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Le développement d’une logique d’opposition

II Opposition et rapprochement des politiques publiques de l’aménagement et de l’environnement

II.1 Bases conceptuelles et orientations de la dialectique

1.2 Le développement d’une logique d’opposition

A partir des éléments approchés, nous pouvons considérer que la problématique environnementale, portée par le militantisme social, l’affirmation scientifique et un ensemble d’atteintes, est affirmée et que la mise en acte d’un ensemble d’attitudes de régulation tend à opposer l’Homme et son action à l’Homme et son milieu de vie.

Dans le fond, la problématique questionne le développement des activités et les politiques qui tendent à l’organiser à l’échelle temporelle et spatiale ; dans la forme elle tend à opposer des droits ou des objets constitués de droit.

Les politiques publiques de l’environnement interrogent, entre autres, mais directement, les politiques publiques de l’aménagement qui poursuivent l’objectif de développement économique et social du territoire. A partir des linéaments que recouvre la notion de politique publique d’aménagement du territoire, de l’opérationnalité contenue dans les règles d’urbanisme aux orientations planificatrices et contractuelles de l’aménagement, nous sommes en mesure de rechercher les réalités matérielles que ces réajustements sous-tendent.

En ce qui concerne les réflexions conduites autour des problématiques de protection de l’environnement, le rapport Armand77 constitue, au tournant des années soixante-dix, la base conceptuelle des orientations à poursuivre.

Intitulées les « cent mesures pour l’environnement », les réflexions et propositions (en appui d’une étude des problématiques engendrées par la dégradation de l’environnement à plus ou moins long terme, et du coût social et économique des dégradations probables), se répartissent en différents axes :

Réduction des pollutions à la source, développement et maîtrise des techniques, contrôle et rationalisation des usages de l’espace, renforcement des réglementations et des sanctions, développement de la recherche et diffusion de l’information (PRIEUR 96).

Soutenu par le Président G. Pompidou, le programme d’action est arrêté et approuvé par le conseil des ministres en juin 1970. Sans que les notions d’équilibre et de déséquilibre du système global soient évoquées, le programme s’inscrit dans une vision prospective qui fait appel à un fondement éthique et citoyen des actions à développer. Cet appel aux règles élémentaires est par ailleurs repris par le Garde des Sceaux, J. Lecanuet, en 1976 lors de l’inauguration du tribunal de grande instance de la Roche-sur-Yon : «Le non-respect des règles protectrices de l’environnement constitue aujourd’hui un comportement socialement dangereux au même titre que certains actes qui, depuis longtemps, tombent sous le coup de la loi pénale » (PRIEUR 96, page 27).

Affirmant le souhait de l’Etat de définir un ensemble de lois cadres pour le droit à la qualité du cadre de vie, le Garde des Sceaux place la problématique à l’articulation du droit et du devoir. Dans la même lignée, en 1978, le Président V.

Giscard d’Estaing permet la reconnaissance de la «charte de la qualité de la vie » qui englobe tout autant : un programme politique, une orientation volontaire à destination des acteurs civils, une directive administrative. Là, à l’image des « cent mesures pour l’environnement » les orientations, au nombre de 106, s’articulent autour de différentes thématiques : aménagement de la cité, sauvegarde du patrimoine naturel, lutte contre les pollutions, renforcement de l’information et de la participation

77 Le programme de réflexion lancé en 1969 par monsieur Jacques Chaban-Delmas, alors 1er ministre, a été confié à la DATAR qui a donné à monsieur Louis Armand la présidence du groupe de travail (PRIEUR 96, page 26).

citoyenne, éducation à l’écologie et ouverture à la dimension internationale (PRIEUR 96, page 27).

Dans les faits, et en sus des cadres de réflexion, les orientations proposées se traduisent par le développement d’un arsenal réglementaire et législatif. La principale limite repose sur l’opposition entre un ensemble de droits acquis au fil de l’histoire sociale, tels que les droits d’usages, d’exploitation, et une volonté régulatrice qui, sous différentes formes, en altère la libre jouissance.

Le droit se retrouve en devoir d’opposer la notion de nature (au travers des espaces naturels) à l’activité humaine, c'est-à-dire à la pleine liberté de l’homme à jouir de la ressource dans la mesure où il en est soit le propriétaire soit l’usufruitier, soit qu’il en tire son revenu.

Le droit, en tant qu’outil, rend effectif un ensemble d’actes protecteurs visant à satisfaire l’objectif plus général de la protection de l’environnement, si ce n’est dans son ensemble, faute de pouvoir le concevoir, au moins sous la forme d’espaces protégés ou en limitant les activités prédatrices.

Sans accorder une place prépondérante à cet aspect, il nous semble opportun de ne pas l’omettre car in fine la problématique des tentatives de régulation trouve là une limite non négligeable. La problématique environnementale pose de façon plus fondamentale le problème du réajustement global des modalités d’usage, d’exploitation et d’échanges que la société a su développer à partir de l’exploitation, de l’utilisation et de la distribution des ressources naturelles transformées ou non.

L’articulation entre la question générale de la qualité de l’environnement, ou des cadres et milieux de vie suivant le temps social sur lequel nous prenons appui, et la mise en acte opérationnelle peut être en ce sens approchée comme un véritable

« aller contre ». « Aller contre » un projet de société qui met en danger l’humanité dans son ensemble par le développement incontrôlé de ses activités industrielles et « aller contre » un ensemble de droits acquis, contre la propriété, ce droit absolu de jouir et de disposer de ses biens, du fruit de son travail et de son industrie tel que la constitution de l’an III le précise, c'est-à-dire contre ce droit « inviolable et sacré » de la déclaration de 1789 qui est la base de notre législation.

Nous pouvons illustrer à partir du travail de J-B. Lesourd les grandes caractéristiques des droits de propriétés relatifs aux ressources naturelles ainsi que la typologie des droits de propriété sur diverses ressources :

Tableau 2 - Typologie des droits de propriétés sur diverses ressources naturelles d’après J-B.Lesourd ( LESOURD 96 tableau 1.3 page 41)

Milieu naturel Ressource78 Matière première Caractéristiques des droits de propriétés

Sous-sol Mine Minerai concession par le propriétaire droit partiel

Sous sol Mine Pétrole brut - charbon - gaz

naturel concession par le propriétaire droit partiel Sol Terre agricole –

forêts denrées alimentaires propriété entière ou fermage

Sol sol urbain Terrain à bâtir propriété entière ou location

Plans d’eau douce Pisciculture Poissons variables

Cours d’eau Chute d’eau électricité primaire propriété entière en location ou domaine public

Mer bancs de poissons Poisson domaine public

A l’échelle de l’urbanisme opérationnel (Zone d’aménagement Concerté par exemple) le travail de M. Bigot (BIGOT 94) permet d’illustrer le processus de réajustement sous l’angle des oppositions entre l’intérêt collectif et l’intérêt privé.

Autrement dit entre la propriété individuelle du sol et la propriété collective de l’environnement (les paysages par exemple), c'est-à-dire des cadres et milieux de vie.

Sur ce plan, à partir de la réussite de la loi d’orientation foncière, l’auteur relève que, pour « porter atteinte » à la propriété privée, il n’existe que le droit. Il souligne à cet effet, comme le professeur Soler-Couteaux, l’importance de l’évolution des documents d’urbanisme. De la même façon, les deux auteurs soulignent la nécessité de cohérence, plus que de compatibilité, qu’il doit exister entre les documents qui organisent l’usage du sol et les schémas directeurs. En lien avec la problématique environnementale, M. Bigot note, comme P. Soler-Couteaux, que des différentes réformes ont affecté la loi d’orientation foncière, certaines ont ouvert la planification à l’intégration des questions d’environnement79.

78 Notons que la notion de ressource peut être sujette à discussion. Dans le même temps, nous pouvons accepter que la notion puisse être entendue comme ressource fournie par le milieu naturel, et contenant une matière première d’exploitation.

79 Ce que la loi d’orientation sur la ville de 1992 fera sous un angle différent en intégrant des notions d’écologie humaine et la diversité des habitants (BIGOT 94, page 114).

Il s’agit des réformes induites par les lois de 1976 et de 1977, qui ont eu pour effet d’imposer une étude d’environnement dans les plans d’occupation des sols, de la réforme par la loi n °83-830 du 12 juillet 1983 qui a assujetti les POS à une enquête publique dans le cadre de la démocratisation de celle-ci puis du décret 85-452 du 23 avril 1985, visant, en substance, la protection de l’environnement et dont l’effet a été de modifier l’article R123-11 du code de l’urbanisme. Article ayant pour but d’associer les administrés à la mise au point du Plan d’Occupation des Sols à défaut d’avoir été associés à son élaboration (SOLER-COUTEAUX 96, page 122).

Cet ensemble d’outils a été conçu avant la décentralisation qui en a modifié le cadre d’application. A l’époque de leur création, la régulation entre les intérêts souvent contradictoires de l’environnement, de l’urbanisation ou du développement économique, reposait essentiellement sur l’Etat.

Le Schéma Directeur, le Plan d’Occupation des Sols ou les directives littorales étaient réalisés par l’Etat. Le droit n’avait pas dans ce dispositif une place dominante puisque l’intégration des différentes préoccupations se faisait selon les procédures administratives (porté à connaissance – services déconcentrés de l’Etat). Avec la décentralisation, la régulation n’est plus administrative mais passe par le droit. De ce fait, le débat sur l’obsolescence des outils se déplace sur le terrain de la mise en oeuvre (développement du contentieux).

Le L.121-10 du code de l’urbanisme instaure le principe de l’équilibre. Il définit le document d’urbanisme comme un ensemble prenant en compte l’agriculture, les risques, la protection des sites d’un côté, et reconnaît de l’autre, la nécessité de dégager suffisamment de terrains urbanisables pour répondre aux besoins du développement économique et de l’habitat (BIGOT 94, page 115).

Les outils de l’urbanisme ont pour but d’organiser le développement urbain. La matière première de ce développement est inévitablement le sol qui, en droit français, est un objet de propriété privée et, pour urbaniser, il faut faire évoluer les documents d’urbanisme (BIGOT 94, page 115).