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Relation à l’organisation et besoin de sécurité émotionnelle

Chapitre 4 : Participant·es de Legion et leurs attentes

2. Dispositions à l’apprentissage autodirigé pour Legion

2.5. Relation à l’organisation et besoin de sécurité émotionnelle

Durant l’entretien, Margot, Victor et moi sommes critiques envers le dispositif et l’organisation et cela fait partie du débriefing. Legion en est à sa 26è session et nos attentes sont

influencées par nos cultures de jeu qui nous ont habituées à certains choix logistiques et narratifs. Les critiques révèlent une attente envers l’organisation, formulée indirectement mais présente dans nos discours : celle d’un accompagnement, avec ses limites. Il paraît intéressant, avant d’étudier les dispositions pour l’apprentissage, de se pencher sur la relation particulière qui peut exister entre des participant·es à un larp et son équipe d’organisation, et ce que ça peut impliquer pour l’apprentissage.

D’après ma compréhension, c’était la première session où Vávrová n’était pas présente en tant que guide ou coordinatrice. Pour ce qui semble être la première fois, les coordinateurs principaux de notre session, « les jumeaux », organisaient sans l’aide des organisateur·trices aguerri·es. Leurs discours étaient parfois un peu maladroits, trop rapides ou difficiles à comprendre car nous ne sommes pas habitué·es à l’accent tchèque. Ce qui amène par exemple la remarque de Margot en fin d’entretien, alors qu’une de mes explications est confuse : « Là t’expliques aussi bien que les Jumeaux ! (rires partagés) » (Margot, entretien joueur·euses). Wagner, qui a coordonné de nombreuses sessions de Legion, était présent avant le larp, mais seulement pour les ateliers du jeudi soir au vendredi matin. Cette situation a été remarquée par Margot :

C’était très bizarre parce qu’on avait à la fois ce mec qui est venu pour faire son… qui est venu pour [l’atelier d’]histoire et qui s’est barré après. Et t’avais l’impression qu’on était que la 25è

session donc qu’on n’étaient pas assez biens pour lui et les jumeaux et 2-3 autres. T’avais l’impression que c’étaient des petits jeunes qui avaient fait PNJ pendant 10 ans et on leur a autorisé pour la première fois de Runner le GN tout seul et ils sont super fiers d’eux quoi. C’est très très bizarre cette ambiance. (Margot, entretien joueur·euses)

Margot a également été surprise par certains « ordres » de son Journal, en particulier le premier qui consiste à forcer les joueur·euses du groupe de guides sibérien·nes à accepter d’accompagner la légion. Cela lui donne l’impression que l’organisation a une piètre opinion des personnes qui jouent parce que c’est présenté comme une évidence : « Franchement pour moi c’est un manque de confiance, hein » (Margot, entretien joueur·euses). Victor note plus tard l’absence, au contraire, de conséquences à ne pas suivre les ordres :

Dans les BG il y avait des « Orders ». « Tu es obligé de faire ça ». Il y a pas eu de sanctions du fait que on ne fasse pas certaines actions, par exemple quand on est arrivés à l’auberge, on aurait du faire une partie de carte, sauf que vu la place, c’était impossible de dire « attendez, on va s’asseoir ici à la table et on va faire une partie de cartes ». Les gens galéraient pour s’installer pour dormir. Bref. (Victor, entretien joueur·euses)

Durant notre session, il y a eu plusieurs moments où des ordres n’ont pas été suivis. La conséquence a parfois été un déséquilibre narratif parce que les secrets ne se révélaient pas ou les conflits n’éclataient pas. Vendredi soir, le groupe de prisonniers de guerre dont je faisais partie avait l’ordre de trouver un moyen de se venger de leurs agresseurs, et ceux-ci avaient également l’ordre de chercher à nous nuire, mais cela n’a pas eu lieu, ce qui a probablement diminué la tension dramatique du larp pour d’autres. De son côté, le personnage de Victor faisait partie d’un groupe qui pratiquait le « Jeu », un jeu de cartes où les personnages misaient des défis avec parfois des conséquences dramatiques. Le groupe n’a pas obéit à l’ordre de jouer au « Jeu » le vendredi soir et Margot souligne durant l’entretien l’effet que ça a sur sa propre intrigue :

Margot : Du coup ça m’est pas revenu aux oreilles parce que le Jeu, les gens en parlaient moins que si vous aviez joué devant des gens et tout

Victor : C’est ça ! Et que tu vois on aurait pu quand même avancer, refaire une partie… » (entretien joueur·euses).

Les documents de gestion interne de Legion incluent, non pas des sanctions, mais la nécessité que certaines scènes se passent. C’est le rôle des guides de s’assurer que la partie de cartes ait lieu, que Sergey suive Olga, etc. Vávrová insiste sur l’importance de ce rôle et sur la nécessité d’accompagner les participant·es pour prendre des décisions qui correspondent au dispositif. Elle dit aussi accepter les compromis puisque l’essentiel pour elle est que « les joueur·euses soient content·es » (Vávrová, entretien concepteur.trices). Margot a ressenti ce décalage entre la communication en amont du larp, effectuée par Vávrová ou l’une des organisatrices habituelles, et la situation durant le larp avec des coordinateurs débutants :

J’ai trouvé que ce qu’ils marketaient et ce qu’on avait comme expérience était… Tout était pareil, quoi, tout ce qui est GN. Mais pour ce qui est approche du GN, j’ai trouvé qu’ils ne communiquaient pas sur leur GN de la manière [dont ils l’organisaient]... Ils ont une communication extrêmement léchée qui ressemble à des GN un peu à la… à la Jean-Charles quoi (sourire), tu vois, tu vas avoir toutes les infos. Et en fait si tu regardes de plus près chez Rolling, en fait tu les as pas. Mais ça a l’air. (Margot, entretien joueur·euses)

Elle ajoute plus tard que cette situation a « nuit à [s]on expérience » (Margot, entretien joueur·euses) mais l’a aussi amenée à mieux comprendre ses propres besoins vis-à-vis d’une organisation en tant que joueuse. L’accompagnement de l’organisation semble donc, au moins

dans l’avant-jeu, créer une relation de confiance avec les participant·es. C’est le propos de Bowman (à paraître), qui fait appel à la notion de Winnicott de « conteneur » pour parler d’un larp comme d’un dispositif qui permet l’apprentissage et la transformation psychologique dans un sentiment de sécurité. Ce sentiment de sécurité semble nécessaire pour l’attitude ludique, puisqu’il fait écho à la « frivolité » de Brougère (2012) ou la « bulle psychologique » de Stenros (2014). Bowman (à paraître) y ajoute toutefois la notion de Winnicott de « se sentir tenu·e »67, qui implique qu’il y a un travail d’accompagnement à faire par l’organisation, d’une part pour guider les participant·es dans leur création d’un sentiment de sécurité et d’autre part dans un processus d’apprentissage ou de transformation quand c’est leur objectif.

Comme pour un jeu de rôle sans Maître·sse de jeu, il est possible d’imaginer que les rôles de l’organisation puissent être répartis et partagés avec les participant·es. Cela soulève deux questions intéressantes pour notre problématique. D’une part, est-ce que le sentiment de sécurité favorise l’apprentissage ou seulement l’attitude ludique ? D’autre part, quelle est la responsabilité de l’organisation pour parvenir à produire ce sentiment de sécurité ? Sans pouvoir répondre à ces questions de façon exhaustive, nous y contribuerons en analysant les postures d’apprentissage qui existent dans Legion.

2.2.

L’apprentissage autodirigé grâce ou malgré la documentation