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La présentation des processus révolutionnaires de 2011 en Tunisie et en Egypte

Section I : les contours des mouvements révolutionnaires en Europe de l’Est et dans le monde arabe

B- La présentation des processus révolutionnaires de 2011 en Tunisie et en Egypte

La situation du monde arabe est radicalement différente de celle de la Pologne et de la Roumanie. Les tunisiens et les égyptiens devaient seulement se débarrasser d’un système national qui a été instauré par un dirigeant. Il n’existait pas une puissance étrangère qui dirigeait à distance leurs pays. Par conséquent, leurs combats visaient seulement les dirigeants nationaux. En Tunisie, le parti politique de Ben Ali, le RCD125, dissout le 9 mars 2011, était

« une des principales caractéristiques de la situation autoritaire tunisienne »126. En Égypte, le président Hosni Moubarak souhaitait investir son fils comme candidat de son parti politique, PND127, à la présidence de la République.

Les révolutions qui ont secoué le monde arabe sont parties de la Tunisie. En Tunisie, la révolution a commencé le 17 décembre 2011, à la suite de l’immolation par le feu du commerçant ambulant nommé Mohamed Bouazizi. Ce dernier a été agressé par une policière et s’est vu confisquer sa charrette. L’acte désespéré d’un habitant de Sidi Bouzi a indigné le pays entier parce que son geste « a représenté comme une condensation de l’indignation largement ressentie dans le pays et éprouvée dans différentes actions collectives »128.

Mohamed Bouazizi était devenu « une figure mythique et mythifiée d’une population en souffrance, empêchée de subvenir à ses besoins »129. Il incarnait la Tunisie qui exprimait son rejet « de la marginalisation, de l’inégalité, de la pauvreté et de l’injustice »130. Les tunisiens étaient soumis au régime de Ben Ali au point que « l’accès aux crédits à la consommation, aux aides de telle administration ou de tel programme social, l’obtention d’autorisations (comme les permis de construire), d’une bourse d’études, d’une licence pour ouvrir un café, d’un agrément pour devenir taxi, etc.., n’étaient possibles qu’en vertu de la médiation de

125 RASSEMBLEMENT CONSTITUTIONNEL DEMOCRATIQUE.

126 ALLAL Amin, « Retour vers le futur. Les origines économiques de la révolution tunisienne », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 21.

127 Parti National Démocratique.

128 ALLAL Amin, « Trajectoires « révolutionnaires » en Tunisie. Processus de radicalisations politiques 2007-2011 », Revue française de science politique 2012/5 (Vol. 62), p. 827. DOI 10.3917/rfsp.625.821

129 ALLAL Amin, « Retour vers le futur. Les origines économiques de la révolution tunisienne », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 18.

130 RIAHI Mouldi, « La Constitution : contenu et élaboration », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 31.

47 cadres du RCD »131. Dans ces conditions, l’acte désespéré de Mohamed Bouazizi a libéré tout le pays et il a constitué le point de départ de ce qu’on a appelé le « printemps arabe ».

La jeunesse constituait la force principale et vive de ces révolutions132. Éprise de la liberté, les rues exprimaient des slogans tels que « Dégage », « Ben Ali out », « le peuple a faim et veut du pain », « Tunisie libre », « Dégage Moubarak », etc.… Les rues tunisiennes et égyptiennes scandaient ces slogans qui exprimaient « la volonté d’un peuple d’en finir avec un passé d’autoritarisme, d’oppression, de corruption et de népotisme »133. Le président Ben Ali, à l’aide de son parti politique, « avait réussi à opérer un maillage serré du territoire grâce aux multiples comités de quartier, cellules et autres comités de coordination. L’appareil du parti dédoublait l’administration publique »134. Le souhait des révolutionnaires était clair. Ils réclamaient des libertés et du travail.

Pour canaliser les mouvements des contestations, le président Ben Ali a décrété l’état d’urgence le 15 février 20122 par le décret n° 184. À la surprise générale, le 14 janvier 2011, dans une allocution télévisée, le Premier ministre Mohamed Ghannouchi, entouré du président de la chambre des députés et du président de la chambre des conseillers, a annoncé la fuite du président Ben Ali. Il va assumer le poste du président. C’était une situation inédite dans la vie constitutionnelle tunisienne. La situation autour du départ du président Ben Ali n’était pas claire. Il ne s’agissait pas d’une absence temporaire qui pouvait justifier l’intérim du Premier ministre135. Rien, non plus, ne disait que c’était un départ définitif qui allait justifier l’intérim du président de la Chambre des députés. Le président Ben Ali a quitté la Tunisie alors qu’elle était en état d’urgence. Cette situation d’urgence empêchait l’application normale de la Constitution de 1959 donc de ses articles 56 et 57. Le Premier ministre a admis que le cadre juridique retenu était inadéquat et il a saisi le Conseil constitutionnel tunisien pour clarifier la situation. Dans une déclaration du 15 janvier 2011, ce dernier a déclaré « la vacance définitive au poste de président de la République » et il a ensuite constaté que « les conditions constitutionnelles sont remplies pour que le président de la chambre des députés assume immédiatement les fonctions de président de la République par intérim ». Le Conseil constitutionnel débloque la situation en deux temps, en qualifiant d’abord de définitif

131 ALLAL Amin, « Retour vers le futur. Les origines économiques de la révolution tunisienne », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 22.

132 On pense notamment, en Tunisie, à l’Union des diplômés chômeurs fondés en 2006, au syndicat étudiant et en Egypte, au mouvement du 6 février des Jeunes de 6 avril qui est né en 2008 suite à l’appelle des Ouvriers de la ville Mahala.

133 RIAHI Mouldi, « La Constitution : contenu et élaboration », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 31.

134 ALLAL Amin, « Retour vers le futur. Les origines économiques de la révolution tunisienne », Pouvoirs : La Tunisie, n°156, 2016, p. 22.

135 Article 56 de la Constitution tunisienne de 1959.

48 l’empêchement du président Ben Ali et ensuite, en conséquence, en mettant en œuvre l’article 57 de l’ancienne constitution136. La situation révolutionnaire qui prévalait dans le pays empêchait naturellement le président intérimaire de bénéficier de tous les droits et attributions, recourir au referendum, démettre le gouvernement par exemple, que lui accorde la constitution. Également, « il était clair et largement admis, en vertu d’un accord tacite entre les différentes forces politiques, que l’article 57 ne pouvait pas être scrupuleusement respecté et surtout que, les élections présidentielles ne pouvaient pas avoir lieu dans le délai constitutionnel maximum de 60jours (le 15 mars). Ainsi la date du 14 juillet fut avancée pour ces élections »137.

Le 17 janvier 2011, un gouvernement dit « d’unité nationale » a été formé. Un vaste mouvement des contestations a été organisé, le 20 février 2011, contre ce gouvernement d’union qui comptait plusieurs personnalités du régime de Ben Ali. Selon Mouldi Riahi, le refus de ce gouvernement était expliqué par les liens entre « les revendications sociales et les revendications politiques »138. La présence des anciens collaborateurs de Ben Ali, tels que le Premier ministre Ghannouchi, révoltait les tunisiens. Les contestataires vont occuper le siège du Gouvernement. Face à l’infléchissement du mouvement, le 28 février, le Premier ministre a démissionné. Le 7 mars un nouveau gouvernement composé de technocrate est entré en fonction. Le 15 mars, la Constitution de 1959 a été abrogée par l’entrée en vigueur d’un nouveau texte portant organisation provisoire des pouvoirs publics139. Il s’agissait d’un texte bref qui comptait dix-neuf articles qui, en abrogeant l’ancienne constitution de 1959, permettaient de fonder un nouvel ordre juridique provisoire pour assurer une transition juridique en organisant « le fonctionnement provisoire des institutions de l’État »140. Selon son article premier, le décret est effectif « jusqu’à ce qu’une Assemblée nationale constituante, élue au suffrage universel, libre, direct et secret selon un régime électoral pris à cet effet, prenne ses fonctions ». Il interdisait dans ses articles 6 et 15 à l’exécutif, c’est-à-dire au président par intérim et le gouvernement provisoire, de se présenter à l’élection de l’Assemblée nationale constituante. Afin d’aider le Gouvernement dans cette période transitoire, une commission d’experts-juristes ayant un caractère consultatif a été instituée.

Elle était autorisée « à soumettre des projets de loi à la présidence de la République et au

136 Article 57 de la Constitution tunisienne de 1959.

137 BEN ACHOUR Rafaâ et BEN ACHOUR Sana, « La transition démocratique en Tunisie », RFDC, n°92, 2012, p.719.

138 RIAHI Mouldi, « La Constitution : contenu et élaboration », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 31.

139 Décret-loi n°14 du 23 mars 2011, JORT n°20 du 25 mars 2011.

140 BEN ACHOUR Rafaâ et BEN ACHOUR Sana, « La transition démocratique en Tunisie », RFDC, n°92, 2012, p.722.

49 Premier ministre »141. Elle a été présidée par le doyen Yadh Ben Achour. Elle a été nommée Instance supérieure pour la sauvegarde des objectifs de la révolution, des réformes politiques et de la transition démocratique. Selon le décret-loi du 18 février 2011, elle était une « autorité publique indépendante » chargée « d’étudier les textes législatifs ayant trait à l’organisation politique et de proposer les réformes à même de concrétiser les objectifs de la révolution relatifs au processus démocratique »142. En concertation avec le Premier ministre, elle émettait un avis consultatif sur l’activité du Gouvernement. Elle a aidé également à la préparation des élections de l’Assemblée nationale constituante. Elle a proposé au Gouvernement dans le cadre de sa mission un décret-loi n° 35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection de l’Assemblée nationale constituante et un autre décret-loi n° 27 du 18 avril 2011 portant sur l’Instance supérieure indépendante pour les élections.

Le « printemps arabe » parti de la Tunisie, comme celles de l’Europe de l’Est, a produit un effet domino en embrasant d’autres pays. C’est fut, le cas de l’Égypte. La fuite de Ben Ali encourageait les égyptiens dans leurs actions parce qu’ils souhaitaient « capitaliser sur cet événement et oser espérer plus que d’habitude »143. Le 25 janvier 2011, en Égypte, une révolution commence et affecte plusieurs villes. Selon Nathalie Bernard-Maugiron, dans le monde, « les points communs entre les demandes des protestataires étaient l’appel à une véritable séparation et à un équilibre des pouvoirs, à l’élargissement et à la garantie des libertés individuelles, à l’indépendance du judiciaire, à des élections libres ou à la lutte contre la corruption »144. Dans la capitale égyptienne, au Caire, en déjouant le quadrillage des forces de sécurité, quinze mille personnes convergent vers la place Tahrir. Vendredi 28 janvier 2011, baptisé le « vendredi de la colère », a montré l’ampleur que les contestations ont prise non seulement dans la capitale, mais également dans l’ensemble du pays. Le siège du Parti national démocrate (PND) de Hosni Moubarak a été incendié par les manifestants. Pour la première fois depuis le début de la révolution, le président Hosni Moubarak, pour annoncer des réformes et défendre son bilan, s’est exprimé à la télévision. Il a nommé le 29 janvier 2011 un nouveau gouvernement ayant à sa tête Ahmed Chafik, ancien commandant de

141 RIAHI Mouldi, « La Constitution : contenu et élaboration », Pouvoirs : la Tunisie, n°156, 2016, p. 32.

142 BEN ACHOUR Rafaâ et BEN ACHOUR Sana, « La transition démocratique en Tunisie », RFDC, n°92, 2012, p. 721.

143 EL CHAZLI Youssef, « Sur les sentiers de la révolution. Comment des Égyptiens « dépolitisés » sont-ils devenus révolutionnaires ? », Revue française de science politique 2012/5 (Vol. 62), p. 850. DOI 10.3917/rfsp.625.843.

144 BERNARD-MAUGIRON Nathalie, « Les réformes constitutionnelles dans les pays arabes en transition », Annuaire IEMed. De la Méditerranée : transitions dans le monde arabe, 2013, p. 51. Voir http://www.iemed.org/observatori-fr/arees-danalisi/arxius-adjunts/anuari/iemed

2013/Bernard%20Maugiron%20reformes%20constitutionnelles%20pyas%20Arabes%20FR.pdf

50 l’armée de l’air, et Omar Souleiman, le chef de « Moukhabarat »145, comme vice-président.

L’armée est envoyée dans les rues pour remplacer la police qui se trouve complètement dépassée par les événements. Le 30 janvier 2011, le président américain a demandé au président égyptien d’entendre les revendications de son peuple. Le même jour, les frères musulmans, qui étaient absents des mouvements de contestation, ont demandé une transition pacifique. Le 1 février 2011, des millions des personnes ont descendu dans les rues pour une

« marche du million ». Le président Moubarak a annoncé qu’il ne se représenterait pas lors des prochaines élections présidentielles, mais qu’il irait au bout de son mandat actuel. Le 2 février, des miliciens « baltaguis », suspectés d’agir sur ordre et pour le compte du régime Moubarak, ont attaqué les manifestants de la place Tahrir. Le vendredi 4 février 2011, baptisé

« vendredi du départ », une manifestation géante s’est organisée. Le 10 février, Hosni Moubarak a transmis ses pouvoirs au vice-président Omar Souleiman tout en annonçant qu’il ne s’en ira pas. Dès le lendemain, le 11 février 2011, le vice-président a annoncé sa démission et celle du président Moubarak. Le pouvoir exécutif a été assumé par le président du Conseil supérieur des forces armées, le maréchal Tantaoui. Pourtant, la Constitution de 1971 avait prévu dans le cas d’empêchement définitif du président de la République que l’intérim serait assuré par le Président de la Chambre basse.

Dans tout les cas, le départ de Moubarak et l’arrivée au pouvoir d’une autre personne signifiaient qu’en Égypte, la transition politique était entamée. Le Conseil suprême des forcées armées suspend, le 13 février, la Constitution de 1971 et dissout le parlement146. Deux jours après, une Commission de réforme de la Constitution a été créée et elle a remis le 28 février ses propositions au conseil supérieur des forces armées qui assumait la transition politique. Le 3 mars 2011, le Gouvernement d’Essam Charaf a remplacé celui d’Ahmed Chafiq. Le 19 mars, les propositions de la Commission de réforme de la Constitution sont ratifiées par référendum. Le 16 avril 2011, le PND147 a été dissout et le président déchu, Hosni Moubarak, a été arrêté. Son procès sera ouvert le 3 mars 2011.

145 Service de renseignement égyptien.

146 BERNARD-MAUGIRON Nathalie, « Les réformes constitutionnelles dans les pays arabes en transition », Annuaire IEMed. De la Méditerranée : transitions dans le monde arabe, 2013, p. 52. Voir http://www.iemed.org/observatori-fr/arees-danalisi/arxius-adjunts/anuari/iemed

2013/Bernard%20Maugiron%20reformes%20constitutionnelles%20pyas%20Arabes%20FR.pdf

147 PARTI NATIONAL DEMOCRATIQUE fut le parti du président Hosni Moubarak.

51 Paragraphe 2 : Les acteurs de la révolution et les défis inhérents à la période

révolutionnaire dans le monde arabe et en Europe de l’Est.

Les périodes post-révolutions sont caractérisées par des crises, des incertitudes et de flous qui sont dus aux bouleversements révolutionnaires. Les défis dont nous parlons sont ceux qui peuvent conduire au retour des anciens régimes et qui pourront donc anéantir les attentes de la révolution. Les pays de l’Europe de l’Est et du monde arabe n’ont pas échappé à ces risques des révolutions. Parce que chaque transition est unique, nous allons examiner séparément, les défis des différentes transitions. Les défis postcommunistes et ceux du monde arabe plus récents sont différents et ils se sont produits à deux époques différentes pour mieux en rendre compte nous allons les traiter séparément, d’un côté ceux rencontrés en Europe de l’Est (A), il y a un temps et ceux des pays arabes plus récents (B).

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