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L’opposition des espaces aux activités

II Opposition et rapprochement des politiques publiques de l’aménagement et de l’environnement

II.1 Bases conceptuelles et orientations de la dialectique

1.21 L’opposition des espaces aux activités

L’opposition entre les espaces de libre entreprise et les espaces sous protection s’est matérialisée, en France, par la mise en réserve de zones naturelles, la création de parcs nationaux à l’intérieur desquels le développement des activités fait l’objet de clauses très largement restrictives, les zones de conservation du patrimoine où l’usage est placé sous contrôle. Elles sont initiées à différentes échelles territoriales et sont, d’après les commentateurs comme M. Prieur, autant motivées par les volontés et les recommandations issues de la coopération internationale, que des politiques sectorielles de l’Etat ou des volontés locales de protection du patrimoine naturel. De ce point de vue, et en rapport avec notre propos, il semble important de situer la démarche française dans le contexte international car, il traduit selon nous et à un instant, les modalités selon lesquelles est approchée la problématique de régulation en termes d’aménagement du territoire.

Sur le plan international auquel la France participe, la première orientation majeure de conservation d’espace, à l’échelon international, est sans aucun doute contenue dans les programmes “ Man and biosphère” (MAB) de l’UNESCO initiés en 1970.

Visant à la constitution d’un ensemble mondial de réserves conforme à la protection des ressources et des espèces, cette orientation protectrice va conduire à l’institutionnalisation de 534 zones dans 82 pays différents dont la France (PRIEUR 96, page 432).

Cette orientation est poursuivie et développée par la convention du 16 novembre 1972, toujours de l’UNESCO, concernant la “ protection du patrimoine mondial culturel et naturel ”. Là, ce sont les Etats qui identifient et délimitent les zones à protéger dans l’intérêt général de la conservation des habitats d’espèces animales ou végétales. Ceci conduit à l’inscription, cette même année, au titre du patrimoine mondial, de 440 sites dont 113 sites naturels.

Pour ce qui est de la coopération entre les Etats, le Conseil de l’Europe suivra cette démarche de protection par zonage et, en 1976, il décide de constituer un réseau européen de réserves biogénétiques80.

L’institutionnalisation de ce réseau entraîne la sélection de milieux remarquables tels que les tourbières, pelouses sèches, zones littorales ou zones humides81.

Les zonages, à leurs différentes échelles, sont assez complexes d’approche du fait de leur diversité et de leur motivation allant des attitudes sacralisant la nature à la volonté planificatrice et organisationnelle des années soixante.

En règle générale, ils s’accompagnent d’une réglementation des activités basée sur une clause générale d’interdiction assouplie d’autorisations dérogatoires (KISS 89b, page 177). Les zones de protection naturelle stricte, dont la propriété est publique, sont souvent marquées d’une absence de toute activité économique (au sens de l’entreprise privée d’extraction ou de transformation des ressources) et de toute construction, voire même de toute présence humaine comme dans les

“ Wilderness areas ” aux Etats-Unis (LESOURD 96, page 93).

La multiplication des zones de protection, et de leurs différents statuts, structure une politique volontaire de conservation. Au cours de la décennie soixante-dix, une commission de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature organise un suivi qualitatif à partir des bases quantitatives déjà établies par les 150 pays membres.

Le tableau récapitulatif dressé, en 1981, par K. Miller, alors Président de la commission des Parcs nationaux et des Zones protégées de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, donne “ une matrice simplifiée des objectifs clefs de l’aménagement des zones naturelles avec les catégories les plus communes actuellement utilisées dans le monde entier. ” (MILLER 81, page 119).

80 Réseau institué en 1976 par la résolution 17 réactualisée en 1979 puis en 1986 et 1992 in PRIEUR 96, page 433.

81 La France dénombre en 1995 : 35 réserves correspondant à 44144 hectares (PRIEUR 96, page 433).

Tableau 3 - « Différentes formes d’aménagement et de mise en valeur des ressources naturelles et culturelles pour atteindre les principaux objectifs de conservation »

d’après K. MILLER (MILLER, 81, page 120).

Principaux objectifs de conservation Catégories d’aménagements

A B C D E F G H I J Principaux échantillons d’écosystèmes à l’état naturel.---

Maintien de la diversité écologique et réglementaire de l’environnement.--- Conservation des ressources génétiques--- Dispenses de l’éducation, surveillance des recherches et de l’environnement.-- Conservation du partage des eaux, production.--- Contrôle de l’érosion, des sédimentations et protection des investissements en aval.

Productions des protéines et des produits animaux tirés de la vie sauvage, pêche, sport et chasse.- Loisirs, tourisme.--- Production de bois et forage sur une base de production continue--- Protection des sites et des objets culturels, historiques, archéologiques.--- Protection des sites grandioses et des zones vertes.--- Options possibles, souplesse d’aménagement, utilisations multiples.--- Stimulation rationnelle, utilisation de terrains marginaux et développement rural.---

1

B Parcs nationaux F Paysages protégés

G Réserves anthropologiques 1 Objectif principal de l’aménagement des zones et des ressources

2 Pas obligatoirement principal mais toujours compris comme un objectif important

3 Compris comme un objectif dans l’exploitation des ressources et autres objectifs d’aménagement

Sans rigoureusement renseigner l’approche française sur cette matrice simplifiée, il apparaît clairement que la politique publique française du moment s’inscrit et développe les logiques énoncées. C’est vrai pour la création des Parcs nationaux, des réserves naturelles, pour la protection des paysages et monuments naturels.

Ainsi, en France, la démarche de zonage, dont l’origine82 remonte au 19ème siècle, se renforce et oppose à la pleine jouissance de la liberté d’entreprise des contraintes liées aux qualités du site. Les mesures visent, dans un premier temps, davantage la protection des milieux, comme éléments constitutifs de la richesse naturelle, que les notions de biodiversité ou encore de fonction environnementale globale.

82 Les auteurs comme M.C Robic et Y Luginbuhl considèrent que les premières mesures de zonage sont la définition des périmètres de reboisement en montagne par la loi du 18 juillet 1860 (ROBIC 92, page 269).

Notons qu’il s’agit bien de considérer une aire spécifique, délimitée et à l’intérieur de laquelle des mesures spécifiques sont instituées.

Nous pouvons citer les lois du 2 mai 1930 instituant la notion de patrimoine naturel, puis en 1959, celle relative aux réserves naturelles et celle du 22 juillet 1960, instituant les parcs nationaux, qui reconnaît des enclaves à l’intérieur desquelles les activités font l’objet d’exclusions.

Pour la création des parcs nationaux, le zonage se traduit suivant une hiérarchie protectrice, avec la partie centrale soumise à une servitude de réserve intégrale « sanctuaire de la faune et de la flore, conservé pour des fins éducatives, où toute exploitation est exclue, mais où des opérations limitées d’amélioration peuvent être pratiquées », et une zone périphérique ouverte à un développement touristique et artisanal respectueux de la nature (RANDET 94, page 37-38).

Ces démarches de zonage circonstancié se croisent avec les approches préalablement envisagées. C’est l’exemple de la protection des personnes instaurée en 181083, et développée par la loi cadre du 2 août 1961, loi dont l’orientation de régulation est précisée par l’article 1 :

“ prévenir et réprimer les pollutions dans l’atmosphère et les odeurs qui incommodent la population et compromettent la santé ou la sécurité publique ou nuisent à la production agricole, à la conservation des constructions ou au caractère des sites ”.

A ce sujet, l’instauration des zones de protection est contenue dans un décret d’application du 17 septembre 1963 qui motive “ la mise en place de zones de protection spéciale visant à renforcer la protection et limiter la pollution atmosphérique dans certaines agglomérations, compte tenu de l’accroissement de la population et de la concentration des industries ” (BEZOU 97, page 50).

Les différentes positions et réflexions inscrivent moins la problématique dans une conceptualisation de relation entre un ensemble de facteurs que dans un rapport entre l’homme et la nature, entre la population et les activités, entre l’espace minéral et l’espace vert. « L’urbanisme de notre temps s’efforce d’établir une liaison intime entre l’espace vert et l’habitat. […] Quels que soient les efforts des urbanistes pour réconcilier les pierres et les arbres, c’est une nécessité impérieuse de conserver,

83 Loi sur les Etablissements salubres et insalubres du 14 octobre 1810.

dans l’orbite rapprochée des agglomérations, les massifs boisés qui constituent les derniers îlots de nature… » déclara P. Randet au Congrès Forestier de Versailles en 1954 (RANDET 94, page 136-137).

En ce qui concerne l’urbanisme réglementaire, la démarche de zonage structurant la mise en acte de la volonté publique d’aménagement inscrit dans ses orientations la protection de la nature à partir d’une logique d’objet et reste, en même temps, insérée dans le développement de politiques sectorielles. Notons que la loi d’orientation foncière de 1967, qui constitue le socle de l’urbanisme réglementaire, est antérieure à la loi de protection de la nature. Sur le sujet, M.Bigot précise en substance qu’à l’époque le schéma directeur poursuit quatre objectifs : situer les zones à urbaniser, situer les espaces à protéger, localiser les grands équipements, définir l’ordre du développement urbain.

En ce qui concerne les Plans d’Occupations des Sols, les buts étaient : la sauvegarde des espaces naturels, l’organisation quantitative et morphologique des milieux urbanisables, la localisation précise des équipements sous formes d’emplacements réservés, l’établissement du support exhaustif, clair et accessible de toutes les règles du droit en matière d’occupation du sol.

Les deux documents planificateurs embrassent indifféremment les milieux physiques que sont les sols et le sous-sol puisqu’ils désignent sous ce vocable tout simplement les «terrains». De ce point de vue, ils n’ont pas pour objet ni fonction à intégrer des dimensions de la sociobiologie végétale, de l’éthologie, de la sociologie ou écologiques sur un plan d’ensemble, si ce n’est pour la beauté naturelle du site, la valeur patrimoniale ou économique du milieu.

Pour ce qui est de la mise en place des documents de la planification, les grandes orientations et les lois conduisent au développement d’un arsenal technique et réglementaire très normalisateur : espaces ruraux, espaces urbains, espaces naturels non urbanisables, espaces industriels et agricoles, zones d’urbanisation prioritaire et zone d’activités, coefficient d’occupation du sol et zones de protection, organisent la pratique de l’urbanisme. Le territoire approprié se trouve fonctionnalisé en dehors de toutes préoccupations relatives aux notions de dynamiques environnementales, aux systèmes et à leur équilibre, si ce n’est sous la forme de protections circonstancielles. De ce point de vue, P. Randet reconnaît que cette

fonctionnalisation de l’espace, qui peut être par ailleurs et sous certain aspects contraire à une gestion dynamique de l’espace, s’est instaurée même si, depuis les années cinquante, la sauvegarde de l’environnement est matière à débats d’idées (RANDET 94).

Pour l’aménagement urbain, les notions d’espaces verts et de cadre de vie comme celles des parcs, jardins, terrains de jeux et boisements d’alignement marquent les réalités opérationnelles.

Pour les considérations relatives à la prise en compte de l’environnement naturel, les orientations retenues s’inscrivent dans le mouvement plus général de la protection de la nature et de ses espaces avec les réserves naturelles « destinées à la stricte sauvegarde de morceaux de nature livrés par le passé, au maintien d’un milieu dont l’évolution est préservée de toute ingérence humaine » (RANDET 94, page 132).

Il s’agit de la délimitation des zones sensibles où les collectivités peuvent user de leur droit de préemption afin d’acquérir des terrains boisés. Chargé de mener une politique foncière de sauvegarde des sites naturels afin d’œuvrer à l’équilibre écologique et de préserver le littoral du mitage produit par une urbanisation et un développement galopant des activités, la création du conservatoire du littoral en est aussi une expression concrète.

La relation entre l’espace minéral et l’espace vert ne se limite pas à une considération à la parcelle, loin s’en faut, puisque la loi d’orientation foncière introduit la relation de la ville à son environnement en posant la question de l’équilibre entre le développement urbain et la protection des espaces agricoles (BROUILLET 73, page 33). Dans les faits, et à l’échelle du plan d’occupation des sols, la loi établit une concession d’usage du sol en intercalant un cadre réglementaire entre la propriété et la libre entreprise, c'est-à-dire l’usage volontaire et indépendant.

Le commentaire qui s’impose est bien évidemment de relever que les outils pour une prise en compte de l’environnement sont institués avec une projection de temps et l’affirmation d’un intérêt collectif pouvant être reconnu comme une contrainte associée à l’usage des sols.

Dans le même temps, si la nature, la gestion de l’eau et le traitement des déchets, les paysages ne sont pas ignorés, l’approche reste insérée dans une logique de protection physique. Ainsi en va-t-il des articles 12 et 19 de la loi (titre II)

qui concernent la mise en place des schémas directeurs dont les orientations doivent prendre en compte la conservation des massifs boisés et des sites naturels (art. 12) qui donne le pouvoir aux communes d’agir pour la protection des bois et parcs et, en général, tous les espaces boisés et sites naturels (art. 19).

La reconnaissance de la problématique environnementale reste morcelée et scindée dans une logique d’espace et de zonage, dans une confusion généralisée des approches mêlant le paysage, l’espace vert, les espaces naturels, les ressources.

Lors des réflexions qui aboutiront à la promulgation de la loi de 1967, la prise en compte de la nature est toutefois évoquée. Le débat sur la protection des espaces agricoles, et la prise en compte du milieu rural, en opposition à la ville, en cristallise différents points. Les propos de Monsieur Claudius-Petit lors des débats parlementaires sont évocateurs et donnent la pleine mesure des positions: « En réalité il ne s’agit pas de préserver, ni de garantir, ni de ménager, ni de rassurer l’agriculture. Il s’agit de bien davantage ! Il s’agit de sauver la nature. […] Le problème qui se pose pour tous ceux qui, sérieusement, envisagent la croissance des villes, c’est celui du sauvetage de la nature, de l’eau, des terres, des marécages, de tous les endroits qui permettent à l’homme de vivre dans un milieu vivant. Nous détruisons nos rivières et nos plages avec leur faune et leur flore. En n’aménageant que très mal les cinquante mètres en bordure de mer, nous détruisons tous les échanges entre mer et terre alors que tous les biologistes spécialisés en écologie savent que, dans ces endroits qu’on appelle interface, la vie en tant que telle se produit au plus haut degré. Partout on assèche, on détruit, on aménage, on coule du béton, on autorise la surdensité, on se préoccupe de passer des caps, mais nulle part on ne se soucie de protéger la nature » (BROUILLET 73, page 35).

Les oppositions ville/campagne ne restent pas à l’échelle d’un simple débat d’idées mais ont des répercussions dans les faits. C’est ce que relève A. Brouillet en précisant que : « Le ministère de l’agriculture s’empresse de rédiger le décret Blaizot destiné à sauvegarder le secteur privilégié du génie rural dans l’aménagement des zones rurales » (BROUILLET 73, page 14).

Sur ce plan, la logique d’opposition et de spécialisation qui caractérise le zonage contient différentes contradictions dont la classification d’espaces agricoles peut être illustratrice. La volonté de sauvegarder des espaces naturels à vocation

agricole, louable sur le plan de la protection, omet que l’agriculture est un secteur économique dont les exploitations doivent être adaptables à la concurrence économique, à l’évolution des technologies, à l’industrialisation. De ce point de vue, l’effet direct du zonage naturel à vocation agricole a parfois permis une approche de l’espace, et en particulier du sol, en tant que substrat de culture et non en tant que facteur dynamique de l’environnement global.

Sur ce point, la loi d’orientation agricole, qui est une loi cadre, exprime la volonté publique d’aménagement rural. Elle créée par exemple les Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural (SAFER) dont les objectifs ont été clairement définis par la loi n°60-808 du 5 août 1960 : « Elles ont pour but, notamment d’améliorer les structures agraires, d’accroître la superficie de certaines exploitations agricoles et de faciliter la mise en culture du sol et l’installation d’agriculteurs à la terre » (JO-RF n° 1503, 1981). Les visées aménageuses et les outils mis en œuvre ne tendent pas à une prise en compte de la problématique environnementale, tout au plus et à plus long terme, ils permettent une limitation des boisements spontanés, un maintien des espaces ouverts et de fait concourent partiellement à l’équilibre d’une relative biodiversité.