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Chapitre 4 : Participant·es de Legion et leurs attentes

2. Réponses à nos attentes et critiques de Legion

2.3. Aspect physique de la participation et des attentes

La dimension particulièrement physique de ce larp itinérant amène, nous l’avons vu, à un questionnement de la part des participant·es sur leurs capacités d’endurance à la marche et au

froid. La préparation vise à anticiper un inconfort relatif et peut amener par exemple à entreprendre une activité similaire pour s’entraîner, comme de la randonnée. Cela implique, comme pour la participation à une randonnée, de se renseigner sur les meilleures bottes ou les accessoires permettant de tenir chaud, mais aussi de se préparer des « petites douceurs » (Margot, entretien joueur·euses) comme du chocolat ou des fruits secs, pour tenir bon. L’une des différences de Legion avec une randonnée est que la marche est secondaire, tout en faisant partie intégrante du dispositif. Il s’agit de se prévoir un confort relatif de façon à pouvoir participer dans de bonnes conditions à ce qui sera au centre de l’expérience même durant la marche : l’activité de jeu de rôle, le larp. L’organisation du voyage vers la République Tchèque implique ce que toute préparation de voyage requiert : faire ses bagages, se renseigner sur l’itinéraire ou des points logistiques, chercher plus ou moins des informations sur la vie courante comme la monnaie, le coût des choses, ou même la culture. C’est la même recherche qui se fait pour une destination touristique, au travers d’un apprentissage autodirigé qui permet de prévoir les contraintes afin de se concentrer sur le loisir une fois sur place. Ainsi, ma propre préparation physique est limitée mais me permet de prévoir le larp avec moins d’anxiété :

Je me sens prêt à marcher lors du Legion, voire j’en suis excité, notamment parce que dans le mois qui précède ma lecture, il y a eu une grève des transports et un froid hivernal (8°C) à Paris, ce qui m’a amené à marcher régulièrement 1 ou 2 km d’affilée sans être trop fatigué. Bien que Legion sera plutôt joué à 0°C ou moins, avec des marches de 4 km pour faire le total de 25 km, cela me rassure sur mes capacités physiques. (Freudenthal, carnet de notes)

Pour Legion, l’aspect « hardcore » de la marche est l’un des aspects séduisants de l’expérience, c’est une recherche d’expériences négatives positives (Montola, 2010). Du point de vue des concepteur·trices, il s’agit d’offrir une expérience « authentique » dans la fiction historique proposée, donc nécessairement rude physiquement et avec peu de compromis contemporains. Il y a toutefois une limite au réalisme. Si les participant·es apprennent à construire un feu et une cabane, seul le feu leur apportera une utilité réelle par son confort tout relatif. Le reste est pris en charge par l’organisation : thé noir et repas ou en-cas chauds à chaque étape, parfois des tentes ou des bancs, dans des lieux qui sont, pour la plupart, naturellement protégés du vent. Si c’est une expérience intense que les participant·es cherchent, il leur serait possible de le faire « pour de vrai » l’expérience de la simulation de survie dans les bois : camper dans la nature plutôt que dans le lieu couvert du vendredi, se risquer dans les bois hors des chemins, quitte à se mettre en danger. L’anecdote de l’accident, durant une session internationale, est présentée par Margot et Victor comme une démonstration de cette volonté de difficulté physique :

Margot : Et il y a un Run l’année dernière ou il y a 2 ans, celui où [mon compagnon] était, où ils ont dû au dernier moment pour une galère, tout changer le site. C’est là où ils ont eu des accidents puisque des gens sont tombés dans les trous de six mètres de haut dans la neige, alors qu’il y avait énormément de neige et très très froid par rapport à nous. Et ils ont dû appeler les pompiers pour en sortir. Alors les gens, ils ont pu continuer après, ils se sont pas fait mal, mais... Victor : J’ai entendu parler de cette histoire, il y a un mec qui était en train de crier « we want

to… (rires) continue Legion, we want to continue Legion ». Et le pompier en revenait pas, il

disait « c’est bon, on va vous emmener à l’hôpital », « non non, on continue avec les gars » (rires) « vous êtes sérieux ? » et ils ont reparticipé… Il y a ptet une optimisation à faire sur...

Il est probable que s’il y avait eu une réelle blessure, le message de l’anecdote aurait pu être le même : les personnes qui font Legion viennent aussi pour la difficulté physique. Dans la plupart des cas, il semble que les participant·es respectent le cadre fixé par l’organisation, qu’il s’agisse des chemins validés avec les guides ou le confort d’une pièce chauffée pour la nuit. Ce cadre peut toutefois frustrer légèrement les participant·es qui aurait aimé un défi physique plus important :

Et moi je m’étais inscrite pour une Relentless à la base. Rétrospectivement je pense pas que… porter plus... Moi j’ai regretté de pas avoir… [porté plus]. En plus mon perso, il y avait vraiment un ressort narratif à ce qu’elle ait ses affaires avec elle. Il y avait une intrigue avec mes frères sur le fait que c’était pas un hasard si j’étais dehors dans la forêt quand ils m’ont trouvée. Et j’aurais préféré prendre un sac à dos et prendre au moins une couverture et quelques trucs en plus. (Margot, entretien joueur·euses)

Tu vois porter par exemple… Il y a eu une contrainte physique c’était porter des objets lourds, ben pour moi c’est pas une contrainte, quoi. Certes je vais passer ptet la moitié de mon temps à regarder où je mets les pieds, mais l’autre moitié où je peux, tu sais j’en profite, tu vois. Même si j’ai un truc très lourd sur les épaules, je fais « pff (satisfait) moi je me souviens pourquoi je suis venu ». (Victor, entretien joueur·euses)

La marche de notre session s’est déroulée de façon fluide et rapide, selon Vávrová. Son point de vue sur les capacités physiques du public qui participe aux sessions internationales vient de son expérience d’organisatrice et de sa présence à 8 des 9 sessions internationales. La décision de rendre le larp plus facile physiquement, au point d’arrêter d’organiser des sessions Relentless internationales, vient de là.

On peut ainsi considérer que l’envie de Margot et Victor, avec laquelle je suis d’accord, représente une partie, minoritaire, des personnes qui viennent participer à Legion avec l’attente d’une marche plus difficile. La raison peut être aussi dans le peu de scènes dramatiquement intenses ou violentes de notre session. Plusieurs membres de l’organisation m’ont avoué avoir été surpris·es par le manque de ce type de scènes à l’intérieur de la légion.

Après le débriefing formel, j’ai été voir les trois soldats de trois escouades différentes qui auraient dû me harceler et me violenter durant le larp, d’autant plus que je les y provoquais. « Où étiez-vous ? », avais-je envie de leur demander sur un ton complice, parce que je ne me suis fait attaquer que deux fois. Ils m’ont tout de même ravi d’une partie de mon drama. (Freudenthal, a posteriori)

À ma connaissance, il y a eu très peu d’incidents ouverts liés au « circle of hate », mécanique de jeu incitant à la violence entre les participant·es. Bien que les micro-agressions aient été constantes, les prisonniers de guerre, dont mon personnage fait partie, n’ont pas été agressés et il me semble que les minorités slovaques et russes non plus. Peut-être que ce manque de tension, qui peut amener à une scène de bagarre dans la neige ou la rocaille, a contribué à rendre le larp physiquement plus accessible.

Michael : Tu as dis qu’il correspondait aux GN que tu aimais bien parce que c’était un GN Hardcore, tu as d’autres exemples ?

Margot : Nexus 6.

Michael : Parce que c’est toute la nuit ?

Margot : Parce que c’est toute la nuit. Alors non, Nexus 6 était plus dur que celui-là. Moins de sommeil et plus d’exercices physiques, alors il y avait pas de neige etc. mais il y avait de la pluie ininterrompue et notre camp était sur une colline et on est montés et descendus environ 80 fois... Et tu te prends des [attaques]… En plus, en jeu c’est très dur. Tu te fais engueuler toute la journée, c’est comme si t’étais toujours Slovaque (rires de Victor).

Victor : C’est le côté… psychologique aussi qui joue, plus que physique. (entretien joueur·euses)

Cette pression physique, liée à la pression cognitive et émotionnelle de Legion, fait partie de la difficulté de maintenir le processus de jouer un rôle, qui plus est de façon incorporée (« embodied »). Cette charge mentale est, à notre connaissance, étudiée seulement de façon annexe et nécessiterait davantage de travaux afin de mieux contextualiser les formes de participation et les apprentissages qui peuvent avoir lieu dans un larp. La question que nous pouvons nous poser ici serait sur le rôle de l’organisation dans la gestion de cette question de sécurité émotionnelle.