• Aucun résultat trouvé

Conclusion du Chapitre 3

L’expérience de la pathologie cancéreuse découle, en partie, d’une articulation entre le contexte informationnel dans lequel le malade se retrouve et des formes de causalité envisagées tant par la pensée savante que par la pensée profane. Par son soutien social, le malade percevra une aide non négligeable pour faire face aux contraintes de sa pathologie, mais il acquerra également une connaissance relative au cancer lui permettant de trouver des réponses aux multiples questions qu’il se pose, dont celles relatives à l’origine de sa maladie. Le sens que le malade attribue à son cancer, découle de cette expérience qui, au delà de sa nouvelle situation de malade, s’est forgée au travers d’un ensemble d’interactions marqué par des socialisations particulières de la pathologie cancéreuse. S’intéresser à la réorganisation du rapport à l’alimentation des personnes atteintes de cancer, impose une attention particulière à ces deux éléments qui sont le contexte informationnel et les formes de causalité de la pathologie supposées par le malade. En s’inscrivant comme un levier d’action thérapeutique face à la prise et à la perte de poids des malades, et présente au sein même des causalités dites endogènes et exogènes de la pathologie cancéreuse, l’alimentation peut se voir attribuer un rôle au cours de la maladie et des traitements lui étant associés, c’est-à-dire qu’elle pourra être considérée comme un élément à part entière du processus thérapeutique. Des comportements alimentaires peuvent découler de ce contexte informationnel et de ces formes d’attribution causale. Au delà des théories explicatives de l’observance ou de la non-observance nutritionnelle, ces comportements se construisent dans la propre histoire de vie du malade

.

S’il remet en question ses comportements de vie, le malade peut s’engager dans une attitude réformiste « raisonnable », c’est-à-dire cherchant à éliminer les causes de sa maladie. Le nouveau statut de malade impose une nouvelle forme de vie qui s’inscrit dans une temporalité précise, marquée par cette « perturbation biographique » et par des « trajectoires » définissant un « Avant » et un « Après » le diagnostic du cancer (Herzlich, 1998). Dans ce contexte et face aux incertitudes que laisse supposer une telle maladie, le malade peut déployer différentes logiques d’actions thérapeutiques, notamment favorisées par la médicalisation des sociétés modernes et la multiplication des sources d’informations de vulgarisation médicale. Cependant, face à la multitude de solutions proposées et en fonction de ses modalités de compréhension, le malade peut mettre en œuvre des

113 « stratégies paradoxales » (Fainzang, 1997) pouvant parfois se révéler contreproductives à l’égard du protocole thérapeutique. A l’inverse, dans une attitude plus ou moins fataliste, il peut décider de ne pas modifier ses comportements. Les représentations liant la maladie à la religion ou à l’âge (Albrech et Levy, 1991 ; Ménoret, 2007 [1999]) ainsi que les contraintes d’ordre économiques ou familiales, peuvent être des éléments d’explication.

En se concentrant exclusivement sur la thématique de l’alimentation, cette recherche se propose de rendre compte de la diversité des sources d’informations dont dispose le malade concernant sa pathologie cancéreuse et son alimentation, ainsi que de la place que cette dernière peut avoir dans les formes d’attribution causale de la pathologie cancéreuse. Nous avons vu au cours du Chapitre 1 que le paradigme de la « médecine des preuves » inscrit l’alimentation tant dans l’espace du préventif puisqu’elle est directement identifiée comme un facteur de risque de certains cancers (cf. Annexe 2), que dans l’espace du thérapeutique par rapport aux diverses complications que peuvent engendrer la prise ou la perte de poids des malades. Mais, nous venons de voir au cours de ce chapitre que les malades pouvaient également disposer de sources d’informations s’inscrivant dans un paradigme « biopsychosocial » se référant aux soins de support mais laissant une voie d’entrée et d’acceptabilité aux recours non conventionnels en cancérologie. Nous intéressant aux nouveaux rapports que les malades entretiennent avec leur alimentation dès lors du diagnostic du cancer, il convient d’interroger comment cette dernière s’inscrit dans ces deux types de paradigmes. Ainsi, la place que les mangeurs-malades accorderont à leur alimentation tant dans les modèles étiologiques que thérapeutiques de leur cancer, les amènera à définir des logiques d’actions alimentaires, dont nous supposons que l’objectif principal restera de lutter contre les effets néfastes du cancer et des traitements lui étant associés. Le chapitre qui suit exposera notre problématique de recherche dont la mise en place de stratégies d’adaptation alimentaires des mangeurs-malades pour contrer les perturbations alimentaires engendrées par les traitements anticancéreux, dont la perte de poids, est l’axe central.

115 Une perspective socio-anthropologique du problème de la perte de poids et de la dénutrition des malades cancéreux nous amène à entamer une réflexion sur le processus par lequel les malades donnent un sens à leur alimentation dès le diagnostic de leur cancer. La prise en considération de 1) la légitimité accordée aux informations relatives à l’alimentation et aux cancers ; 2) le contexte social de la conception de la maladie ; et de 3) la construction sociale de la décision alimentaire, nous permet d’envisager une diversité de situations, de pratiques et de comportements alimentaires permettant aux mangeurs-malades de pallier les perturbations alimentaires chimio-induites. Les choix alimentaires des mangeurs-malades se retrouvent tiraillés entre la source d’énergie et de vitalité procurant la santé ou son amélioration, et la source d’intoxication plus ou moins grave qui selon des échelles temporelles, qualitatives et quantitatives peut être la cause potentielle de maladies (Poulain, 2002) et aggraver la maladie déjà présente (Fontas et al, 2014). C’est par l’articulation des trois voies d’entrées précédemment citées, que nous proposons de définir un cadre d’analyse à la réorganisation du rapport à l’alimentation des mangeurs atteints de cancer. Cette analyse permet de mettre en perspective des enjeux de prise en charge diététique des malades cancéreux en se recentrant sur l’expertise même des mangeurs-malades. L’identification du sens donné à l’alimentation par les malades, tant dans son caractère préventif que thérapeutique, au travers de l’information disponible, de l’étiologie faite de la pathologie cancéreuse, des pratiques alimentaires précédant le diagnostic et de la restructuration de l’organisation alimentaire suivant les phases temporelles des séances de chimiothérapie, permet de comprendre les logiques et stratégies d’actions mises en place par les mangeurs-malades (et/ou leurs proches) pour pallier les perturbations alimentaires chimio-induites. L’étude des stratégies d’adaptation alimentaires mises en place par les mangeurs-malades (et/ou leurs proches) pour répondre aux perturbations alimentaires engendrées par les traitements anticancéreux, nous amène à considérer l’acte alimentaire comme un élément du processus thérapeutique. Cette réflexion s’inscrit dans la dynamique des travaux portant sur le travail de gestion des nouvelles conditions de vie engendrées par la maladie chronique. Les perturbations de la pathologie chronique nécessitent des adaptations et