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La protection des personnes, des ressources et de la nature

I Les politiques publiques de l’aménagement et de l’environnement

I- 2 Les politiques publiques de l’environnement

2.11 La protection des personnes, des ressources et de la nature

En France, en dehors des questions relatives à la gestion des ressources et à l’aménagement des milieux, soulevées dès les 16 et 17ème siècles, les premières tentatives de régulation positive prennent corps au cours du 19ème siècle. A partir des apports de la connaissance, qui établissent le rôle de l’eau comme vecteur des maladies épidémiques, et des revendications portées par les mouvements hygiénistes31, les autorités publiques tentent la régulation des dysfonctionnements.

C’est la mise en place des premières installations de traitement des eaux, les réalisations d’égouts et les obligations de raccordement. Ce sont les premiers essais de tout-à-l’égout en 1883, la mise en place du Conseil Supérieur de l’Hygiène Publique en 1893, les premières sociétés de distribution de l’eau potable à Paris en 1897, etc. (LUGINBUHL 92, page 272).

Sous un autre angle, le développement industriel des ateliers et manufactures pose des problèmes de voisinage. Face aux odeurs incommodantes, à l’insalubrité produite par l’entreposage des déchets et des matières, le pouvoir établit un cadre réglementaire tendant à organiser les implantations dans le tissu urbain. Même si ,selon les commentateurs,32 le climat de tolérance qui entourait les autorisations n’a

31 Citons en 1889 l’exposition internationale d’hygiène.

32 Recueil des lois et décrets, DUVERGNIER, vol 17.

pas permis à la règle de trouver son efficience, le texte produit reste, en différents points, un document fondateur.

Ainsi, est promulgué, le 15 octobre 1810, le décret relatif aux manufactures et ateliers insalubres, incommodes ou dangereux dont les visées sont la protection des populations contre les nuisances de ces mêmes activités. A cet égard, c’est la notion de gênes ou d’atteintes à la qualité de la vie qui motive la démarche de protection de l’environnement immédiat.33 En ce qui concerne le caractère novateur, il semble important de souligner que le texte organise la prise en compte des atteintes par une soumission à autorisation des établissements et à une procédure de classement.

Ainsi l’article 1 précise :

«A compter de la publication du présent décret les manufactures et établissements qui répandent une odeur insalubre et incommode ne pourront être formés sans une permission de l’autorité administrative : ces établissements seront divisés en trois classes».

Loin de toute considération relative au savoir, au développement des modélisations34 des relations entre le vivant et le non vivant, le législateur établit le classement comme outil permettant d’organiser le contrôle et la poursuite des objectifs de protection (ce que le cadre contemporain des installations classées met en avant de façon analogue).

• C’est l’alinéa 1 du décret qui précise que : « La première classe comprendra ceux qui doivent être éloignés des habitations particulières » (l’autorisation sera promulguée en conseil d’Etat) – la seconde classe « regroupant ceux dont l’éloignement n’est pas rigoureusement nécessaire mais dont il importe néanmoins de ne permettre la formation qu’après avoir acquis la certitude que les opérations que l’on y pratique sont exécutées de manière à ne pas incommoder ni causer des dommages » et dont l’autorisation est laissée au

33 Il semble important de reconnaître qu’une investigation plus conséquente sur le plan historique permet de relever que la notion de servitude instituée en Europe par le droit romain comporte des orientations fermes de protection des biens et des personnes notamment dans le cas du puisage et de la souillure de l’eau, même si ces dernières concernent l’usage de la ressource et ne prennent pas appui sur une tentative de gestion du milieu.

34 Loin de la démarche scientifique telle que l’a définie Bachelard : capable de fournir des généralisations.

préfet avec avis des sous-préfets – enfin la troisième classe regroupe ceux qui devront «rester soumis à la surveillance de la police » et dont la charge incombe aux sous-préfets et aux maires35.

Cette orientation des attitudes de régulation « hygiène et salubrité », concrétisant une préoccupation de mise en ordre du développement des activités, s’accompagne à un autre niveau de mesures conservatoires. Celles-ci, davantage fondées par une représentation de la nature au caractère originel, tendent à la protection de milieux spécifiques (ACOT 88 page 221). Loin de toutes considérations quant à la dynamique des milieux, l’écologie n’étant pas encore développée comme science, elles ouvrent toutefois une réelle et nouvelle modalité de prise en compte. Elles se fondent en dehors de l’Europe mais alimentent les attitudes qui sauront être initiées en France notamment. Il s’agit par exemple de la création aux Etats-Unis des parcs naturels de Yellowstone en 1872, puis Yosemite en 1889, dans la droite ligne des orientations ouvertes par William Penn.

Les premières mesures conservatoires, d’après les observateurs, légitiment indirectement l’appropriation et la domestication des ressources par un effet de positif/négatif. Il faut entendre que la création du parc est induite par l’acceptation inévitable des dégradations liées à l’exploitation et à l’industrialisation. Autrement dit, les protections de cet ordre valident l’usage et l’exploitation de l’environnement naturel en spécialisant, par opposition, des espaces où la nature tend à être vierge de l’activité des hommes.

P. Acot écrit « l’acte portant sur la création de ce parc (Yellowstone) est signé par le président Grant. L’idée initiale de trois juristes du Montana, dont un membre du congrès, est soutenue par le US Geological Survey Department, c'est-à-dire le service de l’inventaire géologique des Etats-Unis d’Amérique. Notons que cette décision est prise sur des bases totalement étrangères à la proto-écologie de l’époque. En fait, elle est prise dans un cadre conceptuel qui rappelle Linné, Lyell ou Marsh : comme on ne sait pas restaurer les équilibres potentiellement compromis, et comme il n’est pas question de désigner les responsables puisque la dégradation de la nature accompagne “ fatalement ” les activités industrielles ou agricoles, on

35 Exemple : Classe 1 ; équarrissage, four à plâtre, etc. - Classe 2 ; distilleries, fonderie, etc. - Classe 3 ; savonnerie, brasserie, etc.

enferme des “ reliques ” dans des “ sanctuaires ” afin de préserver, avec nostalgie, quelques pauvres restes du “ paradis perdu ” » (ACOT 88, page 221).

Ces démarches de protection, de mise en réserve, souvent éclairées par l’expérience américaine, ne sont pas isolées. J. Viard, dans un travail de recherche relatif au lien entre la croyance et les rapports de l’Homme à la nature, apporte des compléments non négligeables.

Ainsi il écrit : « dans l’ensemble des possessions britanniques une flambée de parcs se produit de 1885 à 1900. Le Canada d’abord, mais aussi l’Australie et la Nouvelle-Zélande, l’Inde et l’Afrique du sud. Enfin bien sûr il faut citer en 1885 la création en Angleterre du National Trust, chargé d’acquérir des terres pour les transformer en réserve ” (VIARD 90, page 90).

Cette politique se développe dans toute l’Europe36. C’est dans les pays baltiques, les Pays-Bas, la Suède et la Laponie puis en Allemagne qu’une politique de parcs nationaux “ Naturschutzparken ” est instaurée dès 1909. En Suisse, c’est en 1914 qu’est créé le Parc de l’Engadine et la France n’est pas en reste avec, en 1913, le parc domanial de la Bérarde qui deviendra plus tard le Parc National des Ecrins (LESOURD 96 page 93).

De la même façon, au milieu du 20ème siècle, les espaces coloniaux sont soumis aux notions de conservation par une démarche de « mise en réserve » d’espaces et sur de larges portions de territoire sont institués des périmètres de protection. Ce sont les réserves de Lopé au Gabon instituées en 1946, la réserve de faune de Dja au Cameroun, les aires protégées du bassin du Congo, entre autres exemples37.

Sur un troisième plan, des mesures conservatoires orientées vers la gestion et la protection des ressources apparaissent. C’est en 1883 les accords préalables à la convention sur l’exploitation des phoques dans la mer de Behring, dont les orientations reposent sur la question de l’exploitation pérenne. Orientations dont la convention et le traité signés en 1911 caractérisent l’utilitarisme des volontés de protection et de conservation (KISS 89a, page 28). A un autre niveau, ce sont les

36 Initialement dans des pays à majorité protestante in LESOURD 96, page 92.

37 Source : CARPE, Bulletin infos 99, site Internet ECOFAC.org.

travaux relatifs à la prise en compte des oiseaux utiles à l’agriculture. Là, portées par des rencontres scientifiques internationales dès 1895, les attitudes de régulation ouvrent une perspective de conciliation entre les enjeux économiques et la nécessité de protection. Ainsi les articles 1 et 6 de la convention, signée le 19 mars 1911, donnent la mesure des orientations poursuivies38.

• Article 1er : « Les oiseaux utiles à l’agriculture, spécialement les insectivores et notamment les oiseaux énumérés dans la liste n°1 annexée à la présente convention39, laquelle sera susceptible d’additions par la législation de chaque pays, jouiront d’une protection absolue, de façon qu’il soit interdit de les tuer en tout temps et de quelque manière que ce soit, d’en détruire les nids, œufs et couvées ».

• L’article 6 précise en substance l’orientation d’utilité relative : “ Les autorités compétentes pourront accorder exceptionnellement aux propriétaires ou exploitants de vignobles vergers et jardins, de pépinières, de champs plantés ou ensemencés, ainsi qu’aux agents préposés à leur surveillance, le droit temporaire de tirer à l’arme à feu sur les oiseaux dont la présence serait nuisible et causerait un réel dommage. ”

Si les premières tentatives de régulation apparaissent à la fin 19ème siècle, les deux premières décennies du 20ème siècle voient, sous l’influence croisée de la connaissance, des revendications sociales et des motivations à agir, la question du contrôle des activités humaines et de la protection de la nature se diffuser et s’internationaliser.

En 1923, lors du premier congrès international pour la protection de la nature, le besoin d’une institution permanente oeuvrant à cette tâche s’impose. En 1928, se constitue un bureau de centralisation et de diffusion de l’information relatif à la protection de la nature The International Review of Legislation for the Protection of

38 Différentes dates sont proposées par les auteurs quant à la signature du traité : 1883 pour P ACOT (ACOT 88, page 222), 1911 pour A KISS (KISS 89(a) page 337). Il en est de même pour la convention sur la protection des oiseaux utiles à l’agriculture 1895 pour P. ACOT 88 (page 222), 1902 pour A. KISS 89(a) (page 337), 1896 pour M.C. ROBIC 92 (page273).

39 La convention dresse la liste des oiseaux utiles mais aussi celle des espèces nuisibles. Il y apparaît clairement la quasi-totalité des rapaces diurnes dont des espèces jouissant aujourd’hui d’une protection absolue telle que les pygargues. Voir aussi les notes de commentaires d’Alexandre Kiss. (KISS 89(a), page 28).

Nature (ACOT 88 page 226). La reconnaissance de la protection de la nature est initiée et son institutionnalisation va lentement se développer au cours du 20ème siècle40. A cet effet, en 1948, est créée à l’échelle internationale l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature et de ses ressources (U.I.C.N.). Le mouvement d’institutionnalisation de la protection de la nature n’est pas anodin si l’on tente d’approcher le développement des politiques publiques face à la problématique environnementale. Il faut en effet comprendre que cette vague de protection va conduire à la reconnaissance de la nature comme un réel objet de droit.

Ceci se traduit par la définition de zones spéciales de conservation, par l’institution de périmètres de protection et par le développement de servitudes spécifiques. C’est la protection physique des sites et des monuments naturels, la prise en compte des valeurs paysagères, que la société française pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France, créée depuis 1901, revendique.