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Le rejet d’une dictature sans idéologie lors des révolutions de 2011 en Egypte et en Tunisie

Section I : les contours des mouvements révolutionnaires en Europe de l’Est et dans le monde arabe

B- Le rejet d’une dictature sans idéologie lors des révolutions de 2011 en Egypte et en Tunisie

La dictature est différente du totalitarisme en ce qu’elle ne dispose pas d’une idéologie. Sa terreur ne sert aucune idéologie, mais juste les caprices d’un tyran.

Contrairement au totalitarisme soutenu par une idéologie, les dictatures sans idéologie

« disparaissent avec les dictateurs et le déclin de la puissance oligarchique qui en assurait la logistique »190. Si en principe, dans les régimes autoritaires, « la prégnance de l’idéologie

188 ARON Raymond, Machiavel et les tyrannies modernes, De Fallois éditions, 1993, p. 219.

189 GELEDAN Alain, Transitions à l’Est, Le Monde-Editions, 1995, p. 52.

190 MILACIC Slobodan, « La nouvelle normalisation des pays ex-communistes. De la norme idéologique à la norme juridique par le « fondu-enchainé » culturel », Revue d’études politiques et constitutionnelles Est-européennes, Numéro Spécial, 2008, p. 7. En Ligne.

62 officielle était beaucoup moins forte »191, dans les régimes tunisien et égyptien, elle était inexistante. Notamment, l’autoritarisme du régime de Ben Ali était caractérisé par « la place qu’y occupait le parti de Ben Ali. Le RCD, dissous le 9 mars 2011, était une organisation assurant un quadrillage étroit du pays »192. En Égypte, également, le PND de Moubarak et l’Armée contrôlaient l’Égypte. C’est qui est toujours vraie avec le président Al-Sissi.

Le monde arabe193 a longtemps été, c’est encore le cas des certains États, dirigé par des monarchies héritières à laquelle ont succédé les empires, ottomans et perses. Ces dernières ont été remplacées dans certains pays par la colonisation occidentale, c’est le cas du Maghreb notamment. La décolonisation laissera une empreinte durable dans les institutions étatiques des pays colonisés. Dans les Etats, dont la majorité de la population est musulmane, les gouvernements ont tenté « d’emprunter à l’occident des idéaux et de valeurs communes et non contradictoires à la civilisation arabo-musulmane »194. En effet, l’adoption des régimes républicains est le fruit de l’avènement de système étatique occidental, car « les puissances coloniales ont tenté d’introduire un nouvel ordre social et d’imposer un droit et des institutions européennes aux populations sous leurs dominations, cette emprise s’est manifestée par l’avènement étatique dans le monde arabe et par l’adhésion des pays arabes au constitutionnalisme libéral »195. On constate, des différences entre les États qui ont adopté la forme républicaine du gouvernement. L’Égypte et la Tunisie ne partagent pas la même organisation étatique ni la même histoire politique et culturelle. Dans les États arabes issus de la décolonisation, « l’intégration des références libérales s’est réalisée de manière spécifique, souvent différenciée selon les États considérés »196.

La Tunisie correspond à peu près au schéma classique des pays décolonisés. L’Égypte est différente parce que son histoire vis-à-vis de la colonisation est différente. La Tunisie a connu, avant la révolution de 2011, que deux présidents de la République : Habib Bourguiba et Ben Ali. Le second a renversé le premier par ce qu’on a appelé « un coup d’État médical ».

191 MILACIC Slobodan, « La nouvelle normalisation des pays ex-communistes. De la norme idéologique à la norme juridique par le « fondu-enchainé » culturel », Revue d’études politiques et constitutionnelles Est-européennes, Numéro Spécial, 2008, p. 14. En Ligne.

192 ALLAL Amin, « Retour vers le futur. Les origines économiques de la révolution tunisienne », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 21.

193 Nous entendons par Monde arabe, les Etats membres de la Ligue Arabe.

194 CAMAU Michel, Articulation d'une culture constitutionnelle nationale et d'un héritage bureaucratique : la désarticulation du constitutionnalisme au Maghreb aujourd'hui, Economica, 1984, p.143.

195 LAVOREL Sabine, Les Constitutions arabes et l'Islam : les enjeux du pluralisme juridique, Presse de l'Université du Québec, 2005, p.8.

196 LAVOREL Sabine, Les Constitutions arabes et l'Islam : les enjeux du pluralisme juridique, Presse de l'Université du Québec, 2005, p.8.

63 En revanche, l’Égypte n’a pas été colonisée même si elle a été un protectorat britannique. Elle a connu quatre présidents avant la révolution de 2011 : Mohammed Naguib (1953-1954), Gamal Abdel Nasser (1956-1970), Anouar El Sadate (1970-1981), le Président Hosni Moubarak (1981-2011). Pour les États postcoloniaux, l’intégration des références occidentales provenait « en partie de l’influence exercée par les puissances européennes sur le monde arabe dès le XIXe siècle : le système juridique des pays arabes, en particulier leur système constitutionnel, a en effet été fortement marqué par les valeurs occidentales »197. Dans le monde arabe, la légitimation constitutionnelle du pouvoir et la légitimation fonctionnelle de l’État sont inspirées du système du colonisateur.

La Tunisie et l’Égypte ont été dirigées par des régimes dictatoriaux. Après la décolonisation, certains dictateurs vont prendre le pouvoir par un coup d’État198. D’autres vont chercher à s’éterniser au pouvoir par des répressions, des intimidations et des oppressions199. Longtemps après l’inertie totale, qui finissait par caractériser le monde arabe, ces deux pays ont connu un sursaut lors des révolutions en 2011. Le déroulement et l’issu des révolutions de 2011 ont été distincts d’un pays à l’autre. Néanmoins, la Tunisie et l’Égypte ont en commun d’avoir été sous l’influence du constitutionnalisme libéral. La Tunisie a adopté, à la suite de la décolonisation, comme tous les États nouvellement indépendants, le modèle étatique du colonisateur. Pour renforcer la structure étatique qui s’est imposée de fait, loin de l’enthousiasme de la population arabe, les pays arabes ont adhéré au constitutionnalisme libéral. Selon Sabine Lavorel, « il s’est ainsi opéré un transfert plus ou moins marqué du constitutionnalisme occidental aux États arabes, perceptible dès les années 1920 en Égypte, en Irak, au Liban et en Syrie, premiers pays arabes à être dotés d’une Constitution écrite. Ces mouvements constitutionnalistes se sont renforcés avec la fin de la période coloniale : l’accession à l’indépendance dans les années 1960 a incité les nouveaux États arabes à codifier leurs règles constitutionnelles »200.

En Tunisie, « sous Ben Ali comme sous Bourguiba, les oppositions syndicales, associatives ou partisanes étaient totalement minoritaires. Effet d’un long processus de répression et de censure avant tout, mais peut-être aussi des dispositions sociales de leurs

197 LAVOREL Sabine, Les Constitutions arabes et l'Islam : les enjeux du pluralisme juridique, Presse de l'Université du Québec, 2005, p.8.

198 En République démocratique du Congo, en Burkina-Faso, L’Egypte et concernant la Tunisie, on va même parler d’un coup d’Etat militaire faite par Ben Ali vis-à-vis de Habib Bourguiba.

199 L’exemple des présidents des Etats de l’Afrique noir qui sont au pouvoir depuis plusieurs décennies est frappant à cet égard.

200 LAVOREL Sabine, Les Constitutions arabes et l'Islam : les enjeux du pluralisme juridique, Presse de l'Université du Québec, 2005, p.12.

64 leaders »201. Les tunisiens et les égyptiens rejetaient les régimes autoritaires qui bâillonnaient toute expression politique contradictoire à celle des régimes. Selon la Professeure Élisabeth Zoller, « tout régime autoritaire rêve d’une manière ou d’une autre à réaliser l’unanimité de la société qu’il gouverne. Ces régimes ne tolèrent que très difficilement, sinon pas du tout, le pluralisme. Ils règnent sur ce que Karl Popper appela des « sociétés fermées » où l’information est étroitement contrôlée, par opposition aux démocraties libérales, mode de gouvernement des « sociétés ouvertes » »202. Les régimes de Ben Ali et Hosni Moubarak étaient des dictatures que Michel De Villiers définit comme « une forme de gouvernement autoritaire qui, à l’opposé de la démocratie, supprime la liberté comme fondement du pouvoir.

Par voie de conséquence ne sont pas reconnues, ou, si elles le sont, sont du moins sévèrement contrôlées, les libertés qui permettent la vie politique (presse, réunion, association, etc.). Le suffrage peut cependant être maintenu, mais aux fins d’acclamation, ce qui lui ôte toute signification »203. En Tunisie, comme l’explique Béatrice Hibou, « les oppositions, les critiques, les dissensions, les énervements et les désaccords existent bien entendu ; mais ils sont interdits de domaine public, contraints en quelque sorte à une privatisation obligée »204. En effet, les révolutions tunisienne et égyptienne de 2011 sont toutes issues d’une exaspération générale des plus démunies, de manque de liberté étouffante, d’un système politique corrompu et policier. Dans le monde arabe, le peuple n’était guidé par aucun rejet idéologique. Les citoyens qui ont renversé les régimes de Ben Ali et de Hosni Moubarak souhaitaient juste manger à leur faim et bénéficier d’un peu de dignité et de liberté. Selon Choukri Hmed, « le chômage, la corruption, les inégalités sociales et spatiales ainsi que la montée de la pauvreté et de la précarité ont incontestablement nourri le mécontentement de l’hiver 2010 »205.

En outre, en Tunisie et en Égypte, ni Ben Ali ni Hosni Moubarak ne cherchaient à endoctriner ou à refaçonner leurs peuples. Ils étaient tout simplement intéressés par le pouvoir et le confort qu’il assure. Les régimes tunisiens et égyptiens étaient brutaux, irrespectueux des droits et libertés des individus. Dans ces régimes, « au contrôle des masses par un appareil

201 ALLAL Amin, « Retour vers le futur. Les origines économiques de la révolution tunisienne », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 21.

202 ZOLLER Elizabeth, Droit Constitutionnel, PUF, coll., « Droit fondamental », 2ème édition, 1999, p. 17.

203 DE VILLIERS Michel et LE DIVELLEC Armel, Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 9ème édition, 2013, p. 124.

204 HIBOU Béatrice, La force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006, p. 251.

205 HMED Choukri, « Au-delà de l’exception tunisienne : les failles et les risques du processus révolutionnaire », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 140.

65 policier et un arsenal juridique répressifs s’ajoutait surtout la violence symbolique du népotisme »206 dont était victimes la majorité de leurs citoyens. Les pays étaient régis au gré des caprices des tyrans. C’était le rejet d’un tel régime sans fondement idéologique qu’on a observé lors des révolutions égyptienne et tunisienne de 2011. Les pays arabes se révoltaient d’abord contre une personne et les différents slogans, en Égypte et en Tunisie, l’ont démontré.

Dans ces pays, les rejets portaient sur un système corrompu qui était dirigé par une oligarchie familiale.

Paragraphe 2 : Les différentes solutions apportées par les révolutionnaires en

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