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Les attributions sociales : une définition

2.4. Les attributions sociales

2.4.4. Les attributions sociales : une définition

Les situations d’interaction mettent donc en scène un certain nombre d’éléments ou d’objets. Ces objets, actualisés lors des interactions, sont à considérer, comme le suggère Mead (1963), comme des symboles chargés de sens. Les individus ont un passé, une histoire et donc des croyances idéologiques qu’ils ont constituées à travers leurs expériences. Ces croyances, ces univers symboliques (Berger & Luckmann, 1996) importés dans un contexte spécifique d’interaction, devraient orienter les jugements, les moduler (Doise, 1976, Deschamps et Doise, 1979). En retour, les attributions qui interviennent lors de ces interactions peuvent occasionner des changements au niveau des cognitions (Deschamps & Clémence, 1990).

Comme le proposent de plus Hewstone et Jaspars, « la théorie de l’attribution devrait être intégrée à la psychologie des relations intergroupes afin de rendre raison de la nature causale des stéréotypes sociaux, des représentations sociales et même de certaines idéologies largement répandues » (1990, p.241). C’est ce que suggère Howarth (2006,) dans une réflexion sur le concept de représentation sociale. La chercheuse britannique propose en effet que les représentations sociales soient considérées comme des réifications ou des légitimations des systèmes de connaissance, mais aussi comme des guides vers l’action, des outils à même de générer des prises de position créatives et contestataires d’un ordre social donné. L’autrice se propose donc de remettre les rapports de pouvoir qui distinguent et stigmatisent des groupes sociaux dans un espace social au centre de l’étude des représentations sociales. Dans ce cadre, « hegemonic representations pervade the dominant social construction of reality; oppositional representations contest these versions » (Howarth, 2006, p.79). La pérennité d’un ordre social dominant dépendrait alors du « continuous and creative (ab)use of representations that mystify, naturalize and legitimatize access to power » (Howarth, 2006, p.79). En bref, si les représentations sociales sont souvent des outils de reproduction sociale, elles sont aussi des vecteurs possibles du changement et revêtent des enjeux de lutte en termes de pouvoir (cf. aussi Herzlich, 1972) et donc de remise en cause possible d’un ordre social hégémonique.

La question qu’il est alors nécessaire de se poser, à l’instar de Deschamps et Clémence (1990), est de savoir si le processus d’attribution est un pur processus de reproduction sociale (comme le sous-tend l’approche classique) ou un processus dynamique de construction de la réalité, où l’on « expliquerait les observables en les ramenant à des croyances, des "théories implicites", à des éléments déjà connus » (Deschamps & Clémence, 1990, p.111). Selon Deschamps et Clémence, les attributions sociales reposent donc sur le fait que :

« (…) se connaître, connaître autrui ou connaître le monde, ce n’est pas avoir accès à soi, à autrui ou au monde. C’est beaucoup plus se construire une idée de soi, des autruis et du monde. Et cette construction nécessite plus qu’un simple travail cognitif sur les indices dont on dispose. Elle nécessite aussi la mobilisation d’un ensemble de théories. En d’autres termes, il faut admettre que les représentations sociales sont la toile de fond sur laquelle les processus d’attribution peuvent se manifester et que, parallèlement, ces mécanismes inférentiels permettent un travail de transformation des contenus au niveau représentationnel, ne serait-ce que par l’intégration d’éléments nouveaux. L’attribution renverrait alors à un processus cognitif supposant l’activation de contenus préexistants et permettant dans le même temps la dynamique de ces contenus » (Deschamps & Clémence, 1990, p.166).

Dans ce chapitre, j’ai essayé de montrer que les représentations que produisent les groupes, qu’elles soient des visions larges sur la nature du monde ou des visions d’une situation d’interaction comme on peut en trouver dans des petits groupes, ou l’imbrication de ces deux niveaux, pouvaient générer des jugements différents.

Les travaux sur l’hypothèse de covariation ou ceux sur les représentations des groupes « collection » et « agrégat », sont axés sur une différence qui parcourrait nos propres sociétés et les groupes qui la composent. L’approche en termes de représentation des groupes considère les représentations produites dans et par les groupes comme des justifications d’un ordre social particulier, relatant d’une « idéologie qui reproduit la hiérarchisation » (Deschamps & Doise, 1979, p.312).

On pourait cependant reprocher à cette dernière approche de souffrir d’un manque de souplesse. En effet, dès lors que l’on considère que seuls les membres de groupes dominants dans la structure sociale produisent des représentations du groupe en termes de collection, on s’empêche de voir que des membres de groupes dominés puissent adopter des logiques de distinction ; ce qui est contredit par les travaux dirigés par Lemaine sur la dissimilation, mais pas seulement. Au niveau sociétal par exemple, si les femmes ne s’étaient perçues que comme membres du groupe dominé des « femmes », en premier lieu définit par leur position par

rapport aux dominants (les hommes), premièrement certaines d’entre-elles ne se seraient jamais révoltées (à travers la recherche de leur émancipation individuelle) et, deuxièmement, le mouvement féministe n’aurait sans doute jamais réussit à faire reconnaître au niveau sociétal l’égalité (en droit) entre les hommes et les femmes.

Au-delà de cette critique, qui n’enlève bien évidemment rien à la richesse de l’approche des représentations des groupes, l’approche des attributions sociales permet d’aborder les d’attributions dans des dynamiques qui font intervenir un ancrage sociologique ou positionnel dans des groupes sociaux. Les attributions ne se feraient pas en dehors des représentations que produisent les gens des situations dans lesquelles ils se trouvent. Mais ce processus d’ancrage des représentations fait appel aux expériences passées et à des croyances antérieures. Il semble donc que des croyances ou les systèmes qu’elles forment puissent être à l’œuvre dans le processus d’attribution lui-même. Ces croyances pourraient alors intervenir dans des dynamiques de remise en cause de l’ordre social hégémonique.

Avant de préciser cette hypothèse, ce qui sera fait dans la partie consacrée aux croyances de niveau idéologique, je reviens dans la partie suivante sur deux chapitres développés par Heider à propos de l’intervention des valeurs et des devoirs dans le processus d’attribution. Cet éclairage permettra de relativiser l’image assez réductionniste qui a parfois été donnée de son travail, puisqu’on verra que des dynamiques sociales en termes de normes n’étaient pas tout à fait absentes de ses réflexions sur les attributions.

Ensuite, j’aborderai un auteur dont Heider s’était déjà inspiré dans son article de 1944, mais dont la portée des propositions semble avoir été négligée par ses continuateurs. En effet, l’apport de Fauconnet, de l’école française de sociologie, permet de fixer un regard un tant soit peu différent sur les attributions de responsabilité. La pierre angulaire sur laquelle je m’appuierai pour exposer sa pensée est sa proposition de l’existence de règles de

responsabilité, que l’on peut rapidement définir comme un ensemble de règles socialement

construites et partagées qui président au jugement de responsabilité (qu’il distingue strictement de l’attribution de causalité).