Si les activités culturelles et socio-‐éducatives durant la phase de détention peuvent être présentées comme une solution pour lutter contre l’oisiveté, elles ne doivent pas être uniquement « occupationnelles ». Elles constituent un levier pour garantir le maintien de liens sociaux extérieurs afin de prévenir les effets désocialisants de l’incarcération via la participation d’intervenants extérieurs. En maison centrale, en présence de très longues durées d’incarcération, les activités culturelles (tout comme l’enseignement ou le sport) peuvent s’inscrire dans le temps carcéral et créer une dynamique jusqu’à atteindre un objectif qui doit être finaliser (un concert pour un groupe de musiciens, un passage de dan pour des karatéka etc.). L’action, bien qu’en pleine phase de détention, peut toutefois faire écho au thème de cette recherche en étant partenariale quant à son organisation et en visant à long terme un objectif de prévention de la récidive. Instaurée en 2005, cette activité aura constitué une action partenariale à travers son organisation et son évolution.
A -‐ Une action transversale associant Administration pénitentiaire et Education nationale en réponse à une demande collective d’activité.
En 2005, au quartier citadelle de la MC de St Martin de Ré, l’arrivée de deux personnes détenues ayant connu une activité théâtrale dans un précédent établissement entraînent avec elles près d’une dizaine de codétenus souhaitant s’inscrire dans un tel projet. Les demandes sont donc effectuées et répétées durant plusieurs mois auprès du SPIP. Elles sont également relayées par le service de l’enseignement puisqu’une partie des personnes intéressées par le théâtre sont engagées dans un parcours d’enseignement et que le responsable local de l’enseignement (RLE) est un passionné de théâtre.
1 -‐ Un projet d’activité transversale AP-‐Education nationale
Les demandes sont adressées au SPIP, compétent en termes de montage d’actions
culturelles106. A cette époque, le service ne dispose pas d’animateur culturel. Chaque activité
culturelle ou socio éducative relève de la responsabilité d’un CIP. Chacun des six conseillers a une ou deux activités en charge, ce qui constitue un maximum au vu des multiples autres fonctions de ces agents. Confronté à une insuffisance de personnels, le SPIP dispose par contre de crédits d’insertion et d’intervention permettant de financer la mise en place d’une nouvelle activité.
De son côté, l’unité locale d’enseignement (ULE) n’a aucune ligne budgétaire à consacrer à cette activité culturelle (ce qui est logique puisqu’en dehors de son champ de compétences).
106 C. pr. pén., art. D. 441-‐1: « Le service pénitentiaire d'insertion et de probation, en liaison avec le chef
d'établissement, est chargé de définir et d'organiser la programmation culturelle de l'établissement ».
Par contre, son responsable est particulièrement intéressé par le levier, en termes d’apprentissage, que peut représenter le théâtre. Orientée comme un apprentissage, cette action pouvait bénéficier d’un temps de présence au niveau d’Education nationale, de manière à ce qu’un enseignent puisse être présent à chacune des séances.
Ainsi réunis, les deux services SPIP et ULE pouvaient illustrer parfaitement l’objectif de la programmation culturelle dans un établissement pénitentiaire, à savoir le développement
des moyens d’expression et des connaissances des détenus107.
2 -‐ Une demande d’action exprimée collectivement
Pour répondre à la forte demande émanant d'une dizaine de personnes en détention, le SPIP (à travers un CIP déjà responsable des activités musique et spectacles) et ce RLE ont donc proposé une réunion collective à tous les intéressés pour écouter leurs demandes et envisager les bases d’un projet adapté. Il s’agissait de manière très informelle des prémisses d’une réunion participative et du droit d’expression collective de l’article 29 de la loi pénitentiaire.
Si la forme de cette réunion était donc à l’époque inédite, le fond des échanges fut décisif dans la volonté de SPIP et de l’ULE de mettre en place une telle action. Les paroles, exprimées étaient particulièrement marquantes d’authenticité et dénotaient des habituels échanges en détention. Les personnes détenues revenaient sur ce qu’elles avaient pu connaître dans de précédents établissements et tout ce qu’un atelier théâtral avait pu leur apporter : « en prison on n’a pas le droit d’exprimer nos sentiments, d’être en colère, d’aimer,
de pleurer ». La prison est un théâtre de faux semblant à elle seule. Il convient de porter « un masque sur les coursives, pour ne pas craquer, ne pas montrer de faiblesse, tant auprès des autres détenues que des personnels voire même de ses proches auxquels on tente de faire croire que tout va bien, que ce soit lors des appels téléphoniques ou aux parloirs ». Au
contraire, à travers le jeu théâtral, il serait possible de se réapproprier tous ces sentiments et surtout de les exprimer, sans retenue, de s’exprimer en toute humanité plutôt que de subir la perte de sens propre à un quotidien en détention.
Au vu de la qualité des propos changés, témoignant d’une motivation authentique, de la mise à disposition d’un enseignant pour l’encadrement des séances, et de celle d’un CPIP pour l’organisation administrative, le principe d’un atelier théâtral était donc validé sous réserve de trouver rapidement un intervenant extérieur pour animer les séances.
B -‐ L’évolution de l’atelier
L’intervention régulière de comédiens extérieurs a permis de dynamiser l’action, de la rythmer au gré des séances, de créer du lien social, la fameuse dynamique « dedans-‐ dehors », de créer un partenariat avec la société en milieu libre. De plus, comme pour toutes les interventions extérieures en matière culturelle, il convient de ne pas négliger le temps d’échange au delà du contenu premier de l’intervention. Les détenus participants aident à la mise en place matérielle de la salle, accueillent l’intervenant, échangent avec lui sur son activité théâtrale extérieure ; autant de plus-‐values difficilement perceptibles mais qui entretiennent la richesse de ces rencontres décloisonnantes.
La première version de l’atelier proposée en 2005 s’est limitée à l’intervention d’un comédien extérieur, connu du RLE, et pris en charge financièrement par le SPIP. Faute de temps pour prospecter et rencontrer d’autres candidats (les différentes troupes étant déjà engagées sur toute l’année en termes de programmation), l’action a essentiellement constitué en des séances de jeu théâtral dans une sorte d’initiation-‐test. Si les retours de la part des participants étaient positifs, un manque a été souligné : l’absence d’objectif, telle la représentation publique d’une pièce à répéter. Une telle finalité s’est avérée nécessaire pour éviter une activité purement occupationnelle et qui reste confinée entre les murs d’enceinte. Elle permettait de plus d’inscrire l’activité théâtrale dans le temps de la détention avec cette projection à moyen terme.
D’autres pistes d’évolution paraissaient évidentes. Il était tout d’abord souhaitable qu’un seul intervenant n’ait pas à supporter la charge « émotionnelle » que représente une telle expérience de par la nature de l’activité, le nombre de participants et le contexte d’enfermement qui amplifie la richesse des échanges. Le SPIP et l’ULE ont donc réfléchi au fait de faire intervenir une troupe théâtrale afin de répartir cette charge, le comédien initial ayant terminé la saison en étant épuisé. Outre le nombre, il est apparu évident de proposer à des comédiennes de participer à cette action. Puisqu’il s’agissait de jouer de vrais sentiments, de relationner, la mixité s’imposait.
Une autre évolution a porté sur le partenariat à entretenir entre les activités culturelles de l’établissement. En effet, d’un point de vue matériel, l’atelier théâtre se déroulait dans la salle réservée habituellement, et exclusivement, à l’activité musique. Bien que deux détenus sur les huit participants au théâtre étaient également inscrits dans cette activité musicale, des tensions sont vite apparues entre les deux groupes, les musiciens craignant pour la matériel fragile entreposé dans la salle, et regrettant de devoir laisser la salle à disposition, un après-‐midi par semaine (les séances étaient prévues pour une durée de deux heures). Il a donc été proposé de faire de l’atelier théâtral une activité partenariale entre le groupe de comédiens et les musiciens en proposant à ces derniers de participer à la nouvelle action via un accompagnement musical lors des séances ainsi qu’à la répétition publique.
Dans le prolongement, et afin de s’approprier pleinement l’action à toutes ces étapes, un même partenariat a été proposé à l’atelier d’écriture, organisé depuis plusieurs années par l’ULE. Ainsi, avant même d’être en phase de jeu théâtral, la pièce, les personnages et situations étaient évoquées, réfléchies et écrites, prolongeant ainsi la création de l’action au delà de la salle de musique pour se retrouver en salle d’enseignement. Les thèmes se voulaient drôles, autour des relations amoureuses, version Vaudeville. Quant à la structure, un enchaînement de scénettes s’est vite imposé. Il permettait de faire face rapidement aux imprévus classiques de la détention (placement au quartier disciplinaire ou en isolement, transfert disciplinaire, conflit au sein du groupe). En effet, la pièce ne devait pas reposer sur une personne dont l’absence de dernière minute rendrait caduque l’ensemble.
Finalement, les différents budgets alloués à l’activité ont permis de financer l’intervention de deux à trois comédiens, une fois par semaine, sur des périodes maximales de six mois devant se finaliser par une à deux représentations publiques, contrairement à la première année en 2005 qui s’était limitée à des séances d’initiation au jeu théâtral.
C’est ainsi que l’année 2006 a permis d’intégrer à l’action une première troupe théâtrale : l’Ilot Théâtre, composée de deux comédiennes et d'un metteur en scène, lesquels ont été
proposés au SPIP par leur principale partenaire culturel, l’association de développement culturel rétaise (ARDC) La Maline. L’habituelle convention subventionnée entre le SPIP et ce partenaire a permis de dégager un budget pour financer une saison d’intervention, mais a
posteriori, le coût est apparu excessif et ne permettait plus de financer d’autres actions
pourtant prévues par la convention (notamment deux concerts et une exposition). Un nouveau partenariat a donc été recherché par le SPIP et l’ULE qui ont opté pour une troupe rochelaise « La compagnie maritime de théâtre ». Celle-‐ci a pu intervenir durant deux années, de 2007 à 2008 en raison d’un financement important (23000 euros) qui avait pu être obtenu, sur présentation du projet, auprès du Fond social européen (FSE), antenne de Poitiers. Si une telle somme a permis d’envisager l’action de manière confortable, en termes de nombre de séances, d’achats de matériels, de décors et de costumes, elle a posé une difficulté inattendue : la durée excessive de l’intervention de cette troupe (trois comédiennes dont la metteur en scène). Une telle durée, au vu de la richesse des échanges partagés durant le jeu théâtral rend difficile une intervention qui ne soit qu’artistique. Des liens se nouent inévitablement et il devient très difficile sur la durée de conserver une distance relationnelle adaptée. La fin du projet avec cette troupe, s’il a connu un franc succès à travers deux représentations publiques, a été beaucoup plus difficile à gérer sur le plan personnel, en raison d’une relation artistique devenue amicale dans certains cas. Si l’action avait nécessairement une fin en termes de calendrier et de budget (chaque séance étant financée), un sentiment culpabilisant « d’abandon » s’est emparé des comédiennes extérieures. Suite à cette action de deux ans avec la compagnie maritime de théâtre, le principe d’une intervention limitée à une année fut acté, quand bien même cela impliquait la recherche d’un nouveau partenaire tous les ans.
La finalisation de l’action à travers la représentation publique de la pièce travaillée durant l’année, fut pensée dans un esprit partenarial à partir de 2007.Le financement par le FSE impliquait des contrôles réguliers quant à l’évolution du projet, jusqu’à sa finalisation à travers la représentation publique. A cette occasion, la présence de deux personnes de cet organisme s’imposait donc. Or, vu la qualité de la pièce travaillée, le SPIP et l’ULE ont souhaité convier les autres partenaires institutionnels ou privés ayant ou pas contribué à la réalisation de ce projet. La configuration de la salle (une cinquantaine de personne au maximum) a donc imposé le principe de deux représentations : une à l’attention de la population pénale et l’autre ouverte aux partenaires extérieurs. Près de cent personnes assistèrent ainsi aux deux représentations qui connurent un franc succès. Participèrent notamment à la représentation « publique » outre la délégation du FSE, des représentants de la DISP de Bordeaux (secteur insertion probation et enseignement), une inspectrice d’académie, les habituels partenaires des deux services, notamment la Bibliothèque Universitaire de La Rochelle, les enseignants vacataires du second degré, les étudiants du GENEPI devenu l’association Synapse par la suite, les visiteurs de prison, les intervenants des autres activités culturelles, le juge de l’application des peines ainsi que le procureur de la République, une chargé des affaires culturelles de la mairie de La Rochelle, des avocats représentant le barreau de La Rochelle, ainsi que des journalistes de presse écrite (Le Phare de Ré et Sud Ouest).
Ainsi défini, le cadre de cette action partenariale a été reconduit en fonction des possibilités budgétaires (le financement du FSE n’ayant pas vocation à être pérennisé mais servant au
contraire à lancer le projet). A ce jour, trois autres compagnies se sont succédé dans les murs de la maison centrale.
La phase de détention est donc très riche en intervenants. Plusieurs institutions y sont présentes quotidiennement, de plein droit : Administration pénitentiaire (filière classique et le SPIP), Education pénitentiaire, Santé. De nombreux autres intervenants extérieurs, publics ou privés sont amenés à franchir ponctuellement ou plus régulièrement les portes d’un même établissement pénitentiaire. Une telle concentration d’acteurs peut paradoxalement virer au cloisonnement sans une collaboration réfléchie, permettant d’optimiser la prise en charge mutuelle des personnes y étant incarcérées.