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TITRE SECOND : L'instauration d’un nouvel ordre constitutionnel dans le monde arabe et en Europe de l’Est

B- L’Islam comme religion d’Etat en Egypte et en Tunisie

Tous les pays arabes font référence à l’islam dans leurs constitutions à l’exception du Liban et de la Syrie. L’Égypte et la Tunisie se réclament ostensiblement de l’Islam. Dans ces deux pays, l’intensité des débats lors de la rédaction et de l’adoption des nouvelles constitutions de 2014, à la suite du printemps arabe, nous oblige à nous interroger particulièrement sur les rapports entre l’islam et l’État dans ces pays.

En Égypte et en Tunisie, la question relative à la place de la religion dans le nouvel ordre constitutionnel, avec les partis islamistes très majoritaires, a occupé une place importante au sein des Assemblées nationales constituantes de 2014. En effet, la nouvelle Constitution tunisienne de 2014 se réfère à l’Islam dans son préambule. Il est intéressant d’observer le préambule d’une Constitution, car « les préambules renvoient en tout cas à des vérités de base et/ou à des croyances prépositives d’une collectivité politique ; à certains égards, ils réactualisent une parcelle de la religion civile. Les constitutions sans préambules contiennent probablement de telles vérités de croyance préexistant à leurs dispositions juridiques, car tout ordre juridique positif pénètre dans de telles couches profondes. Les préambules cherchent à les rationaliser et à les exprimer, en partie sous une forme sécularisée, en partie sous une forme encore théologique. Cet élément fondamental dans la compréhension de soi (dans

373 Article 48 de la Constitution polonaise de 1997.

374 Article 48 de la Constitution polonaise de 1997.

375 Article 53 de la Constitution polonaise de 1997.

376 Article 44 de la Constitution roumaine de 1991.

118 l’identité) d’une collectivité publique est ce qui engage tous les citoyens »377. Le constituant tunisien affirme dans le préambule de la Constitution de 2014 qu’il exprime l’attachement

« aux enseignements de l’Islam » et à « l’identité arabo-musulmane » de la Tunisie.

Également, le Constituant tunisien parle dans le préambule de la Constitution de 2014 de l’appartenance à « la nation Arabe et musulmane ». Il affirme que « la place qu’occupe l’être humain en tant qu’être digne ; afin de consolider notre appartenance à la culture et à la civilisation de la nation arabe et musulmane ; œuvrant à l’unité nationale fondée sur la citoyenneté, la fraternité, la solidarité et la justice sociale, à soutenir l’Union maghrébine, qui constitue une étape vers l’union arabe et vers la complémentarité entre les peuples musulmans et les peuples africains et la coopération avec les peuples du monde ».

Selon le Professeur Abdullahi Ahmed An-Naim, « tous les pays à majorité musulmane du monde arabe et d’ailleurs aspirent à trouver leur propre équilibre entre islam et développement de la démocratie constitutionnelle, et ils y parviendront en suivant leurs propres conceptions, comme tout autre pays du monde peut le faire ou l’a déjà fait. Il n’y a pas de scénario type ou de modèle préétablis pour ce processus qui se déroule selon le contexte historique et le passé colonial récent et les expériences et les influences de l’ère post colonial »378. En Tunisie, l’Islam est associé à l’identité musulmane du pays. Les États arabes n’arrivent pas à renoncer à ces liens entre la religion et la société qui semblent être une affirmation identitaire. Ils utilisent la référence à l’Islam comme une affirmation de leurs identités. La religion légitime ainsi l’État qui est une importation coloniale. Selon le Professeur Peter Häberle, si les États font ce genre de références dans le préambule de la Constitution, « ils le font pour tenir compte du besoin humain d’une représentation historique et d’une identité »379.

Le constituant égyptien ne fait pas référence à l’Islam dans son préambule. Néanmoins, elle énonce dans l’article premier de la Constitution de 2014 que l’Égypte « fait partie du monde musulman »380. Dans son article 2, elle affirme clairement que « l’islam est la religion

377 HÄBERLE Peter, « L'Etat constitutionnel », texte traduit par Marielle ROFFI, révisé et édité par Constance GREWE, Economica, coll. Droit Public Positif, 2004, p. 222.

378 AN-NAIM Abdullahi, « État laïc pour sociétés religieuses : rôle de l'Islam dans les nouvelles constitutions arabes et quête de la démocratie », Éditions IEMed, coll. Annuaire IEMed de la Méditerranée, 2014, p. 119.

379 HÄBERLE, Peter, « L'Etat constitutionnel », texte traduit par Marielle ROFFI, révisé et édité par Constance GREWE, Economica, coll. Droit Public Positif, 2004, p. 223.

380 Article Premier de la Constitution égyptienne de 2014 : « La République Arabe d’Égypte est un État souverain, unifié et indivisible, où rien n'est superflu, et dont le régime est une république démocratique fondée sur la citoyenneté et l’autorité de la loi. L’Égypte fait partie de la nation Arabe et œuvre pour son intégration et son unité. Elle fait partie du monde Musulman, appartient au continent africain, est fière de sa dimension asiatique et contribue à l’édification de la civilisation humaine ».

119 d’État »381. Outre dans le préambule de la Constitution de 2014, la Tunisie dispose dans son article Premier que « l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime » et il est rajouté qu’il « n’est pas permis d’amender cet article »382. Le constituant tunisien va plus loin que son homologue égyptien lorsqu’il affirme que cette disposition constitutionnelle ne peut être révisée. Cet article est un compromis politique entre le parti dit islamiste d’ENNAHDA et les autres partis. Le parti ENNAHDA a accepté le caractère civil du gouvernement tunisien affirmé dans l’article 2 qui souligne que « la Tunisie est un État à caractère civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit ».

Également, cet article est exclu de tout amendement383.

Si l’Égypte et la Tunisie reconnaissent l’Islam comme religion d’État, leurs Constitutions respectives garantissent à tous leurs citoyens le libre exercice de leurs confessions. En Égypte, l’article 6 de la nouvelle Constitution de 2014 affirme que « l’État est le garant de la religion ». En Égypte, l’État doit garantir aux chrétiens et juifs le libre exercice de leurs religions. La nouvelle Constitution égyptienne de 2014 accorde l’autonomie et la liberté de religion à ses citoyens, tout en les unissant en une arabité caractéristique du peuple d’Égypte.

Dans son article 64, elle affirme que « la liberté de croyance est absolue. La liberté de pratique religieuse et d’établissement de lieux de culte pour les croyants des religions révélées est un droit organisé par la loi ».

En revanche, la nouvelle Constitution tunisienne de 2014 ne reconnait pas une pluralité religieuse. La seule religion reconnue par la nouvelle Constitution tunisienne de 2014 est l’islam, mais cette dernière n’accorde pas pour autant aux musulmans le privilège constitutionnel de régler avec le principe de la charia islamique toutes les questions relatives à leurs statuts personnels. Mais, en Tunisie, si l’Islam est identifié comme religion d’État, la Constitution de 2014 garantit la liberté religieuse. C’est à l’État, en vertu de l’article 6 de la nouvelle Constitution de 27 janvier 2014, de garantir le libre exercice de la religion et la liberté de conscience. En effet, il dispose que « l’État est le gardien de la religion. Il garantit la liberté de conscience et de croyance, le libre exercice des cultes ». Cet article concerne uniquement les musulmans et les autres dispositions constitutionnelles ne mentionnent pas les autres confessions. C’est ce que regrette le Professeur Rafâa Ben Achour en soulignant que

381 Article 2 de la Constitution égyptienne de 2014 et Article 1 de la Constitution tunisienne de 2014.

382 Article Premier de la Constitution tunisienne de 2014 : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime. Il n'est pas permis d'amender cet article ».

383 Article 2 de la Constitution tunisienne de 2014.

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« n’aurait-il pas mieux valu que l’État soit le gardien des religions d’autant que l’article 6 ne manque pas d’affirmer solennellement l’engagement de celui-ci de diffuser les valeurs de la modération et de la tolérance »384. Par ailleurs, le constituant tunisien entend principalement protéger les services publics et les mosquées de l’influence partisane. Elle entend éviter l’utilisation de la religion par les partis politiques. En ce sens, la Constitution tunisienne de 2014 assure que l’État « est le garant de la neutralité des mosquées et lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane »385. Elle garantit de protéger « le sacré » en interdisant « d’y porter atteinte »386.

Il faut pour autant souligner que dans l’hypothèse de l’accession au pouvoir d’un parti religieux, une telle disposition peut constituer un outil de l’islamisation de l’État. Toutes ces dispositions interdisent le prosélytisme religieux dans l’espace public et le politique demeure autonome du droit. Comme le souligne le Doyen Vedel, « le droit peut fort bien structurer la vie politique. Il ne la détermine pas. Il crée des contraintes, mais n’en fixe pas les effets. Ainsi s’observe par rapport au droit, comme on l’a observé par rapport à l’économie ou à la culture, l’insoutenable autonomie du politique »387. Puisque l’application d’un texte juridique dépend des hommes et dans ce cas « à vouloir s’en remettre à Dieu, on s’en remet en définitive aux hommes qui se chargent d’interpréter la parole de Dieu »388. Pour montrer cette utilisation à des fins d’intérêt partisan des dispositions constitutionnelles ambiguës, Baudoin Dupret souligne, à propos de la charia islamique, que « chacun (ou presque) des protagonistes de la scène politique tend en effet à en projeter la représentation qu’il s’en fait et l’utilisation qu’il prétend en faire sur la scène publique »389.

À l’heure actuelle, avec l’Armée au pouvoir en Égypte et le parti Nidaa Tounès en Tunisie, la promotion constitutionnelle de l’islam semble être plus un jeu politique qu’un véritable enjeu juridique. La religion est instrumentalisée à des fins politiques et aucune conséquence juridique notamment concernant l’organisation politique ou les sources des droits positifs. En Égypte, en définitive, l’interprétation des dispositions législatives, dont la chari’a islamique aurait été la source principale revient à la Haute cour constitutionnelle, c’est-à-dire à des fonctionnaires de l’État plutôt qu’à des hommes de Dieu. Les constituants

384 BEN ACHOUR Rafâa, « La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », RFDC, n°100, 2014, p. 790.

385 Article 6 de la Constitution tunisienne de 2014.

386 Article 6 de la Constitution tunisienne de 2014.

387 VEDEL Georges, « Le hasard et la nécessité », Pouvoirs, 1989, n°50, p. 28.

388 COOREBYTER (de) Vincent, « Théocratie et démocratie », la Revue nouvelle, novembre 1990, 46ème année, Tome XCII, n°11, p. 67.

389 DUPRET Baudoin, « La shari’a comme référent législatif, Du droit positif à l’anthropologie du droit », Revue Interdisciplinaire d’Etudes Juridiques, n°34, 1995, p. 148.

121 espèrent ainsi contrecarrer l’influence des religieux et éviter surtout que la religion soit un outil de conquête de pouvoir. Il est certain que cette stratégie est insuffisante si elle n’est pas suivie d’une réelle politique sociale parce que les partis dits islamistes sont surtout plébiscités pour leurs activités sociales et pour la lutte contre la corruption qu’ils promettent. Les majorités de la population qui ont voté pour ces partis en Tunisie et en Égypte ont voulu d’abord sanctionner les régimes politiques en place dont les partis classiques se sont accommodés. Concrètement, dans les Constitutions égyptienne et tunisienne de 2014, cette disposition constitutionnelle qui fait référence à l’Islam n’a aucune incidence sur l’organisation et le fonctionnement des institutions publiques de ces États,390 mais elle présente un risque qu’il ne faut pas négliger, car le comportement des acteurs politiques est

« commandé en effet, non par le souci de se conformer aux normes constitutionnelles, mais par le calcul politique : même s’ils se plient à la contrainte juridique et sacrifient aux impératifs de la justification juridique, leur rapport au droit reste avant tout pragmatique et instrumental »391.

La référence à une religion ou à un Dieu dans les Constitutions n’est pas une exclusivité du monde arabe. Parfois au sein même du monde arabe, il existe des États qui ne font aucune référence à la charia dans leurs constitutions : l’Algérie, le Maroc, le Mali, le Niger, le Tchad, l’Indonésie, la Turquie, Djibouti. En dehors du monde arabe, on trouve des États dont les constitutions font référence à une religion392.

§2- Le pluralisme religieux et les sources du droit dans les Constitutions tunisienne, égyptienne, roumaine et polonaise.

L’existence des différentes confessions, l’affirmation d’une identité religieuse ou laïque d’un État, dans la Loi fondamentale, conduisent-elles à l’instauration d’un pluralisme juridique ? En réalité, nous allons voir que les États de l’Europe de l’Est qui ont affirmé une autonomie des religions et de l’État ne reconnaissent comme source du droit que l’État. En Égypte, la Constitution de 2014 reconnait que les principes religieux des juifs et chrétiens inspirent les lois qui vont régir leurs statuts personnels et leurs affaires religieuses et les choix

390 Nous allons voir cela en détail dans le Chapitre suivant.

391 CHEVALLIER Jacques, « Pour une sociologie du droit constitutionnel », in L’architecture du droit.

Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Etudes coordonnés par Denys de BECHILLON, Pierre BRUNET, Véronique CHAMPEIL-DESPLATS et Éric MILLARD, Paris, Editions Economica, 2006, p. 296.

392 Il s’agit par exemple de la Constitution de la Grèce de 1975 (article 3), la Constitution du Portugal de 1976 (article 41), la Constitution irlandaise de 1937 (Article 44) etc…

122 de leurs responsables religieux393. Également, elle affirme que la charia islamique est « la source principale »394 des lois en général. En Tunisie, bien que l’État dispose d’une identité religieuse, elle ne tolère pas une autre source du droit. Seul l’État dispose le pouvoir de créer du droit. Les principes d’aucune religion, ni même de l’Islam ne constituent une source principale ou une source secondaire du droit.

Parmi les États qui font l’objet de notre étude, nous avons d’un côté, des pays dans lequel seul l’État est la source du droit (A), et de l’autre côté un pays, l’Égypte en l’occurrence, dans lequel à côté des droits étatiques, il existe des législations inspirées par les principes de la charia islamique ou par les principes religieux juifs ou chrétiens (B).

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