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L’ébauche d’une stratégie d’action

II Opposition et rapprochement des politiques publiques de l’aménagement et de l’environnement

II. 2 La dialectique et ses développements

2.11 L’ébauche d’une stratégie d’action

Les « apports » du Sommet de la Terre ne sont pas nouveaux, et la conférence ne révèle ni ne formalise une ou des problématiques environnementales récemment découvertes. Les grandes questions et thématiques induites par le sujet sont récurrentes depuis l’ouverture des débats sur le développement et le « mythe de la fin » par le Club de Rome en 1968. Elles se sont développées et ont été ponctuées par la conférence de Stockholm en 1972, la rencontre internationale Habitat I en 1977; la stratégie mondiale de la conservation en 1980 ; la conférence sur les problématiques de développement à Nairobi en 1982, la mise en place de la commission Brundtland en 1983 (et la publication de son rapport en 1987), la convention de Vienne en 1985 et le protocole de Montréal relatif à l’appauvrissement de la couche d’ozone en 1987.

En même temps, et c’est en cela que ce sommet constitue une réelle impulsion, la déclaration préconise le croisement des attitudes de protection, de gestion, de prévention et de régulation dans un ensemble complexe, dont la caractéristique principale est de mettre en vis à vis l’action à conduire et la situation en place (l’état de l’environnement). Il s’agit tout à la fois de prendre en compte les réalités sociales, économiques, culturelles en place, le milieu naturel, son état et ses dynamiques, les atteintes constatées, induites et probables sur l’environnement et d’inscrire le tout dans un programme d’action. L’homme, en tant que facteur

dynamique, est de fait inséré dans ce système complexe fait de spécificités locales et de dynamique globale.

M. Prieur écrit à ce propos : «Aujourd’hui éclate au grand jour ce qui résultait depuis fort longtemps des réflexions des naturalistes et écologues, à savoir que l’homme, comme espèce vivante, fait partie du système complexe de relations et d’interrelations avec son milieu naturel » (PRIEUR 96, page 1).

La déclaration et les intentions qu’elle énonce permettent le dépassement des orientations sectorielles en globalisant dans une échelle de temps (le développement durable) l’action collective et la responsabilité individuelle, les politiques publiques et les initiatives privées. Sur ce point, les commentateurs comme S. Maljean-Dubois129 reconnaît que l’évolution des structures, qui présentent en pratique une grande diversité, converge vers un modèle en forme de triptyque permettant le développement de véritables filières de contrôles.

Ces filières de contrôles croisés, auxquelles les organisations non gouvernementales sont associées, sont composées généralement d’un ou plusieurs organes directeurs de nature politique : les instances décisionnelles ; de structures scientifiques : les instances consultatives composées d’experts et de structures administratives.

Sans ignorer les débats sur l’évolution du droit (entre un droit imposé et un droit négocié) des modèles démocratiques (représentatif ou participatif), les orientations permettent d’appréhender l’évolution conceptuelle qui se formalise. Le rapprochement entre la situation et l’action conduit à l’affirmation de la dialectique établie entre l’aménagement et l’environnement, entre la volonté d’agir et d’organiser, de « disposer avec ordre » les hommes et leurs activités130 et les réalités dynamiques qui lient les établissements humains à leur environnement naturel, au système global.

La question posée par la conférence de Rio-de-Janeiro est sans aucun doute celle de « l’ordre » qui se définit comme un aménagement durable pour peu que l’on accepte que le bon ordre soit conceptualisé comme un ensemble d’actions socialement équitable, économiquement fiable et écologiquement viable.

129 In Collection Coopération et Développement dirigé par J. Bourrinet, Claude IMPERIALI éd. « L’effectivité du droit international de l’environnement – contrôle et mise en œuvre des conventions internationales », (CERICU 98).

130 Cf. I 1.2.

Là, l’Agenda 21, qui se veut être un nouveau cadre d’action et de partenariat, tend par ses différentes orientations à formaliser cette volonté de mise en ordre impulsée par la conférence. Le cadre qu’il constitue prend appui sur la diversité des échelles relatives à l’aménagement car celui-ci, rappelons-le, peut se concevoir à des échelles très diverses et est par essence global.

L’environnement global devient dès lors la préoccupation transversale et constante de l’action puisqu’il est, lui, ce milieu dans lequel l’organisme fonctionne incluant l’air, l’eau, la terre, les ressources naturelles, la flore, la faune, les êtres humains, leurs activités et leurs interrelations. (AFNOR 2001). Il est cet ensemble de facteurs naturels et sociaux, dynamiques entre eux, organisés, et organisant le système global, ce que la conférence de Rio met en avant à travers ses différents principes en affirmant que le monde est un tout marqué par l’interdépendance, et qu’il faut admettre l’impossibilité de considérer l’environnement isolément du processus de développement et la nécessité de prendre en compte le coût des protections ou encore l’obligation de coopération entre les Etats et la participation de tous les acteurs afin de répondre aux impératifs imposés par la conservation, la protection et le rétablissement de la santé et de l’intégrité de l’écosystème terrestre.

Ce rapprochement entre l’état de l’environnement et l’action du facteur humain dans un système interdépendant permet de reconnaître l’aménagement et l’environnement comme des ensembles de réalités produites, héritées et décidées dont les échelles se superposent, s’imbriquent et se complètent. Nous pouvons considérer que, si l’aménagement est issu d’actions volontaires et que l’environnement est le résultat d’un ensemble d’interactions, les deux notions s’interrogent et répondent à une logique de système et d’interdépendance.

L’action volontaire est possible dans un environnement déterminé et appréhendé, l’environnement se modifie par la somme des actions volontaires et des dynamiques provoquées. La modification induite de l’environnement génère en retour un ensemble d’actions volontaires qui produisent un certain effet.

Sans réduire ou déliter le débat et la mise en acte des objectifs à poursuivre au titre des politiques publiques, la conférence de Rio-de-Janeiro imbrique les questions relatives aux deux champs disciplinaires.

L’action d’aménager localement devient un préalable à l’équilibre de l’environnemental global ; la question de l’équilibre environnemental un préalable aux questions des équilibres sociaux et économiques dans le territoire dont l’aménagement du territoire, en tant que politique publique a en charge la responsabilité initiale.

En fonction de cette interdépendance des champs disciplinaires, les questions qui les articulent reposent sur le sol et ses usages, l’air et sa qualité, l’eau et ses critères qualitatif et quantitatif, la biodiversité et l’exploitation des ressources, l’organisation physique des établissements humains, de leurs activités. La dialectique qui s’établit entre les volontés d’actions et les conditions de l’équilibre environnemental pose la question des synergies entre les politiques publiques de la ville, des transports, du logement, de l’industrie comme celle de l’agriculture et de la forêt ou encore, et de fait, celle de l’environnement.

Sur le plan des enjeux, les changements climatiques, l’épuisement des ressources, la pollution des eaux induits par les activités humaines ou les équilibres socio-démographiques restent les points majeurs d’interrogation à l’échelle d’un temps de plus en plus immédiat qui est celui de l’équilibre planétaire et de celui plus prospectif des générations futures.

La conférence de Rio-de-Janeiro, comme l’Agenda 21 qui en découle, marquent ainsi une nouvelle étape dans l’approche de la problématique environnementale en interrogeant, en amont, les politiques publiques de l’aménagement du territoire. De ce point de vue, les rencontres internationales qui succèdent à la conférence de Rio-de-Janeiro s’attachent à une approche de conciliation des enjeux et des cadres participatifs (sujet central à la conférence de Johannesburg).

Elles envisagent la question des équilibres naturels non plus au simple titre d’une protection physique ou d’une défense mais suivant une approche de conciliation, de restauration, d’intégration et de participation, conformément à l’évolution des cadres de mise en acte préalablement abordés. En sus des différents commentaires que nous avons insérés, en organisant les différents principes liés à la poursuite des réajustements à conduire, nous pouvons relever que seize des vingt-sept principes de la Conférence de Rio concernent l’action internationale. Il s’agit de la coordination des orientations, du partage des connaissances, de la solidarité entre les Etats et de l’élimination de la pauvreté.

Parmi les onze autres principes, cinq précisent que l’être humain est l’objectif du développement durable et formulent des exigences d’équité, de solidarité et de subsidiarité.

Sur les quinze principes faisant expressément référence à l’environnement et à la santé de l’Homme, neuf renforcent les concepts de solidarité, de paix et de responsabilité à l’échelle internationale. Six prônent l’intégration des dynamiques naturelles dans le développement des activités et la participation de tous au processus d’information et de décision, la mise en œuvre du principe de précaution et le rôle central de la législation et des études préalables131.

Si la conférence ouvre une nouvelle étape dans la conceptualisation de l’environnement, elle tend également à l’organisation du cadre permettant la poursuite des objectifs imposés par la notion de développement durable. La question est dès lors d’envisager les cadres complémentaires de régulation et de faire émerger les échelles opérationnelles d’actions. L’agenda 21, à travers ses quarante chapitres, huit cents articles et ses deux mille cinq cents recommandations, en concrétise les orientations.

Les quatre sections qui réunissent les différents articles globalisent les dimensions sociales, économiques et naturelles du système global. Le chapitre 7 de la première section définit la promotion d’un modèle viable des établissements humains et insère les objectifs consistant à mettre en cohérence le développement urbain et les attentes globales : c’est la planification et la gestion durable des ressources foncières, l’intégration des infrastructures environnementales de type eau et assainissement comme la gestion des déchets et la mise en œuvre de politique viable de l’énergie et des transports.

Consacrant le rôle des unités locales, la section 3 précise, entre autres, l’importance décisionnelle et participative des communautés régionales, des populations autochtones, des organisations non gouvernementales et des collectivités locales.

Réellement inscrits dans la recherche d’un nouveau cadre de mise en acte des attitudes correctives et en sus de l’ouverture à la participation des organisations

131 Mémoire de DESS IATEUR, M-C. BERTHOU 98, S/D P.Dal Cin « Développement durable : mise en œuvre à l’échelle d’un service des espaces verts d’une ville, l’exemple de Troyes », IATEUR, Université de Reims, 98, 128 pages.

non gouvernementales dans les processus de décision, ce n’est pas moins de deux tiers des articles qui attestent du rôle essentiel que jouent les autorités locales. A cet égard, l’article 28 relatif aux « initiatives des collectivités locales à l’appui d’Action 21» finalise avec le plus d’acuité les orientations poursuivies.

Les objectifs ainsi déclinés proposent :

« a) d’ici à 1996, la plupart des collectivités locales de tous les pays devraient mettre en place un mécanisme de consultation de la population et parvenir à un consensus sur un programme d’Action 21 à l’échelon de la collectivité ;-

b) d’ici à 1993, la communauté internationale devrait lancer un mécanisme de concertation en vue de développer la coopération technique entre les collectivités locales ;

c) d’ici à 1994, les représentants des associations de municipalités et d’autres collectivités locales devraient développer leur coopération et leur coordination afin de renforcer l’échange d’informations et de données d’expérience entre les collectivités locales ;

d) les collectivités locales de tous les pays devraient être encouragées à assurer l’exécution et le suivi de programmes visant à assurer la représentation des femmes et des jeunes dans les processus de prise de décisions, de planification et d’exécution ».

Les orientations ouvertes par la conférence de Rio-de-Janeiro et l’Agenda 21 ne sont pas isolées au tournant des années quatre-vingt-dix. Sous l’égide de l’Organisation des Nations-Unies et en préparation du Sommet de la Terre est lancé, en 1990, le programme « Villes et développement durable » et le gouvernement français tente à la même époque la mise en place d’une politique environnementale contractuelle à partir des réalités institutionnelles en place.

Si l’on tente d’analyser l’évolution des rapports entre les politiques publiques de l’aménagement et de l’environnement conduites par l’Etat français, à partir de la logique d’opposition initialement envisagée, il convient d’admettre qu’une convergence de moyens se dessine (la contractualisation, la participation). Elle s’articule autour des enjeux sociaux et économiques du développement et de celui de la nécessaire régulation des dysfonctionnements portant atteinte à l’environnement global et à ses facteurs. Sur le plan conceptuel, ces enjeux semblent être mis en cohérence par la notion de développement durable dont le contenu rend nécessaire l’intégration des problématiques environnementales dans le développement des activités, dans l’organisation des établissements humains.

Au cours des deux décennies qui suivent la reconnaissance internationale de la problématique environnementale (la conférence de Stockholm en 1972) nous pouvons constater que la dialectique évolue et passe d’une logique d’opposition des ensembles (le développement et l’environnement – l’homme et la nature) à l’intégration des moyens de régulation (le développement de la normalisation, des études préalables, la mise en place de cadres contractuels, les principes de compensation financière, les tentatives de régulation par la planification,...).

Loin d’être satisfaisantes eu égard aux résultats, les remises en question conduisent à l’interrogation des échelles d’actions, des logiques d’acteurs, et des stratégies à mettre en œuvre afin de permettre la conciliation les enjeux.

Si l’on regarde avec un peu plus d’attention les mouvements en cours et les interrogations soulevées par l’une et l’autre des politiques publiques, nous pouvons dire que le réajustement à conduire doit permettre d’articuler le local au global, l’aménagement du territoire national et l’aménagement des environnements locaux, régionaux qui le composent. L’Etat a en charge de conduire la politique nationale, dans un cadre de plus en plus européen. Il se doit d’énoncer des mesures et des lois à même de rendre cohérentes les initiatives locales et de servir le développement national. Son rôle est alors celui de la coordination des enjeux, de la conciliation des attentes et des impératifs.

Inséré dans un monde de concurrence, aux mutations rapides caractérisées par l’interdépendance des systèmes autant naturels que sociaux, et face aux questions posées par les problématiques d’adaptation des ensembles socio-économiques et des nécessités de régulation, l’Etat tend à redéfinir les échelles d’action et les moyens pouvant permettre la conciliation et la poursuite des objectifs.

Cette orientation nouvelle prend appui sur de nouvelles préoccupations, de nouveaux périmètres et de nouveaux modes d’actions.

Comme l’écrivent F. Taullele et C. Alvergne, les années quatre-vingt-dix sont celles du renouveau et sont marquées par de nouvelles prises de conscience du territoire. La volonté publique se traduit par la poursuite de nouveaux objectifs, le développement local et durable, la recherche de périmètres d’action plus pertinents, les territoires de projets, et des formes d’action mieux adaptées comme, entre autres, la contractualisation, la construction intercommunale, la participation citoyenne (ALVERGNE TAULLELE 2002).

Les questions posées par les politiques publiques de l’aménagement du territoire et de l’environnement s’assemblent aux questions relatives à l’organisation de l’administration territoriale dans cette nouvelle approche spatiale. De ce point de vue, il nous semble approprié de rechercher les façons dont sont envisagées ces remises en questions d’échelles et de moyens d’action, et d’interroger le processus en cours à partir de l’hypothèse selon laquelle ce processus de réajustement conduit à appréhender l’aménagement du territoire comme un aménagement de l’environnement, des systèmes locaux.