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Les rencontres avec les élèves pour collecter les données

CHAPITRE 3: DÉMARCHE DE RECHERCHE

3.3 Les rencontres avec les élèves pour collecter les données

Des rencontres individuelles auprès des 39 participants nous ont permis de collecter les données. Deux méthodes distinctes ont été utilisées : la méthode de la pensée à voix haute et l’entretien semi-dirigé.

3.3.1 La méthode de la pensée à voix haute

Déroulement

Dans la première partie des rencontres, chaque élève devait lire le texte Dragon dans sa tête en verbalisant tout ce à quoi il pensait pendant qu’il lisait, notamment des informations comprises, des incompréhensions, des réactions, des stratégies mobilisées, des questions émergentes et des hypothèses. Lorsque l’intervieweur présentait cette consigne, il évitait de fournir des exemples trop précis du type de verbalisation attendue afin de ne pas biaiser les données. En effet, mentionner certains processus en particulier aux élèves risque de les

les lecteurs verbalisent ce à quoi ils pensent plutôt que de tenter de nommer les processus qu’ils activent (Hilden & Pressley, 2011).

Cette méthode, dite méthode de la pensée à voix haute (MPVH), permet de mieux comprendre les caractéristiques du lecteur, notamment les processus et les stratégies qu’il utilise, ses émotions, de même que l’interaction de sa motivation et de ses émotions avec ses verbalisations (Hilden & Pressley, 2011). Les données recueillies par l’intermédiaire de la MPVH sont de diverses natures : des processus cognitifs et métacognitifs, des représentations, des conceptualisations et des reconstructions (Forget, 2013). Puisque les informations sont recueillies dans le vif de l’action et non apostériori, cette méthode permet de rendre visible la construction de sens progressive par le lecteur au fur et à mesure qu’il lit, ce qui constitue un avantage (Hilden & Pressley, 2011).

L’intervieweur devait relancer l’élève régulièrement de manière à éviter les silences prolongés. Ainsi, si environ 15 ou 20 secondes s’écoulaient sans que le lecteur rencontré ne s’exprime, le membre de l’équipe qui dirigeait la rencontre lui rappelait de verbaliser ses pensées : « N’oublie pas de me dire tout ce à quoi tu penses pendant que tu lis »; « Continue de me parler »; « Continue de me formuler des commentaires ». Lors de ces relances, l’intervieweur évitait dans la mesure du possible de suggérer des actions précises à l’élève (ex. : « Dis-moi quelle stratégie tu utilises présentement »). Puisqu’interpréter un texte implique l’activation de processus de haut niveau, il est tout à fait normal qu’il n’y ait pas eu une abondance d’hypothèses interprétatives formulées par les élèves lors de leur première lecture du texte, d’autant plus qu’ils devaient verbaliser leurs pensées pendant qu’ils lisaient.

Limites

Jääskeläinen (2010) relève les principales limites de la MPVH. D’une part, les processus du lecteur qui sont inconscients ne se retrouvent pas dans sa mémoire de travail, ce qui signifie qu’il ne les verbalisera pas. D’autre part, la surcharge cognitive générée par la tâche risque de mobiliser l’ensemble des ressources cognitives disponibles, et ainsi de réduire la verbalisation du lecteur. Dans les deux cas, l’expert est privé de certaines informations non explicitées par le lecteur. Les risques d’interférence entre la MPVH et la tâche sont

d’ailleurs encore plus élevés si la tâche est complexe (Van den Haak, De Jong, & Schellens, 2003).

Autre limite de la MPVH : elle peut changer la structure des processus cognitifs impliqués dans la lecture (Kring, 2001; Jakobsen, 2003). En effet, cette méthode ralentit les processus du lecteur (Kring, 2001) et l’incite à analyser le texte en le découpant en unités plus petites qu’à l’habitude (Jakobsen, 2003, cité dans Jääskeläinen, 2010) :

A slowing-down effect of about 30 per cent with think-aloud was found. Moreover, the subjects working in the think-aloud condition processed texts in smaller units […]. Think-aloud may change the structure of the cognitive processes involved in translating, but how and to which extend, is still unclear (p. 371).

Enfin, lorsque la MPVH est employée, certaines caractéristiques personnelles de l’élève rencontré (âge, motivation, anxiété, habiletés verbales et volonté de révéler des facettes de soi-même) peuvent influencer la verbalisation (Baker, 2002). Les stratégies verbalisées par les lecteurs dépendent également des caractéristiques du texte lu (Hilden & Pressley, 2011).

Pour s’assurer que les verbalisations découlant de la MPVH correspondent réellement aux actions effectuées par l’élève lorsqu’il lit – donc pour minimiser l’interférence entre ce que l’élève fait réellement et ce qu’il affirme faire –, Forget (2013) présente deux conditions à respecter. Premièrement, le degré de difficulté de la tâche devrait dépendre des capacités cognitives de l’élève qui l’effectue. Deuxièmement, « la verbalisation concomitante à la tâche » (p. 59) devrait être employée seulement auprès de lecteurs experts. Étant donné le contexte et les objectifs de la recherche menée par Monsieur Érick Falardeau, l’équipe n’a pas pu respecter parfaitement ces deux contraintes. En dépit de cet inconvénient, la combinaison de la méthode de la pensée à voix haute à une méthode complémentaire – l’entretien semi-dirigé – nous a permis d’optimiser la collecte de nos données.

3.3.2 L’entretien semi-dirigé

Déroulement

conversation structurée, l’intervieweur adapte le rythme et le contenu au fil de l’interaction avec le participant, mais s’assure d’aborder les thèmes généraux préétablis (Savoie-Zajc, 2003; Bailey, 2007). Les membres de l’équipe de recherche qui menaient les entretiens avaient en main un schéma d’entretien, qu’ils ont ajusté en fonction des réponses formulées par chaque élève rencontré. Plus précisément, les intervieweurs ont eu à modifier l’ordre des questions, à éviter de poser les questions auxquelles l’élève avait déjà répondu, à ajouter des sous-questions non prévues en fonction des commentaires du lecteur et à poser une question à plus d’une reprise selon l’évolution de la compréhension du participant. Ces mesures d’adaptation propres à l’entretien semi-dirigé sont particulièrement pertinentes lorsque l’objectif de la recherche est de mener une analyse critique des données (Bailey, 2007) ou de comprendre un phénomène de manière approfondie (Savoie-Zajc, 2003).

Les questions étaient principalement de l’ordre de la compréhension et de l’interprétation24.

En voici quelques exemples :

 Résume l’histoire dans tes mots.

 Au début de l’histoire (lignes 1 à 44), qui sont les personnages, que font-ils et à quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?

 À la fin de l’histoire (lignes 71 à 84), qui sont les personnages, que font-ils et à quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?

 Aux lignes 46 à 53, à quoi correspond la description?

 Pourquoi des chevaliers et un train se côtoient-ils dans la même histoire?

 Relis les lignes 35 à 39. Pourquoi un personnage dit-il à l’autre que le Temps n’existe pas?

 Relis les lignes 81 à 84. Pourquoi raconte-t-on à la fin de l’histoire que le train disparait à tout jamais?

Pourquoi l’auteur a-t-il choisi Dragon comme titre à son histoire?

Certaines questions impliquaient un retour au texte pour la relecture d’un passage en particulier, qui pouvait être effectuée par l’intervieweur lui-même ou par l’élève (chaque

intervieweur a fonctionné selon ce qui lui semblait le plus efficace). Ces retours ciblaient stratégiquement les passages clés du texte, ce qui a permis à plusieurs apprenants de modifier positivement leur compréhension de l’histoire avec un minimum de soutien. L’objectif était d’accéder à certaines informations que les élèves ont pu passer sous silence ou ignorer dans la première partie des rencontres. La méthode de l’entretien semi-dirigé, au même titre que la MPVH, comportait certaines limites.

Limites

D’abord, les réponses des élèves ont été difficiles à comparer parce que les questions posées variaient d’un intervieweur à l’autre. Cette flexibilité dans la formulation de questions s’explique d’abord par la définition même de la méthode choisie, l’entretien semi-dirigé, dont l’objectif principal est de baser le travail sur les perspectives des participants (Bailey, 2007). Un deuxième facteur a toutefois accentué légèrement l’écart entre les questions posées par chaque intervieweur. En effet, malgré le fait qu’une proportion importante du schéma d’entretien était partagée par les membres de l’équipe de recherche, quelques questions ont été posées seulement par certains d’entre eux. Un maximum d’uniformité sur ce plan aurait facilité le traitement des données. Somme toute, puisque la visée de la recherche était d’évaluer les compétences des élèves du deuxième cycle du secondaire en lecture, le choix de l’entretien semi-dirigé pour compléter la MPVH était tout indiqué. Les autres options auraient également présenté des inconvénients, dont la non-considération de l’évolution de la compréhension de l’élève au cours de la rencontre.

Le manque d’expérience des intervieweurs pour piloter un entretien semi-dirigé représente une autre limite de l’étude. Les « bons » entretiens requièrent de la pratique (Bailey, 2007) et aucun entretien pilote n’avait été effectué pour les rencontres impliquant le texte Le Dragon. Notons toutefois que les intervieweurs avaient comme expérience les rencontres effectuées en début d’année dans le cadre des prétests. Chacun avait expérimenté la MPVH et l’entretien semi-dirigé en rencontrant plusieurs élèves de l’échantillon. Le texte utilisé était alors Solidarité d’Italo Calvino.