• Aucun résultat trouvé

Conclusion du Chapitre 4

La réorganisation du rapport à l’alimentation au cours d’une pathologie cancéreuse serait ainsi structurée par la mise en place de stratégies d’adaptation alimentaires évoluant dans le temps et construites à l’intersection des modèles étiologique et thérapeutique supposés par les mangeurs-malades de leur pathologie cancéreuse, de leurs connaissances relatives à l’alimentation et au cancer, de leur modèle alimentaire de référence et des trajectoires et temporalités de leur maladie. Nous avons tenté au cours de ce quatrième chapitre d’exposer la réflexion qui nous amène à présenter notre thématique de recherche portant sur la réorganisation du rapport à l’alimentation des mangeurs-malades après le diagnostic du cancer, en recentrant particulièrement notre attention sur les cancers bronchiques. Quatre grandes hypothèses de recherche découlent de cette réflexion. La première questionne les modèles étiologique et thérapeutique du cancer, dans lesquels l’alimentation peut venir s’inscrire. Elle suppose que H.1 : L’étiologie supposée du cancer par les malades influencerait les comportements à l’égard de l’alimentation après le diagnostic du cancer. Après avoir repositionné le fait alimentaire au sein des modèles étiologiques et thérapeutiques de la pathologie cancéreuse, nous avons questionné le cas particulier des cancers bronchiques où l’alimentation serait plus abordée en temps que cause secondaire du cancer, et dans ce cas pourrait amener à des stratégies d’adaptation alimentaires réformistes dès le diagnostic du cancer. Mais, que son exclusion du modèle étiologique du cancer par les mangeurs-malades ne l’exclut pas obligatoirement du modèle thérapeutique mais supposerait une action strictement nutritionnelle du fait alimentaire. La deuxième prend en considération les connaissances Alimentation-Cancer des mangeurs-malades et suppose que H.2 : Les connaissances des mangeurs-malades relatives à l’alimentation et au cancer acquissent avant et après le diagnostic du cancer, façonnent la mise en place de stratégies d’adaptation alimentaires au cours des traitements anticancéreux. La présentation du contexte informationnel relatif à l’alimentation et au cancer, rendant compte du soutien formel et informel, nous a permis de mettre en évidence que les mangeurs-malades disposaient d’une diversité de discours bercée par des contradictions et des controverses. L’appréhension du contexte informationnel dans le cas des cancers bronchiques nous a amené à reconsidérer les déterminants de l’observance des recommandations nutritionnelles ayant pour objectif de contrer la perte de poids et le risque de dénutrition chez les malades. Mais aussi d’intégrer la complémentarité des soins

161 via les recours non-conventionnels chez les mangeurs-malades prenant conscience des incertitudes et contradictions des discours alimentaires et souhaitant s’investir dans leur processus thérapeutique. La troisième hypothèse considère que H.3 : Les effets secondaires des traitements anticancéreux impactent le modèle alimentaire de référence des mangeurs-malades La définition des conséquences des traitements anticancéreux sur les dimensions de l’espace social alimentaire nous a amené à identifier des contraintes nutritionnelles, sensorielles et organisationnelles de l’acte alimentaire. Le repositionnement de ces contraintes alimentaires dans le cas des cancers bronchiques nous a fait nous recentrer sur les perturbations sensorielles chimio-induites et sur l’aide des proches comme principaux éléments déterminant la mise en place des stratégies d’adaptation alimentaires chez les mangeurs-malades. Enfin, la quatrième hypothèse de notre recherche positionne les stratégies d’adaptation alimentaires en fonction des temporalités et des trajectoires du cancer en supposant que H.4 les phases temporelles de la chimiothérapie déterminent la mise en place des stratégies d’adaptation alimentaires. La description des temporalités et des trajectoires de la pathologie cancéreuse nous a amené à entrevoir des structures temporelles marquant l’organisation de la prise en charge diététique des malades, les modèles étiologiques et thérapeutiques supposés par les malades, l’information transmise aux malades et enfin les perturbations chimio-induites. Ainsi, considérées dans le cas des cancers bronchiques, les structures temporelles de ces quatre espaces supposent de s’intéresser à la définition d’une éducation thérapeutique nutritionnelle pour les mangeurs-malades atteints d’un cancer bronchique étant confrontés à un pronostic vital faible et à une forte présence de perturbations chimio-induites, directement mises en relation avec la perte de poids et la diminution de la qualité de vie.

Notre réflexion nous amène à placer l’expertise des malades au centre de la définition des recommandations nutritionnelles et alimentaires transmises aux mangeurs-malades. Donner de l’importance à l’expérience de la pathologie cancéreuse et au vécu alimentaire des mangeurs-malades pourrait être une aide à la compréhension et à la valorisation de certaines stratégies d’adaptation alimentaires mises en place par les mangeurs-malades pour lutter contre leur cancer et les perturbations alimentaires chimio-induites, et serait une voie d’entrée à la définition d’une éducation thérapeutique nutritionnelle.

162 Tableau 1 : Récapitulatif des hypothèses de la recherche

THEMATIQUES HYPOTHESES SOUS-HYPOTHESES

1. Retour sur le modèle étiologique

H.1L’étiologie supposée du cancer par les malades influencerait les comportements à l’égard de l’alimentation après le diagnostic du

cancer

H.1.1 Les malades identifiant l’alimentation comme une cause secondaire de leur

cancer mettront en place des stratégies d’adaptation alimentaires réformistes à destinations de catégories d’aliments et de boissons et/ou de l’adoption d’un régime alimentaire

H.1.2 Les malades n’identifiant pas l’alimentation comme une cause de leur cancer,

s’en remettront aux recommandations nutritionnelles délivrées par le personnel soignant, et ne percevront l’action thérapeutique de l’alimentation que par sa dimension nutritionnelle

2. Interroger les connaissances Alimentation-Cancer

H.2 Les connaissances des mangeurs-malades relatives à l’alimentation et au

cancer acquissent avant et après le diagnostic du cancer, façonnent la mise

en place de stratégies d’adaptation alimentaires au cours des traitements

anticancéreux

H.2.1 L’observance des recommandations nutritionnelles ayant pour objectif de contrer

la perte de poids et l’état de dénutrition est socialement et médicalement déterminée

H.2.2 Les mangeurs-malades conscients des incertitudes et contradictions des discours

alimentaires et souhaitant s’investir dans leur processus thérapeutique, se dirigeront plus facilement vers des recours non conventionnels pouvant accorder plus de cohérence à leur perception de la maladie et ayant un discours plus susceptible de répondre à leurs attentes

3. Considérer le modèle alimentaire de référence

H.3 Les effets secondaires des traitements anticancéreux impactent le

modèle alimentaire de référence des mangeurs-malades

H.3.1 Les contraintes sensorielles induites par les traitements anticancéreux sont un

déterminant des stratégies d’adaptation alimentaires mises en place par les mangeurs-malades

H.3.2 Le soutien des proches est une aide à la mise en place de stratégies d’adaptation

alimentaires au vue d’améliorer le confort à s’alimenter des mangeurs-malades.

4. Ne pas oublier l’expérience du cancer

H.4 Les phases temporelles de la

chimiothérapie déterminent la mise en place des stratégies d’adaptation

163 Cette première partie s’est consacrée à la présentation de la contextualisation, du cadrage théorique et de la problématisation de notre recherche.

La contextualisation des problèmes alimentaires en cancérologie, présentée au cours du Chapitre 1, a contribué à exposer les enjeux de la prise en charge de la perte de poids Directement mise en relation avec le pronostic vital et la qualité de vie des malades, la perte de poids est aujourd’hui le principal objectif de la prise en charge diététique des malades en cancérologie, et d’autant plus chez les personnes atteintes d’un cancer bronchique fortement affectés par des perturbations alimentaires chimio-induites. Nous avons ainsi questionné la faisabilité de la mise en application des recommandations nutritionnelles instruites par les politiques de santé publique et les groupes d’experts dans la réalité des prises en charge des malades. Le manque d’évaluation des actions menées au sein des services de prise en charge des malades, l’affectation non systématique du diététicien dans les services de cancérologie, la réduction de son rôle à l’évaluation rapide et souvent non adaptée de l’état nutritionnel du malade et la souvent trop faible légitimité accordée à la prise en charge diététique par les personnels soignants en cancérologie, ont été identifiés comme les principaux freins à la prise en charge diététique adaptée et pérenne des malades cancéreux. Ce premier chapitre nous a permis d’entrevoir la situation complexe, pour ne pas dire critique, de la prise en charge diététique des malades cancéreux et surtout de constater qu’un manque d’articulation entre les conceptions médicales et les conceptions sociales tant de la maladie que de l’acte alimentaire, était fortement présent.

Le Chapitre 2 et le Chapitre 3 ont ainsi exploré les conceptions sociales de l’acte alimentaire et de la maladie. Notre cadrage théorique articule les approches en socio-anthropologique de l’alimentation et de la santé. L’appréhension de l’acte alimentaire en tant que fait social total nous a amené à décrire les mécanismes de la décision alimentaire façonnés par des contraintes biologiques, par un certain déterminisme social et culturel, et par un espace laissé libre au mangeur. Nous intéressant aux mécanismes de la décision alimentaire dans un contexte pathologique nous avons appréhendé par la suite la relation établie entre l’alimentation et la santé dans notre société. La contextualisation par le