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Processus d’attribution selon le type de groupe, sa représentation et

5. Deuxième partie Adhésion aux croyances idéologiques libérales et rapports sociaux dans des groupes de travail :

5.2. Etude II Représentations d’un groupe de travail et attributions en fonction du type de rapports et de la justification

5.2.3.4. Processus d’attribution selon le type de groupe, sa représentation et

l’adhésion idéologique

Afin de tester le modèle d’ancrage qui a été exposé dans les hypothèses propres à cette partie (cf. figure 1, p.14), j’ai procédé à des analyses de modération médiatisée selon la démarche énoncée par Muller, Judd et Yzerbyt (2005). L’hypothèse était que les attributions (externes) étaient définies par la représentation (plus ou moins légitimante) du groupe. Cette dernière étant ancrée dans la configuration des rapports sociaux qu’elle met en avant et l’adhésion des répondant-e-s à des croyances idéologiques sur le fonctionnement économique du monde (l’ESJ de Jost & Thompson, 2000). L’hypothèse serait validée si les représentations du groupe, ancrées dans l’adhésion à la croyance idéologique, sont médiatisées par la représentation sociale du groupe. Seules les analyses sur la fonction de décision ont permis d’illustrer le modèle.

Les figures 12 et 16 correspondaient aux deux premières étapes de la vérification du modèle (elles correspondent aux colonnes 2 à 5 du tableau 6). Les deux dernières colonnes du

tableau 6 indiquent les résultats de la modération médiatisée ; F(6, 87) = 2.61, p < .03 : R2

= .09. Conformément aux hypothèses, l’effet d’interaction entre le type de groupe et l’adhésion à l’ESJ sur les attributions externes est médiatisée par la représentation du groupe (légitimation de l’organisation) ; cette dernière étant le produit de l’interaction entre le type de groupe et l’adhésion à l’ESJ.

Tableau 6. Résultats de la régression pour la modération médiatisée (légiorg) sur l’externalité et la fonction de décision

Différence d’attribution externe

Légiorg. Différence d’attribution externe b t b t b t Décision 0.16 1.22 - 0.82 - 4.29*** - 0.03 - 0.25 Justisys. - 0.09 - 1.08 0.35 2.70** 0.02 0.22 Décision*justisys. - 0.56 - 3.23** 0.48 1.84+ - 0.32 - 1.76+ Légiorg. - 0.19 - 2.72** Justisys.*Légiorg. 0.03 0.36 Sexe (covariate) - 0.02 - 0.15 - 0.16 - 0.79 - 0.05 - 0.35 Légiorg = légitimation de l’organisation. R2 = .09*. + p < .10. * p < .05. ** p < .01. *** p < .001.

Ainsi, la représentation du groupe médiatise le processus d’attribution ; t(93) = -2.72, p < .01 ; b = -.19. Plus on légitime la structure hiérarchique, et ce sont les étudiant-e-s qui justifient le système économiques qui le font le plus, moins on attribue aux événements

positifs et négatifs une explication externe. De l’autre côté, moins on légitime une structure de groupe hiérarchique, et ce sont les gens qui ne justifient pas le système économiques qui le font d’avantage, plus on estime que ce sont des facteurs externes qui expliquent les événements.

5.2.4. Discussion

La première étude de cette partie avait deux objectifs principaux. Le premier était d’éprouver un modèle d’ancrage du processus d’attribution sociale à différents niveaux d’analyse conformément à la figure 1 (p.14). Le second était d’explorer la pertinence d’une opérationnalisation des groupes de travail selon les trois fonctions énoncées par Beauvois et leur mesure à travers les propositions de French et Raven sur les bases interpersonnelles du pouvoir et à travers perception des rapports sociaux proposées par Tajfel dans la TIS.

Pour ce qui est du premier objectif, les résultats de cette étude semblent montrer la pertinence d’un modèle d’attributions sociales qui prenne en compte des croyances idéologiques comme la justification du système économique. Comme on l’a vu avec l’analyse de l’impact de chacune des trois fonctions de partage du pouvoir, il existe premièrement des effets de modération de l’ESJ sur la construction des représentations de la situation en termes de légitimation de l’organisation ou du pouvoir du représentant du groupe. Dans l’ensemble, plus on justifie le système économique et plus il est probable que l’on légitime l’organisation (ce fût le cas pour les trois fonctions) ou le représentant (pour la fonction de responsabilité du résultat) lorsque ce dernier y possède un pouvoir hérité.

Il semble donc qu’une forme d’homologie de l’impact des croyances soit à l’oeuvre dans la construction des représentations de la situation et les attributions externes. Premièrement, plus les répondant-e-s adhèrent à l’ESJ, donc à une vision méritocratique et d’inéluctablilité des inégalités socio-économiques, plus ils/elles semblent accepter une organisation du groupe dans laquelle ils/elles occupent prétendument une position subordonnée, arbitrairement assignée (tirage au sort) et sans perspective de mobilité sociale. Deuxièmement, on a vu dans l’analyse des attributions externes (entre la mesure « standard » et après la manipulation des scénarii), que l’adhésion à l’ESJ agissait également comme un modérateur des explications sur la fonction de décisions. Plus les répondant-e-s justifient le système, plus ils/elles tendent à attribuer les situations à des facteurs externes lorsque les décisions sont partagées dans le groupe de travail. À l’inverse, moins ils les attribuent à ces

facteurs lorsque les décisions sont prises par le représentant uniquement. De l’autre côté, plus on remet en question le système économique et plus on attribue les situations à des facteurs externes lorsque c’est le représentant qui prend les décisions. En revanche, moins on les attribue à ces facteurs lorsque les décisions sont partagées. Autrement dit, lorsqu’on justifie le système économique c’est avant tout la chance et le contexte qui expliquent le mieux ce qui arrive dans un groupe où les décisions sont partagées. À l’inverse, moins on justifie le système, plus on estime que c’est dans un groupe où les décisions sont prises par le représentant que la chance et le contexte expliquent le mieux ces événements.

Finalement, les analyses du modèle complet ont montré que les deux phénomènes de construction des représentations sociales et des attributions s’articulaient autour de la fonction de décision. En effet, le modèle de modération médiatisée a montré que l’ESJ intervenait dans la construction des représentations de la situation et que cette représentation était liée au type d’attribution. Les gens qui justifient le système économique semblent donc en quelque sorte moins se déresponsabiliser lorsqu’ils/elles se représentent une situation de travail hiérarchique du point de vue des prises de décision. C’est la logique inverse qui semble en revanche être adoptée par celles et ceux qui remettent en question la croyance dominante.

Pour ce qui est du second objectif de cette recherche - la validité du questionnaire utilisé dans cette étude - il semble tout d’abord que l’échelle de justification du système économique de Jost et Thompson (2000) ait montré son efficacité dans l’utilisation qui en a été faite. En effet, comme je l’avais mentionné dans la première étude, elle s’apparente énormément, en tant que principe de justice, à la représentation sociale du néolibéralisme et à une dimension relative au mérite individuel. En tant que mesure qui indique l’adhésion à une épistémo- idéologie (Camus, 2002a), une vision du monde hégémonique ou, pour reprendre le concept développé par Fauconnet, comme un ensemble de règles de responsabilité, ces croyances agissent donc comme des modérateurs dans la prise de position des répondant-e-s dans des situations de travail différemment organisées.

Concernant l’opérationnalisation des rapports sociaux dans les groupes de travail selon les trois fonctions de délégation du pouvoir propre aux structures organisationnelles définies par Beauvois, elle semble tout à fait appropriée pour étudier les effets de contexte et les rapports qui en découlent. En effet, le simple fait d’avoir vérifié la pertinence des effets principaux et d’interaction qu’occasionnent ces variables avec l’ESJ semble confirmer la pertinence de les utiliser pour signifier des rapports sociaux dans une organisation. Il semble donc bien que la manipulation de l’une ou l’autre de ces fonctions occasionne une imagerie différente du groupe de travail et de sa légitimité chez les étudiant-e-s interrogé-e-s.

Ensuite, les items construits à partir des propositions théoriques de French et Raven dans l’étude du pouvoir et celles qui sont inspirées des travaux de Tajfel dans le cadre de la TIS ont permis de dégager deux facteurs, deux principes organisateurs des représentations sociales de la situation de travail en termes de légitimation et de pouvoir perçu chez le représentant. Les résultats obtenus sur ces mesures (trois effets principaux au moins tendanciels de la manipulation de chacune des fonctions sur la légitimation de l’organisation et un effet principal de la fonction de décision sur la légitimation du représentant), semblent confirmer leur dépendance au contexte dont elles sont issues (les scénarii dont les trois fonctions ont été manipulées). Ils confirment par ailleurs qu’un groupe dans lequel les rôles sont faiblement définis, où le pouvoir est fortement dilué, laisse entrevoir des représentations sociales qui en légitiment l’organisation.

Or, pour revenir sur les scénarii, il n’a pas véritablement été possible de considérer chacun des huit scénarii en soit. Mais est-il seulement nécessaire et pertinent de soumettre les répondant-e-s à ces huit configurations théoriques ? En effet, quel sens y a-t-il à proposer de se représenter un groupe où tous les membres décident ensemble de la manière de travailler, endossent de manière collective la responsabilité de l’échec ou de la réussite, mais qui sont ensuite évalués par l’un-e des leurs (le représentant) uniquement ? Ou encore un groupe où tous les membres décident du fonctionnement et des évaluations, mais où c’est uniquement le représentant qui endosse la responsabilité du résultat ?

A partir du niveau de délégation et de sa forme, en termes de partage ou non du pouvoir dans ces trois fonctions, on peut définir deux types opposés, plus théoriques et idéal-typiques que réels, de structures organisationnelles. Il y aurait d’un côté des structures

hiérarchiques (Beauvois, 1983) qui s’apparentent aux structures qu’Enriquez nomme les

structures charismatiques (allégeance au chef) et bureaucratiques (« ensemble administratif ayant pour socle des normes et règles impersonnelles de fonctionnement auxquelles tous les membres de l’organisation (…) doivent normalement se conformer » [Enriquez, 1983, p.109]). Dans une structure hiérarchique c’est donc le « chef » ou le « supérieur hiérarchique » qui assume les trois fonctions fondamentales (Beauvois, 2005, p.390) et « dont le travail individuel sera précisément de prendre les décisions en matière de coopération, d’assumer la responsabilité du travail collectif et d’évaluer la participation de chacun à ce travail collectif : (…) » (Beauvois, 1983, p.51). On se retrouve donc dans une configuration où le « leadership » s’apparente à celui des groupes autoritaires décrits et étudiés dans les travaux dirigés par Lewin (cf. Lewin & al., 1939 ; Lewin & Lippitt, 1938). Il s’agit donc

d’une structure hiérarchisée où la décision est la plus médiatisée des activités des chefs selon Beauvois, ce que semblent montrer les premiers résultats.

De l’autre côté, qui s’oppose en tous points à la structure hiérarchique, il y aurait ce que Beauvois nomme une structure élective et autogestionnaire. Enriquez parle quant à lui de

structure coopérative (1983, p.110-111). Comme l’autogestion est « l’exercice collectif de la

décision » (Beauvois, 1983, p.60), ce sont les travailleurs qui élisent les responsables, décident collectivement de l’organisation du travail et déterminent les processus opérationnels dans une telle structure. Or, comme le mentionne Beauvois, « toute idéologie participationniste ou autogestionnaire ne peut résister à cette logique marchande qui impose la hiérarchie comme idéal-type de structure organisationnelle » (1983, p.59). Les dispositifs autogestionnaires, coopératifs, participatifs ou démocratiques (pour reprendre la classification de Lewin et al.), ne sont donc ni compatibles avec une logique marchande, ni avec une épistémo-idéologie organisationnelle qui réclamerait une parfaite allégeance à la hiérarchie.

Comme je vais essayer de le montrer maintenant dans une analyse post hoc des données de l’étude II, il est sans doute possible d’alléger le dispositif expérimental. Il s’agira donc de vérifier si le scénario où toutes les fonctions sont partagées et le scénario dans lequel le représentant endosse le pouvoir se différencient le plus au niveau des mesures de perception des rapports sociaux dans les groupes et au niveau des attributions.

5.2.5. Analyse de la légitimation d’un groupe en fonction de son type