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Chapitre 4 : Participant·es de Legion et leurs attentes

1. Le débriefing comme part intégrante du dispositif de larp

1.3. Que provoquent les débriefings de larps ?

Koljonen insiste sur ce point de son diagramme (2020) lors de ses conférences : les échanges qui suivent immédiatement le larp vont influencer ce que les participant·es emportent avec elles (« memories & legacies »). Comme indiqué dans la description du débriefing par Margot, cette période peut également faciliter la création d’une communauté d’échange d’après-jeu autour de l’expérience de cette session du larp, de l’expérience du larp en général avec des participant·es d’autres sessions, ou même sur des sujets connexes au larp.

Pour certains larps français, voire franciliens, il existe des groupes Facebook « Ceux qui ont joué… » suivi du nom du larp. La plupart ne redeviennent actifs que lors d’une nouvelle session, avec l’arrivée de nouvelles personnes pour raconter leur vécu, échanger avec les personnes qui ont joué le même rôle, ou juste avec celles avec qui elles ont partagé un bon moment. Le groupe « Ceux qui ont joué Nous n’irons plus danser » est également utilisé parfois pour partager des histoires familiales bien réelles concernant la période de l’Occupation, formant ainsi un groupe ayant un sujet qui dépasse le larp, celui de la mémoire. (Freudenthal,

a posteriori)

Même un content larp avec une structure narrative forte est différent du théâtre classique non participatif66 en ceci que les participant·es perçoivent leur marge de manœuvre pour influencer l'œuvre collective. La liberté d’interprétation du personnage va plus loin que celle du théâtre en ceci que le texte n’est pas prévu d’avance, c’est la personne qui joue qui va improviser en y mettant sa propre sensibilité et une certaine vulnérabilité due à l’incertitude de ce qui vient. S’ajoutent à cela des décisions ponctuelles qui sont prévues dans l’arborescence de choix proposés par Legion, ou la possibilité de ne pas respecter les Ordres du Journal, didascalies qui peuvent être ignorées comme nous l’avons vu.

Ce content larp comporte une arborescence des choix majeurs, soutenue par un Journal de didascalies ou d’ordre ainsi que par une équipe d’organisation qui veille à ce que le récit suive le cours prévu. Cela peut amener à croire la marge de manoeuvre des participant·es limitée, comme ça serait le cas dans un jeu vidéo à multiples embranchements. Pourtant, même si les grandes lignes du récit sont fixées d’avance, les expériences varient significativement d’une session à l’autre. Cela amène les participant·es à se renseigner auprès de l’organisation sur la façon dont leur personnage a été incarné lors de précédentes sessions du larp, afin d’explorer l’horizon des possibilités dans lequel ils ont navigué par leur interprétation. D’ancien·nes

66 La tradition content larp peut toutefois être rapprochée de certaines formes de théâtre immersif, ou des

formes plus anciennes de théâtre, « interactif », « participatif », « environnemental » ou encore du Théâtre de

participant·es continuent également leur débriefing « en pointillés » des mois ou des années plus tard, par la comparaison avec la façon de jouer un même personnage :

La soirée après. Après la fin du dernier atelier, une des PNJ est venue me voir et m’a posé plein de questions sur mon jeu. Et elle m’a dit : « ah mais en fait sur ma 1ère ou ma 2è session je

jouais Anna, j’adore ce personnage et tout ». Et au moment où j’allais me coucher, le mec allemand qui était entre [Michael et moi], il me dit : « ah je peux te demander, quand est-ce que Zorenko, il t’a approché ? » Je lui dis « ah tu connais cette intrigue, il t’en a parlé ? », il me fait « non moi j’ai joué son perso et je voulais savoir comment ça s’est passé pour vous ». Ça c’était assez marrant. (Margot, entretien joueur·euses)

La comparaison entre la tenue de chaque session est une pratique commune aux larps qui comportent des rôles fixés par l’organisation. La limitation des parcours possibles permet ainsi une pratique réflexive de comparaison qui fait continuer le débriefing. Cela peut se faire pendant ou même avant le larp sans divulgâcher l’intrigue, influençant tout de même la manière dont la personne jouera ensuite son personnage, comme lorsqu’une membre de l’organisation m’a indiqué de prêter une attention particulière au personnage qu’elle avait joué. À la manière d’un jeu vidéo à multiples embranchements où il faut faire une suite de choix pour obtenir ce qui est considéré comme « meilleure fin », la performance du larp amène parfois à une recherche de « la bonne façon de jouer » un personnage. Cela peut être d’accomplir des objectifs narratifs contenus ou sous-entendus dans la fiche de personnage, ou des objectifs davantage liés à la personne qui joue, par exemple une recherche de reconnaissance sociale. Des membres de l’organisation partagent parfois, de façon informelle, les statistiques : « Sur toutes les sessions internationales, Kopecký est mort en duel une fois sur deux » (Freudenthal, a posteriori). Ainsi l’organisation et les participant·es ayant déjà joué renforcent ces comparaisons et peuvent inciter à débattre de quel récit est le plus intéressant :

Margot : Je sais qu’il y a au moins une session où c’est le prêtre qui l’a pécho, et je crois que ton perso avait eu un truc genre le joueur qui a arrêté en cours de route… Ou alors est-ce qu’il y a une session où ils étaient ensemble dans le jeu, ou pas très loin, parce qu’on m’a raconté des histoires comme ça.

Victor : Alors, le joueur allemand qui jouait Borak, le chef de la Druzhina, il a joué Jakub l’année dernière.

Margot : Oui ! C’est ça, c’est ce dont on a parlé ensemble.

Victor : Et bah il m’a dit « c’est bizarre en fait, je comprenais pas comment tu jouais Jakub, pourquoi t’as pas quitté la légion ? ». « Pourquoi j’aurais quitté la légion ? [...] »

Margot : Oui lui il est venu me parler hier, il m’a demandé comment tu m’a approchée et tout. Et je lui ai raconté l’histoire, le moment et les trucs. Il a pas du tout la même expérience…

Ces différents échanges permettent ainsi de former ou déformer l’expérience vécue par les participant·es grâce à un temps libre social. Les responsabilités des participant·es à un débriefing sont simplement de se souvenir de leur expérience et parfois de leurs

documentations, parfois sur des informations subjectives comme un ressenti ou une intention, parfois sur des informations objectives, comme lorsque Victor demande « Après quand on te dit que tu marches maximum quatre heures... Enfin on n’a jamais marché aussi longtemps, si ? », Margot répond simplement en faisant appel au vécu commun : « Entre le Téléphérique et l’Auberge ».

Ainsi, les groupes échangent des informations objectives et sensibles, ce qui mène à une vision de l’expérience vécue avec plus de complexité et qui encourage également les futures conversations avec le groupe plus grand des personnes ayant joué le même larp. Par exemple, les critiques sont partie intégrante de notre débriefing de Legion. Celles-ci ont déjà été abordées, mais il semble important de noter un retour régulier de Margot à son expérience d’organisatrice pour critiquer la production, la communication, les ateliers d’avant-jeu. Il pouvait s’agir pour elle, intéressée par la théorie autour de la conception de larps, de formaliser ses pensées afin de pouvoir les garder en mémoire. En ceci, le débriefing en groupe lui permet de tester ses réflexions auprès de personnes ayant vécu une expérience proche de la sienne, mais aussi de les ancrer davantage dans sa mémoire afin de pouvoir les partager avec d’autres ancien·nes legionnaires, voire avec de potentielles « recrues ».