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La compatibilité de l’idée de l’internationalisation du constitutionnalisme avec les singularismes des pays du monde arabe et de l’Europe de l’Est

En Europe de l’Est après 1989 et dans le monde arabe après 2011, l’adhésion à l’idée du constitutionnalisme se fait dans le respect de la singularité de chaque peuple. D’abord concernant, le singularisme, les contextes révolutionnaires et postrévolutionnaires étaient différents dans le monde arabe et en Europe de l’Est. Lors de l’analyse du processus révolutionnaire en Europe de l’Est et dans le monde arabe, nous avons observé que les révolutionnaires luttaient contre deux systèmes politiques différents, mais pour une même aspiration qu’ils entendaient réaliser à l’aide d’un moyen similaire : la Constitution.

En Europe de l’Est, la pratique de l’idéologie communisme par un régime totalitaire a conduit au rejet du communisme d’État. Concernant le régime politique combattu, la divergence entre ces deux révolutions est profonde. Par conséquent, en Europe de l’Est, c’est tout un modèle politique, social, économique et idéologique qui s’est effondré, en l’occurrence le communisme. Dans le monde arabe, c’est la dictature sans idéologie particulière, c’est-à-dire un régime politique liberticide, sans fondement idéologique, appuyé par la force policière qui s’est effondré. Ici aussi, c’est la pratique du pouvoir par un régime autoritaire qui est rejetée c’est-à-dire même si elle symbolise aujourd’hui le régime de Ben Ali, la Constitution tunisienne de 1959 n’a jamais été véritablement appliquée. Dans ce cas, on ne peut pas remettre en cause son contenu.

S’il est vrai que l’Union soviétique était aussi une dictature liberticide plus violente et aussi dominatrice que les dictatures arabes déchues, elle n’était pas que cela. Le communisme est avant tout une idéologie, une forme d’économie et d’exercice politiques, même s’il a pris dans beaucoup des États l’exerçant une allure de dictature. Les États issus de la désagrégation de l’URSS étaient contraints de résoudre la question fondamentale de la définition et l’affirmation de leur identité pour réussir complètement la transition et éviter le vieux démon

35 communiste. Pour les gouvernements issus du printemps arabe, le problème est tout autre.

Leurs problèmes sont principalement économiques et politiques et il suffira de s’atteler à ces deux tâches pour réussir la transition démocratique. Il n’existe pas en apparence des questionnements identitaires. Leur identité arabo-musulmane n’est pas remise en cause par les révolutionnaires, ni en Égypte ni en Tunisie. Contrairement à l’Europe de l’Est qui a vu la naissance des nouveaux États, dans le monde arabe, c’est un changement des régimes qui s’est produit. À l’Est le rejet du communiste à cette époque signifiait, du fait des conséquences de la guerre froide et de la bipolarisation du monde, une adhésion au libéralisme et au capitalisme, donc à une autre idéologie. Les révolutions récentes dans le monde arabe sont dirigées uniquement contre le système politique et le gouvernement en place dans chaque État. Elles visaient plus la pratique du pouvoir que telle ou telle autre idéologie, qui faisait de toute façon défaut au régime en place. Quand en Europe de l’Est, le peuple se révoltait contre le communisme pour adhérer au libéralisme politique et constitutionnel, dans le monde arabe on s’indignait, non pas contre un communisme auquel ils n’ont jamais adhéré, mais contre l’injustice sociale, l’absence des libertés et d’égalité. Quand certains, en Europe de l’Est, construisaient l’État suite à un éclatement, d’autres, dans le monde arabe, reconstruisaient l’État détruit et mis en faillite par la mauvaise gestion des dirigeants illégitimes et corrompus.

En Europe de l’Est et dans le monde arabe, le désespoir et la colère du peuple ont eu raison des régimes dictatoriaux qu’on pensait indéboulonnables. Le système politique renversé ici ou là n’était pas totalement identique, mais le projet, la démocratisation du régime et de l’économie (distribution égale de la richesse) et l’origine de la révolte, le peuple ou la rue sont incontestablement les mêmes. De l’oppression à la liberté, de la misère à la dignité, de l’économie planifiée à l’économie libérale, voilà en deux périodes différentes, le commun idéal de ces deux peuples. Les uns voulant se libérer du joug de l’idéal communisme, de la dictature exercée au nom du prolétariat devenu oppressante et invivable, les autres souhaitant se soustraire à une autre dictature, exercée par l’oligarchie sans se préoccuper du peuple, mais clairement pour eux, liberticide, misérable, empêchant le moindre rêve du meilleur, intenable et humiliant.

Ensuite, concernant l’adhésion commune au constitutionnalisme, elle découle du fait que ces deux révolutions ont en commun d’être inextricablement pour la démocratie par le droit.

36 En Europe de l’Est, le Professeur MILACIC Slobodan estime que « le changement a été radical, brusque et malgré tout inattendu, pour ainsi dire révolutionnaire en 1989-1990, opérant une transformation des pays socialistes-marxistes en état de droit — démocratiques, libéraux, pluralistes »96. Selon Rafâa Ben Achour, « la révolution tunisienne de 2011 a été une révolution pour la liberté, la dignité et la justice sociale »97. C’est en cela que les deux révolutions sont identiques. Les revendications des révolutionnaires étaient similaires. Ayant déjà en commun ce comportement du passage soudain de la passivité léthargique à la révolte ouverte, le monde arabe et l’Europe de l’Est ont aussi en commun d’avoir choisi le chemin de la démocratisation par la Constitution avec tous les obstacles qu’il porte.

Enfin de compte, comme l’explique Miklos Molnar, « malgré la diversité des situations et du caractère des tentatives de changement, soulignons-le encore une fois, le conflit de base reste le même dans la révolution antitotalitaire »98. Le constat de l’auteur pour les révolutions en Europe de l’Est se confirme avec les révolutions récentes dans le monde arabe. Pour preuve, ces deux combats dans des années et sur deux continents éloignés se ressemblent beaucoup dans leurs objectifs. Dans le monde arabe, on se révoltait contre des dictatures sans fondement idéologique seulement assoiffées des pouvoirs. En revanche, en Europe de l’Est, on luttait contre une idéologie communiste mise au service des dirigeants au pouvoir sous l’influence directe d’une puissance étrangère qui est l’URSS.

Dans ces pays un consensus, que ça soit en Europe de l’Est en 1989 ou dans le monde arabe en 2011, était trouvé pour changer ces régimes politiques et mettre fin aux révolutions.

Pour cela, la même voie a été choisie par ces pays. Le droit, en l’occurrence la Constitution, a été utilisé pour service cet objectif. Le droit a permis de mettre en place de nouveaux régimes politiques et de mettre fin au processus révolutionnaire par la même occasion. Pour instaurer un nouvel ordre constitutionnel (Première Partie), ces pays ont adopté de nouvelles Constitutions. La transition n’est pas engagée de la même façon dans chaque pays, il est possible aujourd’hui de souligner, bénéficiant du recul du temps et en saisissant l’occasion du printemps arabe, que les pays de l’Europe de l’Est ont pour certains réussi leur transition et l’améliorent en intégrant la grande Europe démocratique. Si des États comme la Pologne et la Hongrie ont connu une transition rapide, d’autres, comme la Roumanie et l’Ukraine ont eu du mal à réussir leurs transitions. C’est également le chemin qui a été emprunté par les deux

96 MILACIC Slobodan, De l’âge idéologique à l’âge politique : l’Europe post-communiste vers la démocratie pluraliste, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 248.

97 BEN ACHOUR Rafâa, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », RFDC, n°100, 2014, p. 785.

98 MOLNAR Miklos, « La démocratie se lève à l'Est. Société civile et communisme en Europe de l'Est : Pologne et Hongrie », PUF, 1990, p.5.

37 États arabes. La Tunisie a réussi sa transition politique mieux que l’Égypte qui a connu une période transitoire chaotique99. L’Égypte a adopté deux Constitutions post-moubarak100 et a connu plusieurs troubles avant que l’armée prenne le pouvoir en limogeant le président élu.

L’adoption d’une Constitution n’est pas synonyme de la démocratisation du pays, car

« les textes ne créent pas les démocraties ; les hommes et les idées, les partis et les principes, les mystiques et les affirmations, les mœurs et les traditions sont les facteurs déterminants d’un régime. Les textes créent certaines conditions d’évolution, de transformations, de réalisations politiques »101. Le contenu du texte constitutionnel et le mécanisme garantissant son respect sont importants pour passer d’une Constitution formelle à une démocratisation du pays (Deuxième Partie). En effet, la réussite de la transition démocratique dépendra certainement de l’application effective des nouvelles Constitutions post-révolutions. Mais également, dans des pays qui sortent de régime autoritaire et totalitaire, des mécanismes qui garantissent le respect du texte constitutionnel.

99 BERNARD-MAUGIRON Nathalie, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », in Révolution et droits de l’Homme : aspects politiques : le cas des révolutions arabes et moyen-orientales, sous la direction de Véronique Champeil-Desplats, L.G.D.J., 2015. p. 175.

100 La première en 2012 et la seconde en 2014.

101 MIRKINE-GUETZEVITCH Boris, « Les méthodes d'étude du droit constitutionnel comparé », In : Revue internationale de droit comparé. Vol. 1 N°4, Octobre-décembre 1949, p. 417 ; doi : 10.3406/ridc.1949.18889 http://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1949_num_1_4_18889.

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