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Les limites du pluralisme politique dans les Constitutions tunisienne et égyptienne de 2014

Section II : Le pluralisme politique en Europe de l’Est et dans le monde arabe

B- Les limites du pluralisme politique dans les Constitutions tunisienne et égyptienne de 2014

En Égypte et en Tunisie, le pluralisme politique est un droit constitutionnel garanti et encadré par leurs Constitutions respectives de 2014. En Égypte, les citoyens peuvent créer sur une simple déclaration un parti politique qui sera dissout que par une décision de justice504. La création d’un parti politique est simplifiée, mais sa dissolution est plus complexe, car elle nécessite une décision de la justice. Néanmoins, la création d’un parti politique, aussi simple soit-elle, reste soumise à certaines conditions prédéfinies par la Constitution de 2014. En Égypte, « aucune activité politique ne peut s’exercer, ni de parti politique se créer, sur une base religieuse ou de discrimination fondée sur le sexe, l’origine, l’appartenance sectaire ou géographique, de même qu’aucune activité hostile à la démocratie, secrète, ou ayant un caractère militaire ou paramilitaire ne peut être pratiquée »505. La Constitution égyptienne interdit d’abord toute activité politique qui serait entreprise sur le fondement d’une religion.

Dans ce sens, un rassemblement politique d’un parti politique ou d’une personnalité politique qui appelle à une communauté religieuse ou à une revendication religieuse ne peut être autorisé. Également, un parti politique qui se revendique d’une religion ne peut être créé.

Même si la Constitution reconnait à l’État une religion, elle refuse pour les partis politiques, qui concourent pour diriger cet État, de revendiquer une identité ou une appartenance

502 Article 188 de la Constitution polonaise de 1997.

503 MASSIAS Jean-Pierre, Droit constitutionnel des Etats d’Europe de l’Est, PUF, 2ème édition entièrement revue, 2008, p.155.

504 Article 74 de la Constitution égyptienne de 2014.

505 Article 74 de la Constitution égyptienne de 2014.

144 religieuse. La Constitution égyptienne de 2012 avait supprimé cette interdiction506 qui avait été introduite par Moubarak en 2007507 pour empêcher les Frères musulmans d’être reconnus comme un parti politique. Elle s’était contentée de stipuler qu’un parti politique ne pouvait être créé sur la base de la discrimination entre les citoyens fondée sur la race, le sexe, l’origine ou la religion »508. Ensuite, un parti politique ou une activité politique qui aurait pour finalité de discriminer des personnes à cause de leurs sexes, origines ou appartenances sectaires ou géographiques est également interdit. Par conséquent, un parti politique ou une activité politique qui exclut les femmes ou ne reconnait pas l’égalité entre les hommes et les femmes, ne pourra exister dans le paysage politique égyptien509. En ce sens, la Constitution égyptienne de 2014 affirme plus explicitement que « l’État s’engage à réaliser l’égalité entre hommes et femmes pour tous les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, conformément aux dispositions de la présente Constitution »510. En Égypte, les femmes ont droit à 25 % des sièges au niveau local,511 mais la Constitution de 2014 ne fixe pas de quota au niveau national512. Pour rendre effectives ces promesses constitutionnelles, « l’État s’engage à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une représentation adéquate des femmes au sein des assemblées parlementaires, conformément à la loi. Il garantit aussi le droit des femmes à accéder sans discrimination aux fonctions publiques et aux postes de direction au sein de l’État et à être nommées dans les corps et organes judiciaires »513. Par ailleurs, la Constitution égyptienne de 2014 souligne que « les citoyens sont égaux devant la loi, ils ont les mêmes droits et devoirs, sans discriminations fondées sur la religion, la croyance, le sexe, l’origine, la race, la couleur, la langue, le handicap, la classe sociale, l’appartenance politique ou géographique, ou pour toute autre raison. La discrimination et l’incitation à la haine sont des crimes punis par la loi. L’État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer toutes les formes de discrimination, et la loi réglemente la création d’une commission

506 Article 6 de la Constitution égyptienne de 2012.

507 Article 5 de la Constitution égyptienne de 1971.

508 BERNARD-MAUGIRON Nathalie, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 20 novembre 2014, consulté le 17 avril 2017.

URL : http://revdh.revues.org/978 ; DOI : 10.4000/revdh.978.

509 On insiste sur cette question d’égalité entre homme et femme, en Egypte et en Tunisie, du fait de la place centrale qu’elle a tenu, avec la religion, lors des débats aux Assemblées constituantes dans ces deux pays.

510 Article 11 de la Constitution égyptienne de 2014.

511 Article 180 de la Constitution égyptienne de 2014.

512 GATE Juliette, « Droits des femmes et révolutions arabes », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 07 novembre 2014, consulté le 18 avril 2017. URL : http://revdh.revues.org/929 ; DOI : 10.4000/revdh.929.

513 BERNARD-MAUGIRON Nathalie, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 20 novembre 2014, consulté le 17 avril 2017.

URL : http://revdh.revues.org/978 ; DOI : 10.4000/revdh.978.

145 indépendante à cet effet »514. Le parti politique ne peut pas agir contre la démocratie ou avoir des milices, car la Constitution égyptienne de 2014 interdit toute activité politique « hostile à la démocratie, secrète, ou ayant un caractère militaire ou paramilitaire ne peut être pratiquée »515. En Égypte, il peut arriver qu’un parti politique soit radié de la scène politique par la justice égyptienne. En juin 2014, la Haute Cour administrative a dissout le parti Justice et Liberté des frères musulmans parce qu’il a violé la loi qui régit la vie des partis politiques516.

En Tunisie, la Constitution de 2014 instaure également un pluralisme politique limité et soumis à certaines conditions. Elle soumet toutes les organisations collectives aux mêmes conditions qui sont le respect du droit tunisien, la transparence financière et rejeter la violence. La Constitution tunisienne de 2014 dispose que « les partis politiques, les syndicats et les associations s’engagent dans leurs statuts et leurs activités à respecter les dispositions de la Constitution et de la loi, à la transparence financière et au rejet de la violence »517. Les partis politiques sont soumis aux mêmes règles que les syndicats et les associations. Ils doivent respecter la Constitution et la loi. Les partis politiques tunisiens doivent respecter toutes les conditions définies par le constituant et les législateurs. Ils doivent notamment respecter l’égalité entre homme et femme518. La Constitution tunisienne de 2014 affirme très clairement que « les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et devoirs »519. La Constitution tunisienne de 2014 oblige l’État « à garantir la représentation des femmes dans les assemblées élues »520 et pour cela, il faut que les partis politiques établissent des listes dans lesquelles figurent les femmes. En Tunisie ou en Égypte, c’est la discrimination positive qui permet la présence des femmes dans les instances représentatives. Comme le souligne Juliette Gaté, « la proclamation de l’égalité entre femmes et hommes ne suffit pas à produire des résultats significatifs et rapides. Seules des mesures de discrimination positive

514 Article 53 de la Constitution égyptienne de 2014.

515 Article 74 de la Constitution égyptienne de 2014.

516 Voir « L’Egypte finit d’éradiquer les Frères musulmans de la scène politique », AFP, 9 août 2014. Voir également, BERNARD-MAUGIRON Nathalie, « La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 20 novembre 2014, consulté le 17 avril 2017. URL : http://revdh.revues.org/978 ; DOI : 10.4000/revdh.978.

517 Article 35 de la Constitution tunisienne de 2014.

518 Article 46 de la Constitution tunisienne de 2014 : « L'État garantit l'égalité des chances entre la femme et l'homme pour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines. L'État œuvre à réaliser la parité entre la femme et l'homme dans les conseils élus ».

519 Article 20 de la Constitution tunisienne de 2014.

520 Article 34 de la Constitution tunisienne de 2014.

146 garantissent à ce jour la présence des femmes au pouvoir en nombre notable »521. En Tunisie, pourtant, paradoxalement, l’auteure souligne que « le seul groupe parlementaire de l’assemblée constituante qui soit presque à parité (39 femmes sur 89 élus) est le groupe du parti islamo-conservateur Ennhada »522 et en Égypte, « 6 des 7 femmes de la constituante étaient des islamistes »523. Pour Éric Gobe, c’est l’ampleur de la victoire des partis islamistes qui explique cette force présence des femmes issues des mouvements, car, en Tunisie, « alors qu’il n’avait qu’une femme tête de liste, Ennahdha est le seul parti à avoir remporté au moins deux sièges dans chaque circonscription »524.

Les partis politiques tunisiens doivent également rejeter la violence, c’est-à-dire le renier comme moyen d’accession au pouvoir et comme moyen de contestation politique. Même si le constituant tunisien de 2014 ne le dit pas expressément, il doit récuser, comme son homologue égyptien, l’existence des activités militaires ou paramilitaires c’est-à-dire qu’un parti dispose des milices armées. En effet, la Constitution tunisienne de 2014 admet qu’une revendication politique pacifique, car elle précise que seulement les rassemblements politiques pacifiques sont garantis525.

En Égypte et en Tunisie, le pluralisme politique échappe à l’identité religieuse de l’État en ce sens qu’elle ne permet pas aux partis religieux d’exister. Les Constitutions égyptienne et tunisienne de 2014 affirment une religion d’État, mais interdisent les partis religieux. Pourtant, dans la réalité, ces partis existent et ils ont même gagné des élections des Assemblées constituantes voire des élections présidentielles526.

521 GATE Juliette, « Droits des femmes et révolutions arabes », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 07 novembre 2014, consulté le 18 avril 2017. URL : http://revdh.revues.org/929 ; DOI : 10.4000/revdh.929.

522 GATE Juliette, « Droits des femmes et révolutions arabes », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 07 novembre 2014, consulté le 18 avril 2017. URL : http://revdh.revues.org/929 ; DOI : 10.4000/revdh.929.

523 GATE Juliette, « Droits des femmes et révolutions arabes », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 07 novembre 2014, consulté le 18 avril 2017. URL : http://revdh.revues.org/929 ; DOI : 10.4000/revdh.929.

524 GOBE Éric, « Système électoral et révolution : la voie tunisienne », Pouvoirs, n°156, Janvier 2016, p. 77.

525 Article 37 de la Constitution tunisienne de 2014.

526 En 2012, en Egypte, le Président Mohamed Morsi, le candidat des frères musulmans, a gagné les élections présidentielles.

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Conclusion du Chapitre I

Il existe dans les deux pays arabes une identité religieuse de l’Etat dûe au compromis politique entre laïques et religieux qui a été caractérisé « par un contexte politique de plus en plus polarisé et volatile entre les islamo-conservateurs ou les modernistes »527. L’identité religieuse de l’État semble produire des incidences sur les sources du droit uniquement en Égypte. Les principes religieux sont soit une source principale de toutes les législations soit régissent les statuts personnels ou les affaires religieuses de certaines communautés religieuses. En revanche, en Tunisie, l’État est la seule source du droit et aucun principe religieux, en vertu de la Constitution de 2014, n’influence les législations de l’État.

En Europe de l’Est, la séparation entre le religieux et le temporel est nette. Même si l’État admet qu’il y a une collaboration entre les deux sphères, toutes les religions sont traitées sur les mêmes pieds d’égalité et sont admises dans le respect de la tolérance. Même si l’Église « bénéficie surtout, avec l’abandon par les communistes du monopole du pouvoir, d’un poids institutionnel qui la constitue en acteur incontournable de la scène politique »528, elle n’aura pas une place privilégiée par rapport aux autres confessions de la part du constituant de 1997. Naturellement, seul l’État a le monopole du pouvoir d’édiction des règles juridiques et n’admet aucune influence de la part des religions. Les cultes ne se sont pas imposés en Pologne ou en Roumanie parce que d’abord ils n’étaient pas associés à la discussion politique et ensuite ils ne disposaient pas des partis politiques qui pouvaient défendre leurs points de vue lors des Assemblées constituantes529. De plus, les cultes religieux n’étaient pas invités à « la Table ronde » entre l’opposition et le parti communiste. Même si les dirigeants politiques viennent de la société dans laquelle ils vivent et doivent prendre en considération les attentes de leurs concitoyens, ils n’ont pas été au point d’affirmer une religion à l’État polonais. Néanmoins, avec le successeur de Walesa et de Kwasniewski à la

527 WEICHSELBAUM Geoffrey et PHILIPPE Xavier, « Le processus constituant et la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 : un modèle à suivre », Maghreb-Machrek, Constitutionnalisme, n°223, Editions ESKA, 2015, p. 54.

528 MICHEL Patrick, « L’Eglise et le catholicisme polonais à l’épreuve du pluralisme », Pouvoirs, n°118, 2006, p. 95.

529 Les candidats que l’Eglise va ouvertement soutenir vont même perdre des élections. Ainsi, en 1995, Lech Walesa qui est largement soutenu par l’Eglise va perdre les élections présidentielles face au candidat SLD Kwasniewski qui sera réélu en 2000. En 1993, pour la première fois, les partis communistes vont gagner une élection législative depuis la révolution.

148 présidence de la République, le sénateur Jaroslaw Kaczynski, l’Eglise avait un allié de choix à la tête du pays surtout contre l’avortement530.

Dans ces quatre États, concernant le pluralisme politique, l’identité religieuse n’a aucun impact sur le jeu politique. Le pluralisme politique est un droit constitutionnel soumis à certaines contraintes juridiques, dont l’interdiction de se revendiquer d’une religion, même dans des États qui affirment une identité religieuse. Si en Tunisie, en Pologne et en Roumanie, le pluralisme politique semble être une réalité de la scène politique, en Égypte la situation est incertaine. Le retour de l’Armée531 au pouvoir par un coup d’État semble avoir suspendu l’élan révolutionnaire et les attentes qu’il inspirait.

530 MICHEL Patrick, « L’Eglise et le catholicisme polonais à l’épreuve du pluralisme », Pouvoirs, n°118, 2006, p. 95.

531 En Egypte, depuis 1952, avec le coup d’Etat des officiers libres qui a porté Nasser au pouvoir, c’est un militaire qui a dirigé le pays.

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Chapitre II : L'organisation des pouvoirs exécutif et législatif dans les

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