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Une remise en question radicale de la recherche des causes

2.3. Les théories « classiques » de l’attribution

2.3.7. Une remise en question radicale de la recherche des causes

Buss (1978) est sans doute l’un des auteurs les plus critiques de l’approche causaliste des attributions. Même si Fauconnet (1920) fut sans doute le premier (je reviendrai sur cet auteur plus loin) à distinguer les « causes premières » (propre au processus d’attribution de la responsabilité) des « causes secondes » (la recherche scientifique d’un segment causal dans une chaîne plus vaste), Buss énonça sa critique directement à l’encontre des théoriciens de l’attribution de l’époque. Il indique d’emblée que le type d’attribution que l’on produit dépend du type d’événement que l’on doit expliquer (comportement ou renforcement : ce qui arrive

7 Par exemple, pour ce qui est des études sur le LOC, et selon Dubois (1987), ces approches et celles des

attributions se distinguent essentiellement sur trois points (les approches axées sur la saillance de l’information sont en effet relativement proches théoriquement, dans leur assise cognitive, de celles des attributions). Le premier point est que le LOC est à considérer comme une attente indépendante du renforcement (une croyance anticipatrice si l’on veut), alors que l’attribution est l’explication a posteriori d’une situation déjà réalisée. Ensuite, le LOC se focalise sur l’existence ou non d’un lien entre un comportement et une caractéristique d’une personne alors que la théorie de l’attribution se concentre sur la perception du lieu d’une causalité (chez les gens ou dans des facteurs externes). Finalement, le LOC concerne les renforcements alors que les attributions sont relatives à des comportements ou des états. Pour une discussion détaillée de cette distinction, les lecteur-trice-s pourront se référer au chapitre 2 de Dubois (1987).

Ensuite, pour ce qui est des études sur le lien entre contrôle perçu du comportement, perception d’auto-efficacité et LOC, on pourra se référer par exemple à Ajzen (2002) pour une revue récente. La perception du contrôle sur les comportements, qui permettrait d’accéder aux intentions, serait, dans cette optique, en quelque sorte indépendante de la distinction entre causalité interne et externe. Selon l’auteur, elle relèverait d’une forme de croyance en la capacité de contrôler les événements qui se présentent à une personne. Cette croyance serait alors constituée de deux sous-dimensions distinctes, mais non exclusives : la perception de l’auto-efficacité (facilité à produire un comportement) et la contrôlabilité (perception des ses capacités face à un comportement).

aux gens) et du statut de la personne qui doit donner une explication (observateur ou acteur). Selon Buss, les attributions causales sont plus une exception que la règle dans les explications qui sont fournies à un événement. Les théories de l’attribution souffrent ainsi, selon l’auteur, de l’influence d’une forme d’« idéologie de la causalité » (Buss, 1978, p.1312), et occulteraient ainsi un aspect aussi important, sinon plus fondamental des explications : les raisons ou les justifications qu’elles renferment.

Reprenant les éléments énoncés par Jones et Nisbett (1972) sur la distinction entre statut d’observateur (qui est le témoin d’une action) et d’acteur (qui accède plus facilement aux causes sous-jacentes de son action), et la critique de Kruglanski (1975) sur la pertinence d’une distinction entre attributions internes et externes (au profit d’une distinction entre attributions

endogènes - l’action jugée est une fin en soi - et exogènes - l’action est un moyen d’une autre

fin), Buss dénonce ce que l’on pourrait nommer un biais causaliste chez les théoricien-ne-s de l’attribution8

. Selon Jones et Nisbett, « des différences importantes existent dans le traitement de l’information pour la principale raison que différents aspects de l’information sont saillants pour les acteurs et les observateurs et que cette saillance différentielle affecte le cours et le résultat du processus d’attribution » (1972, p.85 ; la traduction est tirée de Deschamps et Clémence, 1990, p.53). Les acteurs accèderaient donc plus facilement aux raisons qui les ont poussés à agir, ce qui favoriserait l’utilisation d’explications externes à leurs comportements.

8Kruglanski (1975) ne semble pas non plus convaincu de la pertinence de la dichotomie, développée par les

continuateurs de Heider, entre attributions internes (dispositionnelles) et externes (situationnelles). Selon

Kruglanski, il n’y par exemple aucun sens à distinguer ces types d’explication pour juger un comportement, étant donné que les comportements sont produits par des gens qui ont agi (par exemple : courir, monter des

escaliers,…). En revanche, pour ce qui est des « occurrences », que l’on peut aussi interpréter comme des renforcements (ce qui arrive aux gens), il devient effectivement plus aisé d’imaginer des explications de nature interne ou externe (Buss, 1978). Kruglanski propose une autre manière de distinguer les attributions, selon qu’elles sont endogènes ou exogènes. Cette distinction tient à la nature du comportement d’une personne, en ce sens que des comportements peuvent être des fins en soi (l’attribution sera endogène) ou si le comportement représente un moyen d’atteindre une fin qui dépasse le comportement en question (l’attribution sera exogène). La vision de Kruglanski fut aussi critiquée par Buss, selon lequel Kruglanski confondait les causes et les raisons dans son explication. Deschamps et Clémence (1990) critiquent quant à eux l’étroitesse de l’analyse des comportements faite par Kruglanski. Un comportement, dans cette perspective, ne peut être que volontaire. Les travaux de Milgram sur l’obéissance (1986) suffisent à montrer les limites d’une telle opérationnalisation. Mais la critique de Kruglanski a le mérite d’avoir soulevé un certain nombre de questions dont celle de la manière dont des chercheurs, souvent reconnus et dont les théories sont largement diffusées, opérationnalisent leurs mesures. Je reviendrai plus loin un peu plus en détail sur la distinction entre fins et moyens lorsque j’aborderai les réflexions de Schwartz (1990, 1997, 2000) sur la construction des valeurs.

Les observateurs d’un comportement chez autrui, n’ayant pas accès aux raisons auxquelles l’acteur peut accéder, inféreraient le comportement de l’acteur directement chez lui ou dans sa propre volonté.

J’exposais précédemment une proposition de Beauvois selon laquelle le rapport social propre à la science se définit dans les termes d’un rapport d’observation. Dans son article de synthèse de 1973, Kelley semble avertir les chercheurs et chercheuses d’un risque susceptible de se produire dans ces rapports spécifiques à un objet, en l’occurrence scientifique. Selon Kelley, partant également des propositions de Jones et Nisbett, « inasmuch as we psychologists are ordinarily observer of other persons’ actions, we may tend to attribute too much causality to persons for the behavior we observe - too much causality to personnality, ability, and other personal dispositions » (1973, p.126).

Pour résumer ce point sur la distinction entre causes et raisons effectuée par Buss, Deschamps et Clémence avancent que « les attributions dépendent à la fois du type de comportement sur lequel elles portent (occurrences ou actions) et du statut de la personne qui explique ce comportement (acteur ou observateur). Les explications des acteurs et des observateurs sont conceptuellement différentes et, partant, ne sont pas comparables ; elles procèdent d’une logique différente » (Deschamps & Clémence, 1990, p.56 ; Deschamps, 1990a, p.259). L’explication que donne un acteur serait donc une forme de justification selon la normativité de la situation ou de croyances dominantes, alors que l’observateur peut quant à lui piocher, pour ainsi dire, dans le registre des causes et des raisons selon ses propres croyances.