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Le pouvoir exécutif bicéphale en Tunisie : Le premier ministre, véritable chef du gouvernement et du pouvoir exécutif dans la Constitution tunisienne de 2014

Chapitre II : L'organisation des pouvoirs exécutif et législatif dans les constitutions post-révolutions en Europe de l'Est et dans le monde arabe

A- Le pouvoir exécutif bicéphale en Tunisie : Le premier ministre, véritable chef du gouvernement et du pouvoir exécutif dans la Constitution tunisienne de 2014

En 2012, au sein de l’Assemblée constituante tunisienne, la question relative au pouvoir exécutif, au rapport entre le président de la République et le Premier ministre, a été à l’origine d’un débat vif600. Au final, le régime politique tunisien adopté par la Constitution de 2014 est caractérisé par une Assemblée parlementaire unique et par « un exécutif bicéphale représenté par le président de la République et le gouvernement avec à sa tête son chef »601. En effet, la Constitution tunisienne de 2014 précise que « le pouvoir exécutif est exercé par le président de la République et par un Gouvernement présidé par un chef du gouvernement »602. La Constitution tunisienne de 2014 organise une collaboration entre les deux organes du pouvoir

600 BEN ACHOUR Rafaâ et BEN ACHOUR Sana, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », RFDC, n°92, 2012, p. 731.

601 WEICHSELBAUM Geoffrey et PHILIPPE Xavier, « Le processus constituant et la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 : un modèle à suivre », Maghreb-Machrek, Constitutionnalisme, n°223, Editions ESKA, 2015, p. 66.

602 Article 71 de la Constitution tunisienne de 2014.

162 exécutif en précisant toutefois le rôle de chacun.

Le constituant tunisien a mis en place « un régime politique mixte avec un exécutif bicéphale »603. Le pouvoir exécutif tunisien est représenté d’abord par le président de la République, chef de l’État qui est « le symbole de son unité (…) garantit son indépendance et sa continuité et il veille au respect de la Constitution »604. Le président de la République incarne l’État et il est gardien de son indépendance et sa continuité. Il est en outre gardien du respect de la Constitution. Le président de la République tunisien est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois605. Le candidat au poste du président de la République doit abandonner son autre nationalité s’il dispose d’une deuxième nationalité606. Durant son mandat, le président de la République doit quitter la responsabilité au sein de son parti politique607. Il est placé ainsi au-dessus des partis politiques et il pourra véritablement incarner son rôle constitutionnel d’arbitre et représentant de l’État608. Il est le président de tous les tunisiens sans distinction de leurs affinités politiques. Il nomme le Premier ministre et sur proposition de ce dernier les autres membres du Gouvernement. Mais son choix de Premier ministre reste très limité parce qu’il doit nommer et charger « le candidat du parti politique ou de la coalition électorale ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple de former le Gouvernement »609. Mais, il dispose des pouvoirs propres énoncés dans la Constitution. Le président de la République détermine les politiques générales dans ces domaines en collaboration avec le Chef du Gouvernement. Il s’agit de la défense, des affaires étrangères et de la sécurité nationale610. Le président de la République préside obligatoirement le Conseil des ministres lorsqu’il traite des questions relatives aux domaines énoncés dans l’article 77 de la Constitution611. Le président de la République peut assister aux autres réunions du Conseil des ministres et dans ce cas il préside le Conseil612. Le Professeur Rafaâ Ben Achour pense que

« la situation peut se compliquer davantage » à cause de la présence du Chef de l’État autorisée par l’article 93 de la Constitution613.

603 RIAHI Mouldi, « La Constitution : Elaboration et contenu », Pouvoirs : La Tunisie, n°156, 2016, p. 45.

604 Article 72 de la Constitution tunisienne de 2014.

605 Article 75 de la Constitution tunisienne de 2014.

606 Article 74 de la Constitution tunisienne de 2014.

607 Article 76 de la Constitution tunisienne de 2014.

608 Article 77 de la Constitution tunisienne de 2014.

609 Article 89 de la Constitution tunisienne de 2014.

610 Article 77 de la Constitution tunisienne de 2014.

611 Article 93 de la Constitution tunisienne de 2014.

612 Article 93 de la Constitution tunisienne de 2014.

613 BEN ACHOUR Rafaâ, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », RFDC, n°100, 2014, p. 795.

163 Également, le président de la République dispose d’un droit de dissolution qui est un pouvoir discrétionnaire. Notamment, il peut dissoudre l’Assemblée des représentants, sauf dans les six mois qui suivent le vote de confiance ou dans « les six derniers mois du mandat présidentiel ou de la législative »614 ou encore lors de l’exercice des pouvoirs exceptionnels615. Le président de la République peut exercer le plein pouvoir « en cas de péril imminent menaçant la Nation ou la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics »616. Mais, il doit consulter le Chef du Gouvernement et le président de l’Assemblée des représentants du peuple. Il doit également informer le président de la Cour constitutionnelle. La Constitution tunisienne de 2014 ne précise pas la portée juridique des avis de ces trois autorités que le président de la République doit consulter avant de s’adresser au peuple. Mais, la Constitution tunisienne de 2014 précise qu’« à tout moment, trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à la demande du président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente membres de ladite Assemblée, la Cour constitutionnelle est saisie en vue de vérifier si la situation exceptionnelle persiste. La décision de la Cour est prononcée publiquement dans un délai ne dépassant pas quinze jours »617. Durant cette période, le président de la République ne pourra pas dissoudre l’Assemblée des représentants qui est « en état de réunion permanente »618 et aucune motion de censure ne peut être présentée à l’encontre du Gouvernement.

Malgré une élection au suffrage universel direct « qui lui confère une légitimité populaire égale à celle de l’Assemblée des représentants des peuples, le président de la République ne bénéficie que de peu de prérogatives »619. Dans le cadre de l’exercice de ces pouvoirs propres, le président de la République doit le faire en collaboration avec le chef du Gouvernement620.

Le Gouvernement est le deuxième organe du pouvoir exécutif qui « se compose d’un chef du Gouvernement, de ministres et de secrétaires d’État choisis par le chef du Gouvernement (…). En ce qui concerne les deux ministères des Affaires étrangères et de la Défense, le choix est fait en concertation avec le président de la République »621. Contrairement au Chef de l’État élu par le peuple, pour entrer en fonction, le Gouvernement doit obtenir la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple. Ensuite, il prête serment devant le président de la

614 Article 77 de la Constitution tunisienne de 2014.

615 Article 80 de la Constitution tunisienne de 2014.

616 Article 80 de la Constitution tunisienne de 2014.

617 Article 80 de la Constitution tunisienne de 2014.

618 Article 80 de la Constitution tunisienne de 2014.

619 BEN ACHOUR Rafaâ, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », RFDC, n°100, 2014, p. 793.

620 Article 77 de la Constitution tunisienne de 2014.

621 Article 89 de la Constitution tunisienne de 2014.

164 République622. En revanche, malgré cette double « allégeance », le Gouvernement demeure politiquement uniquement « responsable devant l’Assemblée des représentants du peuple »623. Le Premier ministre est le chef du Gouvernement et par conséquent c’est à lui que revient la tâche de gouverner le pays avec ses ministres. Pour cela, il « détermine la politique générale de l’État, conformément aux dispositions de l’article 77, et veille à sa mise en œuvre »624. Il convoque et dirige le conseil des ministres625. Il en fixe également l’ordre du jour. Dans le respect des domaines réservés du président de la République626, le Premier ministre détermine et conduit la politique générale de l’État. Il veille également à sa mise en œuvre par les autres membres du gouvernement. En vertu de l’article 92 de la Constitution tunisienne de 2014, « le chef du Gouvernement est compétent en matière de création, modification et suppression des ministères et des secrétariats d’État. Il détermine leurs attributions et prérogatives, après délibération en Conseil des ministres ; révocation d’un ou de plusieurs membres du Gouvernement ou examen de leur démission, en concertation avec le président de la République s’il s’agit du ministre des Affaires étrangères ou de la Défense ; création, modification ou suppression des établissements publics, des entreprises publiques et des services administratifs, ainsi que fixation de leurs attributions et prérogatives, après délibération en Conseil des ministres, excepté ceux qui relèvent de la compétence de la présidence de la République et dont la création, la modification ou la suppression se fait sur proposition du président de la République ; nomination et révocation aux emplois civils supérieurs ; les emplois civils supérieurs sont déterminés par la loi »627. Il doit tenir informé le président de la République des décisions prises dans le cadre de ses missions. Pour mener à bien ses missions, le chef Gouvernement bénéficie d’un pouvoir réglementaire général et individuel628. Selon l’article 95 de la Constitution, « les décrets émanant du chef du Gouvernement sont appelés décrets gouvernementaux. Les décrets à caractère réglementaire sont contresignés par le ministre concerné. Le chef du Gouvernement vise les actes à caractère réglementaire pris par les ministres ».

En outre, si la vacance temporaire de la présidence de la République est constatée par la justice constitutionnelle, le Premier ministre assure l’intérim « pour une période n’excédant

622 Article 89 de la Constitution tunisienne de 2014.

623 Article 95 de la Constitution tunisienne de 2014.

624 Article 91 de la Constitution tunisienne de 2014.

625 Article 93 de la Constitution tunisienne de 2014.

626 Il s’agit de la Défense, les Affaires étrangères et la Sécurité nationale.

627 Article 92 de la Constitution tunisienne de 2014.

628 Article 95 de la Constitution tunisienne de 2014.

165 pas trente jours, renouvelables une seule fois »629. La période de vacance provisoire est repoussée à soixante jours par la Cour constitutionnelle si l’intérim est assuré « pour des raisons qui rendent la délégation des pouvoirs impossible »630. Le président intérimaire est soumis à certaines conditions telles que l’interdiction de réviser la Constitution, d’organiser le référendum et de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple631.

La Collaboration entre ces deux organes au sommet de l’État est indispensable pour garantir une bonne application de la politique générale dont le Gouvernement est chargé.

Dans le même ordre de démarche, la Constitution tunisienne de 2014 a prévu réciproquement que le Gouvernement tient au courant le président de la République de ses décisions632. Si la Constitution tunisienne de 2014 organise une collaboration entre le président de la République et le premier, il est clair qu’« au sein de l’exécutif, le chef du gouvernement est omnipotent »633.

Dans tout le cas, la nature du régime politique tunisien et le rapport entre les deux têtes de l’exécutif dépendront largement des résultats des élections. En Tunisie, les résultats des élections présidentielles et législatives de 2014 ont accordé une majorité relative à l’Assemblée des représentants du peuple au parti politique du président de la République. Par conséquent, le régime politique tunisien « pourra fonctionner de façon semi-présidentielle comme il pourrait fonctionner de façon plutôt parlementaire dans une configuration de résultats électoraux différents »634. Dans la situation d’une cohabitation entre un président de la République et un Premier ministre issus de deux partis politiques différents, « le risque de la crise est réel en cas de désaccord entre les deux têtes du pouvoir exécutif »635. Dans ce cas, le président de la République peut « demander à l’Assemblée des représentants du peuple de procéder à un vote de confiance au Gouvernement, aux maximum 2 fois pendant le mandat présidentiel »636. Les députés peuvent rejeter cette demande vis-à-vis de sa majorité et dans ce cas, l’Assemblée des représentants risque d’être dissoute en représailles. Mais, si les députés refusent à deux reprises de voter la confiance au Gouvernement, ce dernier est « réputé

629 Article 85 de la Constitution tunisienne de 2014.

630 Article 84 de la Constitution tunisienne de 2014.

631 Article 86 de la Constitution tunisienne de 2014.

632 Article 92 de la Constitution tunisienne de 2014.

633 BEN ACHOUR Rafaâ, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », RFDC, n°100, 2014, p. 795.

634 WEICHSELBAUM Geoffrey et PHILIPPE Xavier, « Le processus constituant et la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 : un modèle à suivre », Maghreb-Machrek, Constitutionnalisme, n°223, Editions ESKA, 2015, p. 66.

635 BEN ACHOUR Rafaâ, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », RFDC, n°100, 2014, p. 793.

636 Article 99 de la Constitution tunisienne de 2014.

166 démissionnaire »637.

B- Le pouvoir exécutif bicéphale en Egypte : Le président de la République

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