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II Opposition et rapprochement des politiques publiques de l’aménagement et de l’environnement

II.1 Bases conceptuelles et orientations de la dialectique

1.23 Activité et pollution

Dans la droite ligne des orientations internationales, les différentes tentatives de régulation initiées par l’Etat français tentent de ménager le milieu naturel. En filigrane, la question de la protection de la nature contre les pressions anthropiques est manifeste. Cette question semble franchir une nouvelle étape et se renforce sous l’effet de la mise en danger des biens et des personnes, via les atteintes aux milieux, la dégradation des conditions de vie. Sur ce plan, la régulation des pollutions s’impose et les volontés portent sur des tentatives de réajustement des pratiques.

Les catastrophes à caractère civil et écologique vont renforcer la notion de priorité et le droit va développer un arsenal conséquent quant à la régulation effective.

Citons à Minamata, en 1956 au Japon, la contamination de l’eau par une industrie chimique avec des sels de mercure qui entraîne deux cent cinquante décès et cent mille empoisonnements.

En 1965 en France, à Feyzin dans le département du Rhône, l’explosion d’une citerne de gaz tue dix-sept personnes et en blesse quatre-vingt-quatre. Au printemps 1967, un pétrolier géant dénommé le ‘Torrey-Canyon’ se brise sur la côte bretonne et laisse écouler cent mille tonnes de pétrole brut sur le littoral. Largement médiatisée, la catastrophe marque les consciences et s’inscrit au titre de série des catastrophes d’ordre écologique de grande ampleur lorsque le 16 mars 1978 un autre pétrolier, “ l’Amoco-Cadiz ”, s’échoue, toujours sur les côtes bretonnes. Sous l’effet combiné des vents violents, cette seconde marée noire (française) souille trois cents kilomètres de granit entre Portsall et Bréhat. Associé au naufrage du “ Sea-Star ” dans le golfe d’Oman en 1971 dont la marée noire est de cent quinze mille tonnes, et à l’accident industriel de Flix-Borough en Angleterre comme à celui réputé de “ l’affaire Seveso ” en 1976, dans la ville de Meda en Italie par une fuite de dioxine, les années soixante-dix se caractérisent par la responsabilité industrielle.

Responsabilité qui franchira une nouvelle étape au tout début des années quatre-vingt avec le phénomène des «pluies acides» dont la causalité est imputée aux pollutions diffuses. C'est-à-dire aux pollutions dont les volumes n’entraînent pas d’atteintes à caractère exceptionnel ou spontané mais dont les effets sont réels sur la qualité des facteurs naturels et, de fait, sur la qualité des milieux sans que ceux-ci soient forcément contigus au lieu de rejet.

Plus aisées à entreprendre au titre des fondements constitutionnels de la protection des personnes, les premières mesures concrètes visent à la recherche de responsabilité et à la qualification des notions de dommages. Le 19 novembre 1969 est signé le protocole de la convention internationale sur la « responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ». Elle sera suivie du protocole « portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ».

Dans le même temps, en prenant appui sur les règles de « bon voisinage » et de coopération entre les Etats, des attitudes de protection des milieux se développent. En décembre de la même année, sont signées les conventions visant à la protection du Rhin contre les pollutions chimiques de toutes natures et contre la pollution par les chlorures plus spécifiquement. Puis, ce sont en 1971 les résolutions de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique sur “ la procédure de notification et de consultation concernant les substances ayant une

incidence sur l’Homme ou son environnement ” et les décisions de “ contrôle des diphényls-polychlorés ” en 1973.

A l’échelle des accords multilatéraux, l’Europe légifère quant à la

“ classification, l’emballage et l’étiquetage des produits dangereux ”. Sur le même modèle de contrôle, la directive du 22 novembre limitant l’emploi des détergents biodégradables est promulguée.

L’industrie apparaît comme le mal à combattre et un volume important de textes réglementaires va nourrir l’opposition entre l’industrie et l’environnement naturel. Contradiction forte, peu alimentée d’une vision globale, ce cloisonnement va conduire les attitudes de régulation à poursuivre un objectif de minimisation de l’impact des systèmes industriels sur la Nature, sur l’environnement, c'est-à-dire sur les espèces, les espaces (milieux, biotopes - biocénoses), l’air, l’eau, et les hommes (ERKMAN 98, page 9).

Différentes orientations vont prendre corps afin de créer un cadre défensif pour l’environnement et la protection des personnes et des biens. En terme d’aménagement du territoire, les questions ouvertes par la régulation portent sur la distribution des activités, les emplacements réservés aux usages, les problèmes de cohabitation entre activités et habitat par exemple.

Il s’agit, à partir des bases instituées par les lois de 1810 et de 1917, du développement des procédures de classement. Celles-ci tendent à organiser la lutte contre la mise en danger des populations. Elles concernent la protection du voisinage, de la santé et de la sécurité comme de la salubrité publique. Sans réellement différer des modalités préalables, la responsabilité du contrôle est transférée du ministère de l’industrie au ministère de l’environnement.

Le classement des installations polluantes ou dangereuses, établi à partir de la loi de 1976, regroupe en deux catégories de taille les activités industrielles, artisanales et agricoles qu’elles soient publiques ou privées. Elle rend préalable à la mise en œuvre de l’activité une étude d’impact permettant de reconnaître et d’évaluer la notion de danger et d’atteintes potentielles à l’environnement. Elle fait suite au cadre des autorisations préalables fixées, par exemple, par la loi du 2 février 1970 pour l’ouverture et l’exploitation des carrières. Techniques et hiérarchisées, de la notice à l’étude, les modalités de conformité englobent des mesures de protection interne du personnel jusqu’à la prise en compte des dangers encourus par les

populations environnantes. Elle se traduit dans les documents d’urbanisme par la mise en place de zonages spécifiques avec un ensemble de servitudes techniques, sans qu’une contrainte d’éloignement soit spécifiée (PRIEUR 96, page 447).

En ce qui concerne l’aménagement, la question ouverte est celle de l’installation des établissements ou du contrôle des établissements existants, ce qui, par l’intermédiaire de la loi d’orientation foncière, pose un réel paradoxe. La loi mentionnant la procédure des installations classées n’impose pas l’éloignement mais force au développement d’un ensemble de servitudes à l’échelle des périmètres de protection. La lutte contre la nuisance se retourne ainsi contre le propriétaire qui, en connaissance des servitudes énoncées, doit se contraindre à l’acceptation du risque et de la pollution.

Cette réalité fera écrire à M. Prieur que « le type de servitude qui est imposé aux pollués sans indemnisation consacre la reconnaissance d’un droit de nuire au profit des installations classées et est directement contraire au principe pollueurs/payeurs » (PRIEUR 96, page 447).

Sur le fond, les objectifs poursuivis par la politique publique de l’environnement, le modèle procédural n’est pas satisfaisant car il est sujet et caution à de nombreux détournements88. Complexes à conduire, les premières mesures significatives, en sus du développement des normalisations techniques et des périmètres défensifs, se traduisent par une volonté d’association des professionnels.

Ainsi, en France à partir de 1972, des contractualisations de branche professionnelle et des contrats d’entreprises entre le ministère de l’environnement et les milieux professionnels se mettent en place. Il s’agit de programme d’équipement visant à la réduction des pollutions principalement des eaux de surface (PRIEUR 96, page 129).

Les principaux secteurs concernés sont ceux de la papeterie, de l’industrie sucrière et du textile. A partir d’un modèle d’engagement contractuel les attitudes de régulation consistent à mêler l’aide financière aux investissements antipollution effectués par les entreprises. Largement critiqués, malgré la réelle tentative

88 Les auteurs comme M.Prieur notent par exemple des contestations issues de la survivance de droits attachés à la propriété, leur étonnement quant au fait qu’une mesure de police ne s’applique pas immédiatement en matière de pollutions industrielles (PRIEUR 96, page 446-447)

d’intégration poursuivie au titre du droit et des détournements indirects que la mesure pouvait constituer par rapport au pouvoir de police, les contrats d’entreprises furent abandonnés au tournant des années quatre-vingts. Sous un autre angle, les mesures placées sous l’angle d’aides et de participations financières restent fortement ancrées dans la démarche et dans les tentatives de régulation. Institué par la loi sur l’eau de 1964, le principe tend à financer les dépollutions ou les actions de protection induites par ces mêmes pollutions. Repris et réajusté par les lois de 1974 sur le financement des agences de bassins, de 1976 sur la protection de la nature, de 1979 pour l’élimination des déchets, l’objectif poursuivi tend à la prise en compte par l’entreprise des coûts, en espérant que la charge induite sera suffisamment pesante pour inciter cette même entreprise à préférer le développement d’équipements techniques plus conformes aux attentes exprimées. Liée à des critères de normalisation technique, l’incitation financière s’étend des rejets atmosphériques, aux pollutions diffuses dans le milieu aquatique en passant par les volumes de déchets produits.

En complément des tentatives de contractualisation, de fiscalisation et dans la droite ligne des premières orientations retenues par les instances de la coopération internationale l’Etat promeut les normalisations techniques en visant à l’adaptation des techniques de production aux exigences des équilibres environnementaux. Le développement des normalisations tend à inscrire des seuils de conformité entre, d’un côté, le développement des activités et, de l’autre, la capacité du milieu à en supporter les effets, c'est-à-dire suivant un principe de tolérance. La loi du 12 juillet 1977 sur le contrôle des produits chimiques prend appui sur les législations existantes concernant les produits toxiques et les explosifs (loi n° 77-151).

La finalité recherchée est de constituer un cadre harmonisé sur la base des volontés d’organisation des réglementations européennes et des orientations prescrites par l’OCDE et la recommandation C 74-215. Complexe, eu égard au grand nombre de polluants et au petit nombre sur lesquels les relations de cause à effet peuvent être déterminées, le cadre normalisateur développé, pour être défendable sur le plan juridique, reste relativement faible.

« Le petit nombre de polluants, pour lesquels l’établissements des relations doses/effets est possible, indique quelle est la difficulté de l’entreprise. Dans de nombreux cas, en effet, la quantification de ces relations n’est pas toujours possible

avec une certitude scientifique suffisante pour justifier des normes contraignantes...»

(RECHT 81, page 9).

A ce niveau, les réglementations relatives à l’utilisation et à la normalisation des pesticides agricoles soumises à un cadre strict depuis la loi de 1943 ont été réajustées. L’homologation temporaire est attribuée au seul produit dont la non-toxicité peut être prouvée (art. 1 loi du 22 décembre 1972, PRIEUR 96, page 600 – décret 12 février 1973 73-192). De la même façon, la directive européenne de 1978 (78-631) tend au contrôle des teneurs des résidus dans certains aliments, à la définition de règles d’emballages normalisées.