces recommandations proposées par les instances de santé publique, et commencent à définir des recommandations de « bonnes pratiques » de prise en charge diététique des malades cancéreux, en mettant notamment l’accent sur les problémes de perte de poids. Les plus récentes, en France, ont été publiées dans la revue Nutrition clinique et métabolisme en décembre 2012. Ce numéro spécial intitulé « Nutrition chez le patient adulte atteint de cancer » présente des recommandations de prise en charge de la perte de poids et de la dénutrition depuis le dépistage jusqu’au stade palliatif avancé en exposant les indications et les différentes formes de supports nutritionnels de prise en charge. Cependant, comme nous le verrons plus loin, l’application de ces recommandations dépend fortement de l’affectation d’un/e diététicien/ne24 dans les services de cancérologie et de la légitimité accordée par le personnel soignant (au sens large) à l’intérêt d’une prise en charge diététique, et d’autant plus quand celle-ci est orientée vers la prévention à la prise en charge de la perte de poids. Dans le contexte de médicalisation de l’alimentation diabolisant le surpoids et la sédentarité, la prise en charge de la perte de poids des malades reste tardive et fait émerger des questionnements sur les seuils et définitions mêmes de

23 Le rapport de la World Cancer Research Fund (WCRF) et l’Association for International Cancer Research (AICR), intitulé « Food, Nutrition, Physical Activity, and the Prevention of Cancer : a Global Perspective », publié en novembre 2007, et mis à jour régulièrement, propose une évaluation des niveaux de preuves des relations entre la nutrition et le risque de cancers.

24 Nous parlerons au cours de ce travail exclusivement des diététiciens/nes et non de nutritionniste. La principale raison reste que les diététiciens/nes sont les personnels prenant en charge les personnes atteintes de cancer dans les services de cancérologie. Au cours de nos différents terrains nous avons exclusivement rencontrés des diététiciens/nes.

23 l’état de dénutrition25 (Hébuterne, 2015). Cependant, malgré les divers investissements des équipes médicales et suggestions de certains des groupes de recherche travaillant sur cette thématique, les politiques publiques françaises semblent encore délaisser la prise en charge diététique des malades. Sur 180 actions de préventions primaires, secondaires et tertiaires proposées dans le Plan Cancer 2014-2019, seulement 13 abordent le phénomène alimentaire, dont 7 portent sur la prévention primaire. Alors que le Plan Cancer 2009-2013 semblait s’investir dans une démarche plus active de la prise en charge diététique des malades, les actions définies dans ce nouveau Plan Cancer restent insatisfaisantes pour les acteurs du domaine. Dans ce contexte, les enjeux scientifiques de notre recherche sont la légitimation de la prise en charge diététique des personnes atteintes de cancer, et d’autant plus lorsque ces derniers sont à fort risque de perte de poids et de dénutrition. S’intéresser aux cancers bronchiques prend ici tout son intérêt puisque les risques de perte de poids et de dénutrition y sont relativement importants (Hébuterne et al., 2013 ; Kiss et al., 2013 ; Sood et Jatoi, 2010 ; Dewys et al., 1980).

Deux lignes de progrès apparaissent : la première relève de la nutrition en s’intéressant aux modifications qualitatives et quantitatives de la prise alimentaire ; la seconde tente d’intégrer la prise en compte des impacts psychosociaux engendrés par le diagnostic et les traitements anticancéreux. En s’interrant aux dimensions culturelles et sociales de l’alimentation, les sciences humaines et sociales peuvent ici apporter leur contribution en montrant la nécessité de prendre en compte les répercussions tant qualitatives et quantitatives que psychosociales engendrées par le diagnostic du cancer et les traitements lui étant associés, sur les représentations et pratiques alimentaires des malades. Ceci vient directement questionner l’organisation et la redéfinition des objectifs de la prise en charge diététique des personnes atteintes de cancer, tant d’un point de vue organisationnel que thérapeutiques. En effet, nous verrons au cours de ce travail que la prise en charge diététique des malades est bien souvent secondaire et qu’elle reste fortement focalisée sur la dimension nutritionnelle de l’acte alimentaire. De plus, la situation d’urgence vitale imputable aux cancers bronchiques engendre un manque de recul et de connaissance sur les pratiques et ressentis alimentaires des malades. Bien que quelques « trucs

25 L’état de dénutrition correspond à une perte de poids de 10 % par rapport au poids de forme, c’est-à-dire au poids habituel, dans les six mois. Ou à une perte de poids de 5 % dans le mois chez l’adulte.

24 alimentaires » (Lorcy, 2014), directement issus de l’expérience des personnes atteintes soient transmis par les personnels soignants, ils restent encore trop généralisables aux différents types de cancers et ne questionnent aucunement les dimensions psychosociales gravitant autour de l’acte alimentaire. Au cours de nos différents terrains, nous avons bien souvent été confrontés à des personnels soignants qui, n’ayant pas les réponses suffisantes aux mal-êtres des malades, délaissaient le problème. Certains s’opposant même à notre présence par crainte que notre recherche engendre des questionnements chez les malades ! La réflexion que nous entamons ici a pour ambition de donner un nouveau souffle à l’approche du fait alimentaire au cours de la pathologie cancéreuse. Les enjeux scientifiques de notre recherche sont ainsi multiples. En touchant les sciences biomédicales, les sciences de la nutrition, les sciences cognitives et sensorielles et les sciences humaines et sociales, ils tendent tous à contribuer à l’inscription de l’alimentation dans le processus thérapeutique des personnes atteintes d’un cancer tant comme un levier d’action thérapeutique que dans un objectif d’amélioration de la qualité de vie des malades.

1.3. Les enjeux sociaux

Les difficultés alimentaires survenant au cours d’un traitement anticancéreux restructurent le rapport à l’alimentation. Des recherches en nutrition (Sennesse et al., 2012) et en analyse sensorielle (Bernhardon et al., 2008) ainsi qu’en sciences humaines et sociales (Jakubowicz, 2006 ; Bell et al., 2009 ; Locher et al., 2010 ; Mróz et al., 2010 ; Fontas, 2010 ; Cohen et Legrand, 2011 ; Mróz et al., 2011 ; Hoarau et al., 2012 ; Lorcy, 2014 ; Ancellin et al., 2014 ; Mróz et Roberton, 2015 ; Joël et Rubio, 2015) se sont consacrées aux perturbations alimentaires chimio-induites. Comme en témoigne les numéros spéciaux de la revue Anthropologie et Santé intitulé « Anthropologie des soins non conventionnels du cancer » et de la revue Anthropology of Food intitulé « Alimentation et Cancer : La fabrique d’une nouvelle société ? », les sciences humaines et sociales investissent depuis quelques années cette thématique Alimentation-Cancer en focalisant leurs recherches sur trois axes principaux. Le premier s’attache à rendre compte de la construction socio-historique de cette relation Alimentation-Cancer tant d’un point de vue scientifique et politique que profane et culturel. Le deuxième décrit les mécanismes par lesquels les connaissances et les représentations relatives au lien entre l’alimentation et le cancer

25 viennent en quelques sortes restructurer les pratiques et représentations alimentaires de la population générale mais également de son impact sur les multiples acteurs présents dans le monde de l’alimentation (industriel, publicitaire, circuit de production et de distribution, etc.). Et enfin, le troisième axe de recherche s’attache à retracer l’expérience alimentaire des personnes atteintes d’un cancer. Notre recherche se situe dans ce dernier axe, où, par l’analyse des différents temps alimentaires relatifs aux traitements anticancéreux, nous tentons de définir des déterminants sociaux des stratégies d’adaptation alimentaires mises en place par les malades et/ou par leur proche afin de lutter contre le cancer. En d’autres termes, l’étude du rôle donné à l’alimentation au cours des traitements anticancéreux constitue les enjeux sociaux de notre recherche. Nous venons de préciser que les quelques conseils alimentaires transmis aux malades par le personnel soignant découlaient de l’expérience même des malades. La parole de ces derniers est-elle pour autant considérée comme légitime dans l’expertise ? La conception sociale des maladies chroniques montre bien le poids de certains acteurs, dont les associations de malades, tant dans la définition des prises en charge médicales et des politiques publiques que dans la recherche elle-même (Herzlich, 1995). Bien que les Etats généraux organisés par la Ligue Nationale Contre le Cancer (LNCC) en 1998 à Paris proclament l’importance de laisser la parole aux malades et que des fonds sont libérés pour la recherche en sciences humaines et sociales, le monde du cancer semble en retard sur ce point et les difficultés des pratiques pluri et interdisciplinaires restent encore fortement présentes (Hubert, 2004 ; Soum-Pouyalet et al., 2008 ; Ben Soussan et Lulian-Régnier, 2008). Le principal enjeu social de cette recherche reste de légitimer la parole des personnes atteintes afin de constituer une expertise suffisante à la définition d’une prise en charge diététique adaptée aux réels besoins et aux réelles attentes des malades. Ceci élargit le concept même de la relation médecin-malade en donnant un nouveau rôle aux malades cancéreux en France. En mettant le malade au centre même de cette recherche nous espérons rendre perméable la frontière existante entre le monde des experts et le monde des profanes, et de trouver un terrain d’entente entre les sciences de la nature et les sciences humaines et sociales, ce qui constitue le quatrième et dernier enjeu de notre recherche.

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1.4. Les enjeux interdisciplinaires

Mener une recherche sur la réorganisation du rapport à l’alimentation dans le cadre d’une pathologie cancéreuse nécessite d’inscrire notre réflexion dans une dynamique interdisciplinaire. Cette démarche s’inscrit tout d’abord dans le contexte institutionnel de notre travail décrit en « Avant-propos » de la thèse. En se fondant au croisement des sciences biomédicales, des sciences de la nutrition, des sciences cognitives et sensorielles et des sciences humaines et sociales, nous avons appréhendé notre objet de recherche en articulant les approches, concepts, outils d’analyse et d’interprétation de ces différentes disciplines. Ainsi, notre réflexion s’est construite à l’intersection des différentes disciplines des sciences humaines et sociales telles que la sociologie, l’anthropologie, la psychologie et l’ethnologie ; mais aussi des sciences de la nutrition, de la santé publique, de l’épidémiologie, des sciences cognitives et sensorielles, et quelques fois des sciences biomédicales. Puis, la complémentarité et le dialogue entre ces disciplines relève aussi du fait que l’interdisciplinarité reste indispensable à l’étude du fait alimentaire. En effet, l’influence de Morin (1972, 1990) sur le rapprochement et l’articulation des disciplines, a impulsé le développement de la sociologie et de l’anthropologie de l’alimentation dès la fin des années 1970. Des chercheurs francophones tels que Fischler (1979a), de Garine (1979), Hubert (1988, 1992, 2004), Poulain (1985, 2004), et Corbeau (1991, 1997), ont forgé et nourri la nécessité de rendre perméable les frontières entre les disciplines pour appréhender le fait alimentaire comme « un objet à multiples entrées, qu’il faudrait envisager de points de vue multiples : biologique, économique, anthropologique et ethnologique, sociologique et psychosociologique, psychanalytique, psychologique, historique, archéologique, géographique et géopolitique, et ainsi de suite » (Fischler, 1979a : 2)26. Notre travail de thèse s’inscrit donc dans cette double dynamique répondant d’une part au contexte scientifique de la recherche et d’autre part à l’approche même du fait alimentaire par les socio-anthropologues de l’alimentation.

Plus concrètement, la démarche interdisciplinaire entreprise s’est tout d’abord contruite