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Les principes organisateurs des représentations de l’économie

4. Première partie Croyances économiques et représentations sociales de la responsabilité : une articulation des niveau

4.1. Etude I Ancrage des croyances économiques et des représentations sociales de la responsabilité individuelle dans

4.1.2. Les principes organisateurs des représentations de l’économie

Se basant sur la prééminence croissante des théories économiques ultra-libérales en France, Lebaron (2000) distingue deux univers dans lesquels les croyances économiques dominantes ou orthodoxes (comme il aime à les qualifier) se manifestent et se (re)produisent : dans le champ des économistes et dans la pratique économique.

Au niveau des contenus, ces croyances font appel à deux concepts clés des théories néoclassiques46

. D'une part il s’agit de la figure de l’homo oeconomicus : « individu rationnel qui poursuit son intérêt et cherche à maximiser son utilité » (Méda, 1995, p.203). D’autre part il s’agit du contexte socio-économique dans lequel l’individu évolue : le marché. Lebaron distingue encore trois types de croyances liées à la logique économique libérale. Il y a d’abord une idéologie de la « raison économique » basée sur le raisonnement déductif et mathématique. Ce terme de « raison » est dès lors accepté dans le sens de « logique » et de « lucidité ». Ainsi, le capitalisme élevant la recherche de l’efficacité au rang de « science exacte » permet à l’activité économique d’organiser « les conduites et les relations humaines de manière " objective", c’est-à-dire en faisant abstraction de la subjectivité du décideur et en soustrayant celui-ci à la contestation morale » (Gorz, 1988, p.199). Cette raison, basée sur une idéologie de l’effort où « plus vaut plus » et où celui qui possède plus a plus de valeur qu’un-e autre (Gorz, 1988, p.183), est agrémentée par une deuxième croyance : la « neutralité

économique » propre à la scientificité des instruments mathématiques de la science en

général. Ce processus de légitimation scientifique de l’économie rend visible une troisième croyance : la « nécessité économique ». Cette croyance serait de plus en plus partagée dans

46 L’orientation dite néolibérale (un produit de la théorie néoclassique) peut aussi être définie comme le

« mainstream » international dans le sens où les sphères dominantes du champ s’adaptent à la vision anglo- saxone de l’économie ; champ qui fait figure de référence (cf. Lebaron, 2000). De plus, cette doxa économique se diffuse en dehors de la sphère économique, comme dans celles du politique (cf. Lebaron, 2003) et, comme je l’ai déjà exposé avec les travaux de Schwartz (1990), de la recherche.

tous les champs de production de la société et même dans les univers habituellement les plus critiques à son égard. Finalement, l’omniprésence de ces croyances permet leur « naturalisation » à travers le « système économique » existant, c’est-à-dire à travers la « réalité économique telle qu’elle est définie aujourd’hui en premier lieu par les agents dominants des marchés financiers » (Lebaron, 2000, p.245). Ainsi, s’opère une naturalisation d’un message libéral avec l’appui de la science économique et à travers des instances réputées « neutres » et « indépendantes » du pouvoir politique ou privé47

. Dès lors, « s’écarter de ces lois "naturelles" c’est risquer le déséquilibre » (Méda, 1995, p.222). Aussi, « l’économie croit qu’il existe une rétribution naturelle de même qu’il existe un taux de chômage naturel, un salaire naturel ... » (Méda, 1995, p.222). L’histoire ayant inscrit cette évidence dans les structures sociales et cognitives, « tout ce que la science économique pose comme un donné, c’est-à-dire l’ensemble des dispositions de l’agent économique qui fondent l’illusion de l’universalité anhistorique des catégories et des concepts utilisés par cette science, est en effet le produit paradoxal d’une longue histoire collective, sans cesse reproduit dans les histoires individuelles, dont seule l’analyse historique peut rendre complètement raison » (Bourdieu, 2000, p.16). Dès lors, remettre en question ces croyances dominantes (cf. aussi Lévesque, Bourque & Forgues, 2001) c’est remettre en cause ce que Camus (2002a) nomme une « épistémo-idéologie » et par là un ordre social dominant qui réclame le monopole de l’explication du fonctionnement social.

Plus spécifiquement dans l’étude des représentations sociales, Viaud et Roland-Lévy (2000) ont montré à travers leurs analyses issues d’entretiens auprès de ménages français, l’existence d’un lien complexe entre les comportements de gestion financière du ménage et les représentations sociales de la consommation. Ce lien serait étroitement dépendant de la nature des principes organisateurs des représentations de la consommation qui sous-tendent une logique de distinction des répondant-e-s par rapport à leur politique de crédit et leur niveau socio-économique. Car même si les représentations de la consommation semblent traverser l’ensemble de la population étudiée, il n’en reste pas moins qu’un plus fort endettement par le crédit soit perceptible dans les classes moyennes inférieures. Il semble donc qu’une même représentation sociale, mais qui est produite chez des groupes dont le

47A l’instar de la banque centrale de France qui, selon Lebaron (2000), représente un véritable emblème de la

« neutralité monétaire» à travers l’« indépendance » relative de ses agents face à l’Etat-serviteur-des-intérêts- particuliers. Mais on peut également citer les Think Tanks dont Dixon (1998) à passablement relaté l’efficacité dans la révolution néo-libérale que connu la Grande-Bretagne dans les années Thatcher.

statut socio-économique diffère, produise des comportements différents face à l’épargne ou à l’endettement. Les comportements d’endettement serviraient ainsi aux moins nanti-e-s de moyen de répondre aux standards de la réussite sociale et les représentations sociales y auraient en quelque sorte un rôle légitimant ; à l’instar des processus de justification du système dont relatent par exemple Jost et Banaji (1994), Jost et Thompson (2000) ou encore Boltanski et Chiapello dans leur analyse du « nouvel esprit du capitalisme » (1999).

Il n’en reste pas moins que tout le monde n’adhère pas forcément de manière uniforme à ces principes sur le fonctionnement du monde. Guimond (1998, 2001), Guimond, Bégin et Palmer (1989) et Guimond et Palmer (1990, 1996) qui travaillent sur la socialisation, semblent être plus nuancés en ce qui concerne le milieu académique, puisque leurs recherches montrent que les étudiant-e-s des filières économiques et des sciences sociales diffèrent dans leur manière d’attribuer la responsabilité des gens face à leur sort. Ces travaux ont montré que des étudiant-e-s en économie attribuent de plus en plus, au fil des ans, le sort des individus à leurs dispositions (à des causes internes selon les théories de l’attribution). Les étudiant-e-s des sciences sociales attribuent, quant à eux, de plus en plus ces causes à des facteurs situationnels, à des déterminismes sociaux (à des causes externes). Ces formes d’attribution de la responsabilité acquises dans les institutions sous forme de connaissance souligneraient ainsi des manières de se positionner qui légitiment ou au contraire remettent en cause une certaine configuration de rapports sociaux ; cela se faisant de plus selon la position que l’on y occupe soi-même (cf. Guimond, 1998 ; Guimond, Dambrun, Michinov & Duarte, 2003).