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CHAPITRE 3: DÉMARCHE DE RECHERCHE

4.2 L’appui sur des éléments du texte Dragon et le recours à des connaissances personnelles pertinentes pour formuler des interprétations

4.2.3 Les exceptions des profils A et B

Malgré les deux tendances dégagées ci-haut – l’appui sur le texte et sur des connaissances personnelles pertinentes par les élèves du profil A pour interpréter et la difficulté des élèves du profil B à faire de même –, certains cas atypiques de participants ont été dégagés de l’analyse. Des lecteurs ont formulé des interprétations pertinentes (profil A), mais semblaient incapables de les prouver par le biais du texte, tandis que d’autres ont retenu des hypothèses plus ou moins plausibles (profil B), mais ont quand même su tirer leur épingle du jeu en s’appuyant momentanément sur le texte ou sur des connaissances personnelles pertinentes.

Les élèves du profil A qui ne parviennent pas à prouver leur interprétation

Environ le quart des élèves du profil A (6/23) reconnait le caractère farfelu de l’histoire, mais ne peut expliquer pourquoi. Autrement dit, certains adolescents rencontrés comprennent ce qui se passe, mais ne parviennent pas à le justifier. Par exemple, des lecteurs verbalisent le fait que l’histoire met en jeu deux époques distinctes, mais ont très peu de propositions pour expliquer ce mélange d’époques. Ils répondent donc très brièvement aux questions d’interprétation.

Noémie repère le changement d’époques entre le début et la fin de l’histoire, mais ne tente aucune explication pour résoudre l’énigme. Son degré de compréhension pourrait augmenter si elle retournait au texte pour relire quelques passages, mais elle n’utilise pas cette stratégie. Bien que nous ne détenions aucune mesure de la motivation des élèves de l’échantillon à participer à l’étude – il ne s’agit d’ailleurs pas d’un objectif visé –, mentionnons que Noémie dégage une certaine indifférence et semble peu impliquée dans la

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Il s’agit notamment d’éléments insérés au tout début du récit qui suggèrent une ambiance fantastique. Il en sera question dans la section 5.3 du chapitre portant sur l’interprétation et la discussion des résultats.

tâche. Elle ne se prête donc pas au jeu de chercher des preuves qui pourraient appuyer ce qu’elle affirme :

é : Ouais, parce qu’on dirait qu’y passe d’une époque à une autre genre à la fin.

I : Hum, hum. Vas-y donc, développe donc un peu ton idée voir.

é : Bien, parce qu’au début y parle de château puis de plein d’affaires de même puis après y parle d’un train que, quand qu’y avait des châteaux, y’avait pas de train là, c’était pas, c’était pas ça.

I : Ok. Puis d’après toi, qu’est-ce qui se passe entre les deux pour qu’on en arrive là?

Quelques secondes de silence. é : Je sais pas.

Maxime comprend lui aussi le caractère invraisemblable de l’histoire causé par le mélange d’époques. Il développe partiellement son hypothèse, mais ne réussit pas à utiliser les phrases clés du texte pour la solidifier. Dans son cas, c’est plutôt le contexte de l’étude qui semble avoir empêché la pleine émergence de son raisonnement. S’il avait été seul avec le texte et qu’il avait disposé de davantage de temps, possiblement qu’il aurait pu développer son interprétation. En effet, il semble sur le point de comprendre certaines subtilités du texte, mais il manifeste de l’hésitation. Malgré tout, l’intervieweur poursuit l’entretien semi-dirigé – le temps pour chaque rencontre était limité :

I : […] Pourquoi l’auteur aurait fait le choix d’écrire ça là, que le Temps n’existait pas?

é : Bien parce qu’y a rajouté le train.

I : Parce qu’y a rajouté le train. Fait que finalement pourquoi…

é : Bien parce que c’est pas vrai en fin de compte, c’est pas une histoire vraie.

I : C’est une histoire qui est invraisemblable. Fait que pourquoi y’aurait un train à l’époque…

é : Y’a des mélanges de plein d’objets. I : De plein…

é : De plein d’histoires ensemble, peut-être genre… I : De plein d’histoires?

é : Y’a un mélange de Moyen Âge, y rajoute un train avec ça, y disent que le Temps n’existe pas, y…

I : Donc, c’est un mélange d’époques? C’est ça que tu me dis? é : C’est ça, c’est un mélange d’époques.

Cathy se situe sur une piste intéressante. Elle suspecte un lien entre certains passages du texte pour expliquer le caractère étrange de l’histoire. Par contre, ses hypothèses semblent difficiles à verbaliser, ce qui la force à interrompre certaines de ses explications. Bien que son interprétation soit pertinente (comme le veut le fait qu’elle soit classée dans le profil A), nous ne pouvons affirmer qu’elle l’appuie sur des éléments du texte à cause de l’incomplétude de ses propos :

I : Maintenant les lignes 37 à 39. […] Pourquoi on dit que le Temps n’existe pas, d’après toi?

é : Je sais pas, moi je pense que ça fait référence à à tout jamais. I : Ok, y’aurait un lien entre les deux?

é : Ouais, puis aux siècles, puis… […]

I : Depuis des siècles, aucun oiseau n’avait…

é : Hum, je pense que c’est comme des éléments pour nous, pour nous structurer. Le temps, y’en a pas là, c’est comme si, je sais pas…

I : Mais c’est intéressant.

é : C’est comme si y’était dehors là. I : Ok.

é : Le temps, puis…

I : Y’a pas de notions de temps. é : Comme un monde parallèle là.

Somme toute, le contexte de l’étude, notamment la contrainte du temps, semble une piste pouvant expliquer pourquoi quelques lecteurs du profil A formulent des interprétations pertinentes, mais ne s’appuient pas sur le texte pour les justifier ou le font sans parvenir à le verbaliser.

Les élèves du profil B qui parviennent à lier des éléments du texte entre eux ou à lier des éléments du texte à des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter

Seulement deux des élèves classés dans le profil B (2/9) réussissent à lier des informations du texte entre elles ou à les lier à leurs connaissances personnelles pour renforcer leur interprétation. Par exemple, Alaa croit qu’un chevalier dit à son complice que le Temps n’existe pas (première question d’interprétation ayant fait l’objet de notre analyse) parce que les deux personnages sont désaxés et ont perdu la notion du temps. Cette justification,

bien qu’elle ne tienne pas compte de tous les indices du texte – notamment la description de l’ambiance qui suggère une histoire fantastique31 –, renforce l’hypothèse interprétative de

l’élève et témoigne d’un lien entre plusieurs éléments de Dragon.

De plus, Alaa établit un rapprochement entre le fait que les personnages se jettent devant le train (information du texte) et le fait qu’ils aient perdu la notion du temps (information du texte) : un trouble psychologique serait selon lui à l’origine de cette perte de repères (information tirée des connaissances personnelles de l’élève sur les troubles psychologiques). Pour cette raison, nous considérons que l’élève construit son hypothèse interprétative à partir d’informations du texte et d’informations plutôt pertinentes provenant de ses connaissances sur le monde :

I : Pourquoi d’après toi, y disait que le Temps n’existe pas? Quelques secondes de silence.

é : Parce que y’est désaxé. I : Ok.

é : J’sais pas.

I : Non, mais ça se peut. é : Ouais.

I : Ça irait avec ton hypothèse du fait que c’est deux dérangés psychologiquement.

é : Ouais.

Selon Frédérique, les personnages décrits comme des chevaliers seraient plutôt deux suicidaires ou deux adeptes de Donjons et Dragons32 qui se sont jetés devant le train. Pour

interpréter la dernière phrase du texte, selon laquelle le train disparait pour toujours (deuxième question d’interprétation ayant fait l’objet de notre analyse), elle propose que les chefs de train préfèrent ne jamais repasser par la lande étant donné qu’ils se sentent mal d’avoir accidentellement provoqué la mort de deux personnes. Son hypothèse est questionnable puisqu’elle fait fi d’éléments du texte qui orientent les lecteurs vers l’hypothèse du récit fantastique. Toutefois, elle réussit habilement, à l’instar d’Alaa, à la renforcer en s’appuyant sur le texte et sur des connaissances personnelles appropriées. Plus précisément, Frédérique établit une convergence entre le fait que les chefs de train fauchent

deux hommes (information du texte), le fait que le train disparaisse définitivement (information du texte) et le fait que des travailleurs qui tuent accidentellement deux personnes dans le cadre de leurs fonctions soient traumatisés et ne souhaitent plus retourner à l’endroit où s’est produit l’incident (information tirée des connaissances personnelles de l’élève sur le comportement social) :

I : Il laissait derrière lui une fumée si épaisse qu’elle stagnait dans l’air froid des minutes après qu’il fut passé et eut disparu à tout jamais. Pourquoi l’auteur nous dit que le train eut disparu à tout jamais?

é : Bien, veut, veut pas, quand tu fauches quelqu’un, bien tu veux peut-être pas euh… Plus jamais faire cet emploi-là. Bien c’est ça, c’est les gens qui ont décidé de plus jamais aller dans cet endroit-là, puisqu’y avait eu plusieurs accidents là ou bien que celle-là ça été vraiment une, vraiment une, un moment, tu sais, important dans leur vie. Eut disparu à tout jamais, bien c’est ça, c’est peut-être aussi encore là, une manière cool de finir un texte là.

En bref, Alaa et Frédérique se démarquent des autres lecteurs classés dans le profil B par leur capacité à établir des liens entre certains éléments du texte et des connaissances personnelles. Malgré leur non-considération de plusieurs indices du texte, ils réussissent à justifier leur point de vue, ce qui en augmente certainement la crédibilité.

4.2.4 Les insuccès des élèves du profil C dans leurs tentatives de prouver leur