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Ebauche et dépassement des pures logiques d’opposition

II Opposition et rapprochement des politiques publiques de l’aménagement et de l’environnement

II.1 Bases conceptuelles et orientations de la dialectique

1.3 Ebauche et dépassement des pures logiques d’opposition

La nécessité du dépassement des simples logiques d’opposition pose un certain nombre de questions. Question de régulation ouverte dans une société dont le développement et la puissance économique sont tout autant conditionnés par l’interventionnisme d’Etat que par un réseau de sociétés privées. Le réajustement à conduire induit le dépassement ou le contournement des logiques contradictoires entre les différents enjeux, leurs différentes échelles et les différents acteurs.

Dépassement des oppositions entre les droits et la libre entreprise, entre des intérêts individuels immédiats et l’intérêt général à long terme dont les confrontations se traduisent par l’émergence des groupes de pression et lobbies qui cloisonnent la problématique en un ensemble d’approches spécifiques. C’est le cas pour les sociétés pétrolières et minières comme pour l’industrie automobile qui développent leurs activités de façon exponentielle et constituent des opposants de poids aux volontés de régulation. A cet effet, une des questions majeures qui se pose est celle du « problème fondamental de la mise au point et de la mise en vigueur d’un ensemble de stimulants qui inspirerait les acteurs, que sont les collectivités publiques

90 Paris 9-10 et 11 décembre 1980.

et privées, vers des modèles permettant de les conduire à un processus de conservation de la ressource » (BOWER, 81, V.2 page 26).

Sur ce plan du dépassement des logiques préalables, l’Europe apparaît comme le berceau des tentatives d’intégration et ce, dès la rédaction du premier programme d’action communautaire. Si le traité de Rome ne comportait pas de note spécifique à la prise en compte de l’environnement, les volontés exprimées lors de la conférence de Bonn en 1972 quant à l’expansion économique, « qui n’est pas une fin en soi mais qui doit se traduire par une amélioration de la qualité aussi bien que du niveau de vie 91», ouvrent un champ réel de coordination entre les impératifs socio-économiques et environnementaux.

Notons que la contradiction n’est pas inexistante, puisque si les impératifs de la mise en acte de différents cadres régulateurs est reconnue, il faut en même temps mesurer que l’Etat agit de façon ferme pour le développement des activités industrielles, agricoles et commerciales afin de satisfaire l’exigence de puissance économique et l’accès à une certaine normalisation du confort des citoyens.

L’évolution des cadres de régulation se concrétise et les réajustements poursuivis caractérisent de façon assez nette les voies d’intégration envisagées. L’évolution qui se dessine est celle du passage d’une politique d’objets à une politique intégrée de processus dans la droite ligne des accords internationaux et des stratégies initiées par la communauté européenne.

A cet effet, différentes tentatives d’intégration de la problématique sont conduites et précisées avec notamment, en 1977, la mise en œuvre du 2éme programme d’action communautaire au titre « de la protection des ressources naturelles et les mesures d’évaluation des incidences sur l’environnement ».

Toutefois la connaissance relative à la problématique d’ensemble est encore incertaine, même si sous certains aspects les volontés d’agir peuvent être acceptées. En 1981, ces besoins de connaissances, vis-à-vis d’une prise en compte en amont des questions environnementales, sont affirmées par la mise en place d’une institution d’information en matière de pollution, et l’énoncé d’un objectif de

« cartographie écologique de la Communauté permettant de confronter la demande

91 Déclaration de Bonn, octobre 1972, in LONDON 2001, page 64.

économique à l’offre écologique et des moyens pour éviter la formation de déchets » (LONDON 2001, page 67). Sur le fond, cette orientation tend à permettre le passage d’une politique « d’objets » à une politique de processus. Les volontés s’entérinent en février 1983 par une nouvelle résolution92 du Conseil des représentants des gouvernements des Etats membres. Le Conseil renforce la volonté d’intégration en stipulant clairement « que la politique commune de l’environnement devient ainsi ‘un élément indissociable de l’action visant à atteindre les objectifs assignés de la Communauté’ et que la protection de l’environnement doit désormais être appréhendée de façon globale » (LONDON 2001, page 67).

Cette ouverture vers une réelle politique globale, concernant de fait les objectifs de l’aménagement du territoire se décline par un ensemble d’objectifs généraux : « prévenir, réduire et dans la mesure du possible supprimer les pollutions et nuisances ; - maintenir un équilibre écologique satisfaisant et veiller à la protection de la biosphère ; - veiller à la bonne gestion des ressources et du milieu naturel et éviter que toutes exploitations de ceux-ci entraînent des dommages sensibles à l’équilibre écologique (...) ; - faire en sorte qu’il soit davantage tenu compte des aspects de l’environnement dans l’aménagement des structures du territoire... » (LONDON 2001, page 65-66).

Le développement de la volonté intégrative et les questions posées par l’encadrement des acteurs publics et privés se traduisent principalement par des politiques de normalisation technique, de traitement du déchet et de minimisation des rejets93. Cette orientation ne conduit pas à une remise en question profonde des modes de conditionnement, de distribution et de consommation mais à l’émergence d’un arsenal réglementaire dans le traitement, le recyclage et la valorisation des

“ produits ” rejetés.

Sur le plan de l’aménagement du territoire, de l’organisation des services et de la distribution des infrastructures, la loi cadre de 1975 marque, en France, le point de départ d’une politique volontaire avec le traitement des déchets ménagers. Cette question se renforcera aussi eu égard à l’accroissement des volumes rejetés94 (BARRAQUE-THEYS 98, page 189), de la prégnance des problématiques soulevées

92 Journal officiel de la Communauté Européenne C.46 du 17 février 1983.

93 Dénommé système de « end of pipe » en anglais (ERKMAN 98, page 13).

94 Accroissements de 60% des volumes depuis les années 60, Defeuilley - Godard in, “ Les politiques de l’environnement ”, BARRAQUE THEYS, Recherches, 1998, Paris, page 189.

par le stockage et l’élimination. Ces ouvertures quant à la prise en compte globale et diffuse de la problématique environnementale portent en elles-mêmes leur propre complexité et leur propre limite car elles induisent un réajustement permanent des mesures en lien direct avec les apports du savoir qui met successivement à jour la non innocuité de tel ou tel produit ou de telle ou telle pratique.

En direction de la société civile, le développement des volontés publiques de régulation conduit à rendre responsable l’entreprise en lui faisant, par exemple, obligation de fournir toutes les informations nécessaires concernant l’origine, les caractéristiques, les quantités, la destination et les modalités d’élimination des déchets qu’elles produisent (loi du 15 juillet 1975). Cette mesure, dont le réel développement n’est pas dénué de problèmes techniques, se couple avec la mise en place de plans nationaux d’éliminations de certains déchets ; plans dont l’élaboration associe le ministre de l’environnement et le ministre de l’industrie.

Largement discutée, la stratégie d’intégration conduit néanmoins à de réelles réussites95 comme le travail de M. Golinelli l’atteste (GOLINELLI 81, page 86). En Allemagne, les 73 chambres de commerces se sont unies, au cours de l’année 74, pour fonder une bourse nationale des résidus. Faisant suite à des initiatives autrichiennes, le modèle s’exporte en France où, en juillet 1976, la Chambre Régionale du Commerce et de l’Industrie de Champagne-Ardenne lance la première bourse régionale. Fermement orientées vers l’objectif de l’écoulement et de la valorisation des déchets industriels non recyclés, ces bourses ont pour but de favoriser les contacts entre industriels (GOLINELLI, 81, page 86).

A ce niveau, la problématique environnementale pose, en termes d’aménagement du territoire, la question de l’encadrement des opérateurs économiques qui sont tout à la fois des facteurs responsables de pollution, des agents participant au développement économique et social du territoire, des acteurs ayant les moyens d’agir pour la réduction des atteintes à l’environnement. Or, « pour les industriels, la pollution ne représente encore, au début des années 70, qu’un avatar du progrès : le côté pile, en quelque sorte, d’un système de production fondé sur la logique du toujours plus » (BEZOU, 97 page 7). En lien avec les remises en

95 Différents exemples sont développés par les auteurs. Erkmam cite, entre autres, les tentatives du ministère du commerce extérieur et de l’industrie au Japon (MITI) qui développe des thèses tendant à considérer « qu’il serait souhaitable de concevoir l’activité économique dans un contexte écologique » (ERKMAN 98, page 49).

question des modèles économiques, la contribution de la fiscalité à l’amélioration de l’environnement est un des thèmes majeurs des réflexions engagées au cours des années soixante-dix.

Reprises comme sujet de débat lors des 3ème assises internationales de l’environnement de 1980, les orientations s’articulent autour des axes de normalisation et d’incitation par la fiscalisation (orientations qui restent à l’époque, selon l’avis des auteurs, « mal comprises et sous-utilisées »). Toujours est-il que la fiscalisation apparaît, pour les défenseurs d’une politique d’intégration, comme un outil de choix : « Cette manière douce respecte la liberté des décideurs qui restent maîtres des techniques, des délais et des quantités. Elle stimule en permanence le développement des technologies propres. Elle rend les dommages sensibles à ceux qui les causent. Elle s’appuie sur l’intérêt des pollueurs (ce qui est plus sûr que de s’appuyer sur leur sentiment) pour atteindre l’intérêt de la société toute entière. » (PRUD’HOMME 81, page 31).

Ainsi l’orientation politique prend son sens concret et le fondement de la philosophie du pollueur / payeur se formalise en Europe. Dynamique de régulation à visée intégrative, le recours à cette stratégie de l’instrument fiscal, bien que critiquée dans sa nature même, poursuit d’un côté les dynamiques d’opposition en visant la réduction de la pollution à sa source suivant la formule anglaise du « end of pipe ».

De l’autre, elle tend à incriminer le pollueur, elle vise à le responsabiliser en tant que payeur. Ce sont les exemples du « Japon et de la Norvège qui imposent des limitations aux rejets de dioxyde de soufre. Des pays scandinaves, en général, qui taxent certains emballages de liquides alimentaires. » (PRUD’HOMME 81, page 30).

Suivant cette logique de fiscalisation à des fins d’intégration de la problématique, la recommandation du Conseil de l’Europe du 3 mars 197596 précise, dans son paragraphe 1, que :

«... L’imputation aux pollueurs des coûts de la lutte contre la pollution qu’ils provoquent les incite à réduire cette dernière et à rechercher des produits ou des technologies moins polluantes et permettra ainsi une utilisation plus rationnelle des ressources de l’environnement. [...] §2 La protection de l’environnement ne doit donc en principe pas être assurée par des politiques

96 Recommandation 75/436 / Euratom, CECA, CEE source : EUR-LEX, législation communautaire en vigueur document 375H0436.

qui reposeraient sur l’octroi d’aides et qui reporteraient sur la collectivité la charge de la lutte contre la pollution» (Recommandation n° 75/436).

En ce qui concerne l’aménagement du territoire, les questions posées se développent autour des notions relatives à la spécificité du et des territoires, à l’encadrement des opérateurs publics et privés, à la conciliation des enjeux que les logiques d’opposition ne peuvent résoudre. Les questions soulevées par les difficultés des politiques publiques à développer un cadre régulateur efficace ouvrent en réalité une interrogation générale. Celle-ci porte sur les modalités à mettre en œuvre afin de favoriser l’internalisation de la problématique par les opérateurs économiques et le développement des responsabilités individuelle et collective des acteurs.

Sur ce point J. Untermaier relève, dans un travail d’évaluation des premières orientations du droit de l’environnement, que l’ambiguïté des attitudes correctives est à relier aux : « Hésitations d’une société contrainte de se préoccuper d’écologie sans qu’aient été modifiées les priorités fondamentales » (CNF 94, page 59). Notons que le Conseil central de la Planification affirme en 1975 « que l’aménagement du territoire doit être d’abord au service d’un développement économique général du pays», même si cette affirmation est conjuguée avec la remise en question, au début des années quatre-vingt, du rôle de l’Etat, et de son interventionnisme, au titre de l’aménagement du territoire par « la diminution des crédits, la confusion dans les objectifs, la disparition de certains moyens administratifs d’intervention qui conduisent à un aménagement plus subi que voulu » (ROCHEFORT 95, page 50).

Le développement de la logique d’intégration des préoccupations environnementales sera en revanche poursuivi, à l’échelle internationale, par le rapport Brundtland qui saura mettre en exergue la notion du temps et en particulier de l’intergénérationnel. Les conclusions de cette commission d’évaluation sont reconnues pour ne pas avoir enrichi le débat de concept nouveau mais ont, en revanche, popularisé et inséré dans les approches le terme de « développement durable ».

• Ce concept est décrit comme « un processus de transformation dans lequel l’exploitation des ressources, la direction des investissements, l’orientation des techniques et les changements institutionnels se font de manière

harmonieuse et renforcent le potentiel présent et à venir permettant de mieux répondre aux besoins des aspirations de l’humanité » (CNUED 88, page 55).

Ses apports majeurs et parfois occultés restent :

- la reconnaissance des impossibilités à rester dans un cloisonnement des interventions, en termes de protection, de conservation et de gestion de l’environnement naturel et des ressources ;

- le faire-valoir de l’enjeu mondial que représente la problématique environnementale en sus des problèmes locaux, nationaux ou encore régionaux.

En ce qui concerne les politiques publiques les logiques d’intégration, le dépassement des limites institutionnelles, dans la droite ligne des conclusions du rapport Brundtland, se concrétisent. Il s’agit de donner corps aux orientations internationales qui reconnaissent « la nécessité d’intégrer des stratégies écologiques aux politiques de développement 97», comme le besoin de « mettre en place des stratégies de développement dans tous les pays conscients des limites de la capacité de l’écosystème à se régénérer et à supporter les déchets » (CNUED 88, page 51).

La référence conceptuelle à une nature originelle, qui a nourri les volontés protectrices, est en partie dépassée. La logique d’opposition entre des objets de droit, même si elle reste une modalité de mise en acte des attitudes correctives, semble de plus en plus obsolète. Le dépassement de ce mode opératoire semble aussi induit par l’ampleur, la diversité et la complexité des questions posées par les problèmes environnementaux dont l’accroissement est directement lié au développement exponentiel des sociétés industrielles suivant un principe de cause à effet.

L’accélération des échanges, des activités extractives, de l’utilisation de l’énergie fossile accroît les déséquilibres environnementaux. Cet augmentation des pressions motive en retour une « nécessité d’action » dont les modes opératoires en place apparaissent comme de moins en moins satisfaisants. En Europe, sur le plan politique, l’Acte Unique de 1987 valide et articule réellement le processus d’intégration de la problématique dans les orientations communes. En premier lieu,

97 Conclusion de travaux d’un groupe d’experts présentée en Suisse dès 1971 in « L’ONU et le développement durable » http://www.unag.org, 12 juillet 2001.

l’assertion textuelle ferme du terme « environnement » au titre VII fournit une réelle base institutionnelle aux politiques volontaires.

« L’objectif de la politique de l’environnement, défini à l’article 130.R §1, à savoir préserver, protéger et améliorer la qualité de l’environnement, ainsi que contribuer à la protection de la santé des personnes et assurer une utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles, semble devoir recouvrir tout ce qu’on entend actuellement par protection de l’environnement » (CHARPENTIER 88, page 9).

Le renforcement à travers ses différents paragraphes des principes de base nécessaires à la conduite d’une politique réglementaire en matière de protection est souligné et le principe « pollueur/payeur » institutionnalisé.

Le paragraphe 2 précise :

• « L’action de la Communauté en matière d’environnement est fondée sur les principes de l’action préventive, de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, et du pollueur/payeur98 ».

De la même façon, il entérine l’intégration (au moins sur le plan formel) en déclarant que « les exigences en matière de protection de l’environnement sont une des composantes des autres politiques de la communauté. Cette disposition devra être interprétée en ce sens que pour toutes les mesures communautaires susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement, les objectifs de la politique de l’environnement devront être pris en compte lors de la prise de décision » (CHARPENTIER 88, page 9).

Le paragraphe §4 de l’article 130.R de l’Acte Unique reconnaît lui, un principe de globalité par rapport à la problématique environnementale. Il inclut une clause de subsidiarité en prévoyant que « la Communauté n’agit que dans la mesure où les objectifs de la politique de l’environnement peuvent être mieux réalisés au niveau communautaire, qu’au niveau des Etats membres pris isolément.»

98 Extrait de l’Acte Unique Européen Article 130 R, 130 S, 130 T, 130 A, in CHARPENTIER 88, page 14-15.