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L’espace du thérapeutique

Les avancées considérables des sciences biomédicales dans la prise en charge des cancers mais aussi des effets secondaires occasionnés par les traitements anticancéreux, ont engendré une prise de conscience, tant par le personnel soignant que par les malades, des perturbations alimentaires telles que les pertes d’appétit et les perturbations sensorielles. Suite aux nombreux retours des malades, le monde de la cancérologie s’interroge. Alors que les plaintes des malades étaient principalement axées sur des troubles bien ou mieux connus tels que les nausées, les vomissements et les troubles digestifs, depuis quelques années ces derniers parlent de « goûts bizarres », d’odeurs qui « dérangent », de perte d’appétit, de non-envie de manger, de perte de plaisir et de repères alimentaires. Une association directe entre ces « perturbations alimentaires » et les pertes de poids observées chez les malades, étant fortement problématique pour le bon déroulement des traitements, fait consensus dans le monde scientifique. Divers travaux (WCRF, AICR, 2007 ; Senesse et al., 2012) ont identifié l’influence des conseils nutritionnels et d’activité physique sur la qualité de vie des malades, des effets de régimes ou d’apport en nutriments particuliers, de l’adaptation des conseils aux besoins et aux goûts des malades et enfin des modalités de la prise en charge diététique sur les taux de mortalité de malades du cancer et de l’espérance

49 de vie. Suivant les types de cancers, l’organe touché et le type de traitement administré, les contraintes alimentaires n’auront par les mêmes objectifs et s’étireront de la restriction à l’augmentation calorique. Outre la nature même des régimes proposés, la prise en charge diététique des personnes atteintes notamment de cancer ORL sera centrée sur l’éducation thérapeutique, dont le principal objectif est d’aider le malade à réapprendre à s’alimenter d’un point de vue mécanique. Deux lignes directrices ressortent : les recommandations nutritionnelles s’orientent vers la prévention et la prise en charge soit de la prise de poids, soit de la perte de poids des malades. Dans les deux cas, les variations de poids constatées sont directement mises en relation avec le pronostic vital du malade.

2.1 Le problème de la prise de poids

La prise de poids est principalement observée chez les malades souffrant de cancer gynécologique, et notamment d’un cancer du sein. Elle génère de réelles préoccupations puisqu’elle est directement associée au pronostic vital du malade (Demark-Whanefried et al., 2001 ; Kim et al., 2013 ; Azrad et Demark-Whanefried, 2014). Le principal problème reste le fait que la prise de poids est associée aux risques de récidives et de mortalité, et impacte directement la qualité de vie des malades (Azrad et Demark-Wahnefried, 2014).

Les traitements par chimiothérapie adjuvante et hormonothérapie sont les principaux facteurs mis en cause dans cette prise de poids. D’autres facteurs médicaux, socio-démographiques et de modes de vie sont également identifiés comme étant des facteurs de risques. Ainsi, le stade du cancer, la durée des traitements, l’âge, la période de pré-ménopause, la diminution de l’activité physique, l’augmentation des apports énergétiques, l’obésité ou le surpoids au moment du diagnostic, la consommation de tabac et d’alcool, sont des facteurs influençant la prise de poids des malades après le diagnostic (Kim et al., 2013). Pour faire face à ce problème, des programmes d’éducation thérapeutique sont mis en place pour aider les malades à limiter cette prise de poids. Ces programmes de prise en charge individuelle et/ou collective mixent conseils alimentaires et d’activité physique, dont les effets bénéfiques ont été démontrés sur le maintien du poids, la diminution de la fatigue et l’amélioration de la qualité de vie des malades (Chleboowki et al., 2005 ; Carayol et al., 2013 ; Finocchiaro et al., 2015 ; McCarroll et al., 2015). La problématique de la prise de poids pendant les traitements anticancéreux génère de nombreuses

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recherches et mises en place de programmes d’éducation thérapeutique. Cependant, la grande majorité des personnes atteintes d’un cancer est confrontée à une problématique de perte de poids, celle-ci pouvant survenir avant même le diagnostic du cancer.

2.2 Le problème de la perte de poids

La perte de poids chez les malades cancéreux est liée au type de tumeur et au statut évolutif du cancer (Dewys et al., 1980 ; Senesse et al., 2012 ; Hébuterne et al., 2013). Son seuil est défini à 10 % par rapport au poids de forme, c’est-à-dire au poids habituel, dans les six mois ou à 5 % dans le mois chez l’adulte38, et est significativement associé à la morbidité périopératoire, aux toxicités de la radiothérapie et de la chimiothérapie et à la durée d’hospitalisation des malades (Senesse et al., 2012). En d’autres termes, la perte de poids est un facteur de mauvais pronostic vital et de qualité de vie pour les malades (Ravasco et al., 2004 ; Senesse et al., 2012). Suivant les études, la perte de poids chez le malade cancéreux varie de 8,2 à 87 % suivant les pathologies, les stades évolutifs et la définition du seuil de la perte de poids (Senesse et al., 2012). Ce seuil, suscitant de nombreux questionnements, est défini par des critères anthropométriques (évolution du poids, IMC, mesures cutanéo-musculaires), l’évaluation des ingestas et des critères biologiques (albumine, protéine C réactive). Hébuterne (2015) précise qu’en moyenne le taux de malades souffrant de dénutrition est évalué à 40 % avec un seuil de perte de poids à 10 %. Si le risque nutritionnel pour le malade est évalué dès un seuil de 5 %, la prévalence de la dénutrition est supérieure à 55 %. L’auteur précise d’autant plus, qu’une perte pondérale de 5 % est associée à une altération du pronostic vital du malade. Bien que l’évaluation de la perte de poids reste peut précise et diverge selon les études, elle reste dans tous les cas associée à des complications importantes dans la prise en charge des malades. Pour pallier cette perte de poids, les recommandations définies par les groupes d’experts (Senesse et al., 2012) valorisent les conseils diététiques personnalisés auprès des malades. En prenant en compte les éventuels symptômes du cancer et les effets secondaires

38 Pour la personne âgée, ce seuil est réévalué. Il correspond au seuil de dépistage de la dénutrition de la personne âgées non atteinte de cancer : une perte de poids de plus de 5 % du poids du corps en un mois ou de 10 % en six mois ou un IMC < 21 ou une albuminémie inférieure à 35g/L ou un mini nutritional assessment complet inférieur à 17 (Boudel-Marchasson et al., 2012). Ces critères ont été définis par la HAS en 2007.

51 induits par les traitements anticancéreux, ces conseils sont dans un premier temps axés sur des techniques diététiques d’enrichissement calorique et protéique des prises alimentaires. Puis dans un second temps, ils sont associés à une prescription de Compléments Nutritionnels Oraux (CNO)39 ou d’une alimentation artificielle40, principalement pour les malades en état de dénutrition ou lorsque l’alimentation des malades est évaluée comme étant insuffisante (Meuric et Besnard, 2012 ; Bouteloup et Besnard, 2012 ; Crenn P. et al., 2012). De plus, et notamment pour les cancers digestifs, ces conseils nutritionnels sont couplés à la mise en place de régimes sélectifs (régime faible en fibre et/ou en lactose). Le principal objectif des conseils nutritionnels personnalisés reste le fait de couvrir les besoins énergétiques et protéiques journaliers des malades41. Ils sont associés à l’augmentation des apports énergétiques et protéiques, au maintien du poids et du statut nutritionnel, à la diminution des toxicités des traitements (nausées, vomissements, etc.), et à l’amélioration de la qualité de vie des malades (Meuric et Besnard, 2012).

Les personnes souffrant d’un cancer bronchique sont à fort risque de perte de poids et de dénutrition. En France, la prévalence de la perte de poids chez les personnes atteintes d’un cancer bronchique a été estimée à 45 % en 2005 et à 41 % 201242 (Hébuterne et al., 2013). La chimiothérapie et le stade avancé du cancer sont les principaux facteurs déterminant la perte de poids dans le cas des cancers bronchiques (Kiss et al., 2013). Ces facteurs médicaux engendrent, en partie, des perturbations alimentaires chez les malades les amenant à moins s’alimenter dès les premiers symptômes. Pour tous types de cancers, les cinq premières causes de la diminution des prises alimentaires chez les malades sont la perte d’appétit, la perte de goût, les nausées, les troubles de la déglutition et une alimentation inadaptée (Hébuterne et al., 2007). Les altérations gustatives restent fortement identifiées par les malades comme éléments perturbant leur appétit.

39 Les CNO sont des aliments diététiques industriels, le plus souvent prêts à l’emploi, destinés à des fins médicales spéciales. Concernant les recommandations de prescriptions de CNO pour les malades cancéreux, nous renvoyons le lecteur à l’article de Bouteloup et Besnard (2012).

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La nutrition artificielle comprend la nutrition entérale qui utilise une voie d’abord digestives (sonde nasogastrique ou nasojéjunale, gastrotomie, jéjunostimie) et la nutrition parentérale qui utilise une voie veineuse de préférence centrale. Concernant les recommandations pour les malades cancéreux, nous renvoyons le lecteur à l’article de Crenn P. et al (2012).

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Les besoins énergétiques et protéiques journaliers d’une personne atteinte d’un cancer sont supérieurs à ceux évalués pour une personne saine (Senesse et Hébuterne, 2012).

42 Elle est de 67 % et 54 % pour les cancers du pancréas, 60 et 53 % pour les cancers de l’œsophage et de l’estomac, 49 % et 42 % pour les cancers ORL, 39 et 35 % pour les cancers colorectaux, 34 et 46 % pour l’hématologie, et de 20 et 21 % pour les cancers du sein.

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2.3 Un autre problème : les perturbations sensorielles

Une littérature conséquente en sciences sensorielles rend compte des perturbations sensorielles engendrées par les chimiothérapies. Ces recherches montrent que les troubles du goût se perçoivent entre 46 à 75 % des malades interrogés, et 35 à 87 % présentent des troubles de l’odorat (Bernhardon et al., 2008). Ces perturbations sensorielles sont reliées d’une part aux facteurs médicaux comme la localisation et les caractéristiques de la tumeur, le stade du cancer, le type et la durée du traitement anticancéreux (Comeau et al., 2001 ; Doty et Bromley, 2004 ; INCa, 2006; Bernhardon et al., 2008 ; Bernhardon et al., 2009 ; Steinbach et al., 2010 ; Epstein et Barasch, 2010). Et d’autre part, elles sont mises en corrélation avec les caractéristiques sociales du malade telles que le sexe, l’âge, la profession, le niveau d’étude, la situation familiale, mais également le rapport à l’alcool et au tabac (INCa, 2006 ; Bernhardon et al., 2007 ; Bernhardon et al., 2008 ; Bernhardon et al., 2009 ; Steinbach et al., 2010). Les perturbations sensorielles sont directement mises en relation avec les aversions alimentaires développées par les malades au cours des traitements, pouvant générer des dégoûts. Ces aversions alimentaires chimio-induites sont de trois ordres. Elles peuvent tout d’abord relever d’effets gastro-intestinaux négatifs survenant après l’ingestion d’un aliment (Jocobsen, 1993). Les malades atteints de vomissements, nausées et/ou troubles digestifs sont plus sujets à développer des aversions alimentaires après le traitement anticancéreux. Elles sont ensuite mises en relation avec un conditionnement psychologique de l’ingestion décrit comme étant indépendant du cognitif et de la raison (Bernstein, 1991). Ici, les aliments consommés avant les traitements ou sur les lieux de traitements peuvent devenir une source d’aversion pour le malade. Enfin, les aversions alimentaires relèvent d’une perturbation même de l’identification et de la perception sensorielle (Gamper et al., 2012). L’ensemble de ces perturbations s’observent pendant les phases de traitement, mais sont également présentes en phase de rémission (Angellin et al., 2014). Les personnes atteintes d’un cancer bronchique sont fortement affectées par ces perturbations sensorielles (Belqaid et al., 2014 ; Belqaid et al., 2015). Une des principales raisons reste les chimiothérapies à base de sel de platine (Cisplatine et Carboplatine), principalement utilisées pour ce type de cancer. Les sels de platine font partie des cytotoxiques provoquant le plus de perturbations sensorielles (Comeau et al., 2001 ; Ravasco, 2005 ; Bernhardon et al., 2008 ; Rehwald M., 2009). Les perturbations sensorielles observées dans le cas des cancers bronchiques sont directement corrélées aux pertes d’appétit et à la diminution de la qualité de vie (Belqaid et al., 2014 ; Belqaid et al., 2015).

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3. La prise en charge la perte de poids : entre