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2.5. La responsabilité comme valeur et comme règle

2.5.2. Fauconnet et la responsabilité au niveau sociétal

2.5.2.3. Causalité et responsabilité

Dans une analyse des doctrines philosophiques et historiques qui fondent la responsabilité comme un acte volontaire, Fauconnet relève que ces doctrines, sans jamais le démontrer, partent du principe que l’auteur est toujours responsable selon une forme de lien de causalité. Comme nous l’avons vu plus haut dans une première partie critique sur les théories classiques de l’attribution, les propos de Fauconnet n’ont pas pris une ride. Il y a ainsi une confusion qui est faite entre agent et acte, cause et effet, crime et auteur, entre causalité et responsabilité et, finalement, entre libre-arbitre (liberté) et responsabilité puisque dans l’optique dominante « la volonté libre devrait seule supporter la sanction » (Fauconnet, 1920, p.190). Selon ces doctrines philosophiques, comme Buss et Deschamps l’ont montré dans

l’approche classique de l’attribution, il y aurait donc d’un côté « une causalité propre à l’homme » où « l’homme est dans un certain sens une cause première16

, sinon des mouvements matériels qui constituent ses actes, au moins de leur qualité morale » (Fauconnet, 1920, p. 178). Nous entrerions ici dans le domaine des raisons que l’on donne aux événements. De l’autre point de vue philosophique que Fauconnet oppose au premier, « l’activité humaine est, comme toute la nature, soumise à la loi de causalité ; l’acte volontaire est l’effet nécessaire de la réaction d’un caractère donné dans des circonstances données » (Fauconnet, 1920, p.179). Dans cette optique, l’individu est une « cause seconde », « indépendante » (Fauconnet, 1920, p.181) et où toute activité qui « s’insère, par action ou par omission, dans la série causale qui aboutit au crime, peut être, en toute rigueur, considérée comme une de ses causes » (Fauconnet, 1920, p.183). Nous serions ici dans une analyse exclusivement causaliste du processus d’attribution de responsabilité.

Fauconnet arrive finalement au constat de l’insuffisance de ces deux doctrines. En leur attribuant entièrement crédit, nous accepterions que le jugement est un acte qui consiste à constater des faits. Car si l’on accepte à titre provisoire que les responsables soient des causes, « il n’est pas vrai, réciproquement, que toutes les causes soient responsables » (Fauconnet, 1920, p.199). Le cheminement de Fauconnet nous amène donc vers « l’analyse des représentations collectives, latentes dans l’idée de responsabilité » (Fauconnet, 1920, p.200). « Le responsable est celui qui, aux yeux de la société qui juge, apparaît tel que la sanction, en s’appliquant à lui, remplisse sa fonction exemplaire » (Fauconnet, 1920, p.200). Donc, non seulement la philosophie ne parviendrait pas à démontrer que responsabilité et causalité se confondent, mais elle ne pourrait par ailleurs pas expliquer pourquoi les sociétés ne possèdent pas des fondements semblables de la responsabilité ; autrement dit des contenus semblables de leurs règles de responsabilité.

Les doctrines historiques ne font pas mieux selon le sociologue, puisqu’elles abordent les exceptions socio-historiques comme des aberrations (par exemple l’attribution de responsabilité à des choses non humaines), alors qu’elles relèvent fondamentalement de la normalité et d’un processus de légitimation d’un ordre social spécifique17

. Les historiens adaptent ainsi leur analyse à l’une ou l’autre des doctrines philosophiques.

16 souligné par moi.

17 On notera la proximité de cette critique avec celles des psychologues sociaux qui reprochent aux approches

Crandall et Beasley (2001), dans une approche de la légitimité des principes de justice basée sur les perceptions (dont il emprunte la conceptualisation de l’équilibre à Heider), estiment que la valeur d’une personne ou d’un système institutionnalisé s’ancre dans les perceptions des gens, perceptions qui sont à leur tour ancrées dans des principes de justice qui légitiment un certain ordre social. À la recherche de bases institutionnelles et d’un besoin de consistance entre valeur et comportement s’ajouterait un principe idéologique justificateur des sanctions fondamentales. Ce principe idéologique est que les mauvaises gens méritent un mauvais traitement (ou que les bonnes personnes méritent un bon traitement) et que ce principe « forms the basis of a naive theory of legitimacy of punishment » (Crandall & Beasley, 2001, p.81). Si ce principe est appliqué dans le cadre d’un système de justice, le résultat d’un jugement paraîtra toujours justifié, du moins sera-t-il justifiable selon les principes moraux (définissant ce qui est bon ou mal) qui lui ont donné naissance.

Dès lors, « rien ne permet de penser que les règles de responsabilité qui nous paraissent les plus déconcertantes soient le résultat d’une erreur, intellectuelle, morale ou religieuse, ni que la responsabilité des auteurs volontaires soit plus vraie que celle des autres patients, relativement aux sociétés qui jugent ces derniers moralement aptes à supporter la sanction » (Fauconnet, 1920, p.222). Ces différences « ont des causes sociales » (1920, p.222), des raisons qu’il faut aller chercher dans les représentations collectives qui sont partagées à un moment donné dans une société. Au-delà de la responsabilité individuelle qui s’arrêter à une conception occidentale et qui serait victime de « l’erreur fondamentale d’attribution » (Ross, 1977), les philosophes et les historiens dont Fauconnet relate les recherches s’interdisent de penser et d’analyser la responsabilité et les règles qui permettent son fonctionnement comme des connaissances socio-hisoriquement ancrées dans des systèmes de croyances et des pratiques. Finalement, peu importe l’intentionnalité de l’acte dès lors que la sanction s’inscrit dans une certaine perception de la justice et dans une représentation sociale légitime de son exercice. « L’attribution de la responsabilité ne saurait, comme l’explication scientifique par la cause, régresser à l’infini ; sinon, il n’y aurait pas de responsabilité, il ne pourrait y avoir de sanction » (Fauconnet, 1920, p. 277-278).