• Aucun résultat trouvé

La remise en question des échelles et des modes d’actions

II Opposition et rapprochement des politiques publiques de l’aménagement et de l’environnement

II. 2 La dialectique et ses développements

2.12 La remise en question des échelles et des modes d’actions

Au tournant des années quatre-vingt-dix, la politique publique de l’aménagement du territoire est confrontée à un nouvel ensemble de réalités spatiales, ce que F.

Taullele et C. Alvergne approchent comme « les nouvelles figures géographiques de l’aménagement ». Ces nouvelles réalités sont caractérisées par un renforcement du phénomène de « métropolisation », qui affirme le rôle et le pouvoir des villes et des agglomérations, par une montée en puissance des ensembles régionaux dans l’espace européen, et par la persistance, si ce n’est l’accroissement, des déséquilibres démographiques, la mise en place de nouvelles formes de peuplement. Sur le plan économique, les écarts régionaux ne se résorbent pas et de nouvelles dynamiques apparaissent en termes de transports ou de développement local (ALVERGNE TAULLELE 2002).

Le questionnement qui se dessine s’accompagne d’une remise en cause profonde de la politique publique de l’aménagement du territoire, de ses modes d’action, des échelles sur lesquelles elle prend appui. Comme nous l’avons précédemment montré, d’une part, sa mission s’est globalisée et, d’autre part, elle est perçue, en tant que politique publique, comme un des outils permettant la poursuite des objectifs de régulation par l’intégration des préoccupations environnementales dans les objectifs qu’elle énonce et les cadres qu’elle initie. Ses outils sont réinitialisés, les cadres de la planification rénovés et les stratégies globalisées (cf. Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire, loi Solidarité et Renouvellement Urbains).

Les volontés de structuration du territoire national, par un ensemble de procédures centralisées, sont dénoncées. La politique publique de l’aménagement du territoire est de plus en plus confrontée à des territoires complexes dont les dynamiques prennent de plus en plus corps dans un espace européen fait d’ensembles régionaux, de villes et d’ensembles urbains de plus en plus puissants et de plus en plus fédérateurs en termes de développement. La notion de systèmes locaux avec toute la complexité qu’elle sous-tend est reconnue.

Les questions ouvertes portent sur la rigidité des découpages géographiques sur lesquels l’aménagement du territoire en tant que politique publique prend appui, sur la nécessaire évolution des stratégies jusqu’alors mises en oeuvre.

Ce mouvement de re-conceptualisation n’est pas isolé, il s’inscrit dans un questionnement européen portant sur les échelles et les territoires d’action. Ainsi, à l’échelle européenne, les collectivités locales, étudiées par un groupe de travail indépendant132, sont reconnues comme un des leviers à la poursuite des objectifs du développement économique et à la prise en compte des critères du développement durable. A une échelle plus régionale, le développement économique induit un développement des flux, un accroissement des pressions foncières, une recomposition des aires d’influence, la prégnance croissante d’une logique de réseau(x).

Le territoire est admis comme un ensemble d’espaces vécus dont les limites se dessinent sous l’effet des migrations alternantes, l’étalement urbain, les réseaux d’échanges et de coopérations locales.

132 L’association ICLEI : International Council for Local and Environmental Initiatives, constituée d’experts européens.

Les villes et les agglomérations apparaissent comme des ensembles

« polarisés par des réseaux de toutes sortes » (BEAUCHARD 99, page 17) dont les réalités spatiales dépassent les découpages conventionnels et institutionnels.

De ce point de vue, les agglomérations caractérisent les notions de système car leur développement et leur équilibre sont dépendants de l’étendue des réseaux qui les soutiennent, et qui à la fois les organisent. Elles se présentent comme des réalités territoriales avec leurs relations mariant la périphérie à l’hyper-centre, les banlieues au centre, la ville à la campagne. Elles forment aussi, et tout autant, des objets dont les dynamiques se défont des découpages institutionnels du fait des liens particuliers qu’elles auront tissés en se maillant dans un complexe mobile d’échanges et de flux (spécialisation des échanges, dépendance des marchés et des technologies, attrait culturel et social, etc.).

De fait, les découpages territoriaux résultant des pratiques et des réalités spatiales sont perçus comme les lieux où l’action doit prendre corps. De la ville à l’agglomération ou à la reconnaissance des dynamiques territoriales (régionales) de l’Europe, les questions auxquelles se confronte la politique publique de l’aménagement du territoire portent sur l’adaptation des découpages institutionnels, sur la recherche des échelles et des leviers d’action pouvant permettre la poursuite des objectifs d’adaptation de la ‘figure’ de la France et de régulation des systèmes.

Le débat se construit autour des notions de maillage et de polycentrisme, d’agglomérations et de pays. Le territoire national est fait d’un ensemble de systèmes locaux maillés dont les dynamiques s’insèrent dans un système européen structurant à l’intérieur duquel l’échelle régionale occupe une place centrale.

Sur le plan environnemental, à partir de l’analyse des problèmes environnementaux des villes européennes (l’European Green Book133), et des tentatives initiées par les Etats comme les plans départementaux pour l’environnement institués en France depuis 1987, l’idée d’un cadre contractuel à l’échelle des ensembles urbains se met en place.

Ce cadre, visant à encourager les réflexions, à dynamiser les échanges et à faire connaître les pratiques applicables en matière de développement durable, se

133 « Le livre vert sur l’environnement urbain » Direction Générale chargée de l’environnement, DG 11, Bruxelles, 1991.

matérialise sous la forme d’une charte des villes européennes durables. Diagnostics, évaluations et bilans sur les plans naturels et sociaux constituent les préalables à la mise en place des politiques volontaires.

En 1994, par le croisement des travaux et les participations de la Fédération Mondiale des Cités Unies (FMCU), de l’International Council for Local and Environmental Initiatives (ICLEI), d’Eurocities, du Conseil des Communes et Régions d’Europe (CCRE), du réseau Ville / Santé de l’Organisation Mondiale de la Santé, la conférence d’Aalborg, qui réunit trente-deux pays134, permet à un document cadre de prendre forme. La charte d’Aalborg est formalisée. Inscrite dans la continuité des orientations ouvertes par l’Agenda 21 et l’accompagnement dans la réalisation des Agendas (21) locaux,135 le document précise que le processus en cours est : « un système d’équilibrage novateur au plan local qui touche tous les aspects décisionnels de la collectivité » (Charte d’Aalborg § I.4)136.

L’examen du texte permet d’appréhender les orientations retenues comme l’affirmation de la volonté de corréler les notions d’environnement, de territoire et d’aménagement. Il permet aussi de relever la convergence des questions ouvertes par les deux politiques publiques à savoir la recherche d’échelles d’action plus pertinentes et la remise en question des appuis jusqu’alors utilisés par les politiques publiques pour poursuivre leurs objectifs.

« Nous, villes européennes, signataires de la présente charte, déclarons qu’au fil de l’histoire, nous avons connu des empires, des Etats et des régimes et leur avons survécu, que nous avons subsisté comme centres de la vie sociale, supports de nos économies et gardiens de la culture, des héritages et des traditions et qu’avec les familles et les communautés voisines, nous avons été les organisations de bases de nos sociétés et de nos Etats, les centres de l’industrie, de l’artisanat, du commerce, de l’éducation et du pouvoir » (1ére Partie §I.1).

134 Les quinze pays membres de la Communauté Européenne, la Suisse, les pays d’Europe centrale et orientale, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie.

135 3ème partie de la Charte.

136 La charte d’Aalborg sera suivie du Sommet de Lisbonne en octobre 98. Cette seconde conférence aura pour but principal de définir les axes de mise en acte et son objectif est le renforcement des agendas 21 locaux dans 35 pays européens.

« Nous comprenons qu’aujourd’hui notre mode de vie urbain, et en particulier nos structures - répartition du travail et des fonctions, occupation des sols, transports, production industrielle, agriculture, consommation et activités récréatives - et donc notre niveau de vie, nous rendent essentiellement responsables des nombreux problèmes environnementaux auxquels l’humanité est confrontée. (...) L’autorité locale est proche des problèmes environnementaux et la plus proche des citoyens ; elle partage les responsabilités avec les autorités compétentes à tous les niveaux, pour le bien-être de l’Homme et de la Nature. Les villes ont donc un rôle essentiel à jouer pour faire évoluer les habitudes de vie, et les structures environnementales » (1ére Partie §I.1).

« Nous, villes, comprenons que le concept de développement durable nous conduit à fonder notre niveau de vie sur le capital que constitue la Nature. Nous nous efforçons de construire une justice sociale, des économies durables, et un environnement fiable. La justice sociale s’appuie nécessairement sur une économie durable et sur l’équité, qui reposent à leur tour sur un environnement viable. Environnement durable est synonyme de maintien du capital naturel. Il exige que nous ne consommions pas les ressources renouvelables, notamment en énergie et en eau, plus rapidement que la nature ne peut les remplacer, et que nous n’exploitions pas les ressources non renouvelables plus rapidement que les ressources renouvelables durables ne peuvent être remplacées. Environnement durable signifie aussi que la pollution ne doit pas être supérieure à la capacité de l’air de l’eau et du sol à l’absorber et à la traiter » (1ére Partie §I.2).

Passant de la position réflexive aux cadres opérationnels, la charte envisage le processus d’innovation et d’équilibre par des plans locaux tendant à initier la concertation et la négociation comme la mise en perspective de l’économie et de la justice sociale. Déclinant les champs dans lesquels les réajustements doivent se manifester, c’est l’ensemble des principes d’aménagement du territoire, de gestion des flux ou encore de développement des activités qui est questionné.

La volonté participative à la régulation des problématiques environnementales, induite par la charte d’Aalborg, tend à mettre en cohérence les attitudes correctives.

Elle se formalise par les volontés d’échange et de coordination des savoirs et des expériences et s’inscrit dans la campagne des villes européennes durables.