I/ L’impact de l’objectif de prévention de la récidive sur les missions du service pénitentiaire d’insertion et de probation
2. De nouvelles méthodes ou objectifs d’intervention liés à la prévention de la récidive
manière disparate, de postes d’animateur culturel afin de délester les CPIP de cette gestion chronophage des activités socio-‐éducatives, lesquelles ne figurent plus dans leurs missions redéfinies par le décret de décembre 2010. Il conviendrait cependant de pérenniser de manière uniforme ces recrutements d’animateurs, lesquels reposent trop souvent sur des contrats d’insertion, faiblement rémunérés, et limités dans le temps, instaurant de fait un turn-‐over préjudiciable pour une fonction hautement sensible puisqu’en contact direct avec la population pénale, de manière collective, dans des lieux parfois isolés et sensibles en terme de sécurité en détention.
Une carence à ce jour est régulièrement dénoncée au sein des SPIP en établissements pénitentiaires : l’absence de personnels chargés de l’accès aux droits sociaux. Dans certains établissements, les assistants de service social n’ayant pas intégré le nouveau corps des CPIP se sont recentrés sur un cœur de métier lié à cet aspect. Cette solution est cependant très loin d’être généralisée et se trouve même inopérante en Charente-‐Maritime. Il en est de même quant à l’intervention des services de droit commun (conseils généraux) lesquels ont toujours été extrêmement frileux pour intervenir au sein des établissements pénitentiaires, les efforts se concentrant à ce jour sur des dossiers d’allocation personnalisée à l’autonomie (APA).
2. De nouvelles méthodes ou objectifs d’intervention liés à la prévention de la récidive
Cette évolution sur le champ pénal et criminologique du métier de CPIP était présente dès le début des années 2000. En effet, la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence et les droits des victimes, instaurant la judiciarisation de l’application des peines, a profondément marqué la profession. L’aménagement de peine étant favorisé dans le cadre d’une procédure judiciaire, l’intervention du CIP, autrefois marquée par la culture de l’oral via un accompagnement au quotidien d’un parcours d’exécution de peine, va à présent s’inscrire dans une culture de l’ écrit professionnel, lequel prendra la qualité de pièce judiciaire et visera à évaluer la personne condamnée au travers d’un rapport et d’un avis quant à la mesure demandée par le requérant, le tout dans le but d’aider les autorités judiciaires dans leur prise de décision.
La loi du 9 mars 2004 a également eu un impact fort sur les missions des CIP en raison du nouvel article 707 du CPP qui peut s’analyser comme « un article préliminaire spécial », définissant les principes généraux en matière d’exécution et d’application des peines. Son alinéa 2 précise que « l’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. »
L’action des CIP ne va donc plus se limiter stricto sensu aux problématiques de la personne condamnée mais va prendre en compte les intérêts de la société et les droits des victimes. La notion de victime va ainsi être réintroduite dans les entretiens car elle va faire l’objet d’un item de plus en plus régulier dans les différents rapports souvent intitulé « positionnement quant aux faits » ou « rapport aux faits ». Il ne s’agit pas ici de rejuger la personne mais l’évaluation demandée aux CIP doit aller plus loin que le traditionnel projet socio-‐ professionnel et l’environnement familial. L’objectif de prévention de la récidive implique d’évaluer la personne quant à la reconnaissance des faits, de leur gravité, l’acceptation des
sanctions, leur position quant au respect de leurs obligations, la prise en compte de la victime dans leur discours. Il semble en effet difficile de travailler le sens de la peine sans aborder ces différentes problématiques, a fortiori dans les situations d’atteinte graves aux personnes, notamment d’infractions de nature sexuelle. Cette approche vient compléter la mission traditionnelle de réinsertion, laquelle peut correspondre à une prévention situationnelle de la récidive puisqu’il est question à travers une mesure/peine alternative à l’incarcération ou un aménagement de peine de replacer la personne condamnée dans un environnement situationnel. Autant faire en sorte de ne pas reproduire les mêmes conditions externes, lesquelles, suivant les cas, auront pu favoriser le passage à l’acte initital. Une recherche étrangère136 a toutefois critiqué cette problématique de l’absence de reconnaissance des faits pour la pratique française en démontrant qu’elle ne constituait pas un facteur déterminant du risque de récidive.
Aussi surprenant que cela puisse être, certains CPIP ont confié qu’avant ces réformes ils s’étaient toujours interdits d’évoquer les faits avec la personne condamnée lors des entretiens, ne voulant évoquer que les problématiques actuelles et ne pas revenir sur le passé au risque de rejuger la personne ou se persuadant que la question devait être évoquée exclusivement avec les personnels soignants, psychologues et/ou psychiatres. Cette réserve n’est pas observée chez les professionnels plus jeunes et nouvellement formés à l’ENAP. Si de tels propos sont demeurés minoritaires et provenaient essentiellement d’ « anciens » professionnels, ils marquaient la disparité de pratiques et de positionnements professionnels, assez difficilement concevables au sein d’un même service public pénitentiaire. Ils soulignaient également une nouvelle homogénéisation de ces mêmes pratiques autour d’un socle commun dans lequel figurait à présent la prise en compte des intérêts de la victime.
L’article 707 va introduire d’autres critères relatifs aux victimes, notamment l’effectivité de leur indemnisation, déjà renforcée par la loi du 15 juin 2000. Au stade de la décision, elle intervient pour la libération conditionnelle137 et les réductions de peine supplémentaires138. Par ailleurs, le maintien de la plupart des aménagements de peine peut être conditionné par le respect par le condamné d’une obligation d’indemniser la partie civile (libération conditionnelle, semi-‐liberté, permissions de sortir, placement extérieur sans surveillance, PSE). Il en va de même des peines restrictives de liberté pour lesquelles le non-‐respect de cette obligation peut valoir révocation.
Une totale nouveauté professionnelle s’appliquant cette fois-‐ci à tous les CIP, relève du droit des victimes à être informées. Ce droit, formulé de manière générale au paragraphe II de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, se manifeste notamment à l’article 712-‐ 16-‐2 du même code qui prévoit que « lorsque la personne a été condamnée pour une infraction visée à l'article 706-‐47 et si la victime ou la partie civile en a formé la demande, le juge de l'application des peines ou le service pénitentiaire d'insertion et de probation informe
136 R. K. Hanson et K.E. Morton-‐Bougon, « The characteristics of persistent sexual offenders: A meta-‐analysis of
recidivism studies », Journal of Consulting and Clinical Psychology, n° 73, 2005.
137 C. pr. pén., art. 729, al. 1er. 138 C. pr. pén., art. 721, al. 1er.
cette dernière, directement ou par l'intermédiaire de son avocat, de la libération de la personne lorsque celle-‐ci intervient à la date d'échéance de la peine ».
La victime peut même faire l’objet d’un acte professionnel classique pour le SPIP : une enquête. L’article 712-‐16-‐1 du Code de procédure pénale prévoit que « préalablement à toute décision entraînant la cessation temporaire ou définitive de l'incarcération d'une personne condamnée à une peine privative de liberté avant la date d'échéance de cette peine, les juridictions de l'application des peines prennent en considération les intérêts de la victime ou de la partie civile au regard des conséquences pour celle-‐ci de cette décision. Les mesures prévues à l'article 712-‐16 peuvent porter sur les conséquences des décisions d'individualisation de la peine au regard de la situation de la victime ou de la partie civile, et notamment le risque que le condamné puisse se trouver en présence de celle-‐ci ».
L’article 712-‐16 fait référence, notamment aux enquêtes diligentées par le JAP ou le TAP. Les CIP jusqu’ici pratiquaient des enquêtes auprès des proches des personnes condamnées (ayant formulé une promesse d’hébergement ou bien d’embauche) toujours dans le cadre de la mission traditionnelle de réinsertion. Plus encore que criminologique, l’évolution des missions du SPIP serait donc ici victimologique. Si une telle enquête « victime » n’est que facultative et laissée à l’appréciation du JAP ou du TAP, elles entraînent toutefois un profond changement professionnel pour l’agent chargé de l’instruire, à savoir le CPIP et ce sans aucune formation professionnelle adaptée.
Enfin, illustrant le plus expressément l’objectif de prévention de la récidive au point de le reprendre dans leur intitulé, les programmes de prévention de la récidive ont constitué une nouvelle méthode d’intervention pour les CPIP.
La direction de l’administration pénitentiaire a lancé, au cours de l’année 2007-‐2008, l’expérimentation à grande échelle d’un programme de prévention de la récidive (PPR). Ces programmes, dont la mise en place et le pilotage relèvent localement de la responsabilité des SPIP, promeuvent une approche nouvelle de la problématique du passage à l’acte et de sa réitération, en jouant – à travers la mise en place de groupes de parole en milieu ouvert comme en milieu fermé (tant dans les maisons d’arrêt que dans les établissements pour peines) – des effets de socialisation et d’émulation liés à la dynamique de groupe.
Cette prise en charge collective intervient en cohérence avec le suivi individuel assuré par les personnels d’insertion et de probation. Elle permet de regrouper, de façon volontaire, des personnes condamnées pour des faits de même nature. L’objectif est de leur permettre d’avoir une réflexion commune sur le passage à l’acte et d’échanger sur leur vécu, leur positionnement et leur regard autocritique sur les actes commis. Axés sur une approche avant tout criminologique des faits, les PPR se distinguent en cela de la prise en charge thérapeutique assurée par les équipes médicales en milieu fermé ou en milieu ouvert.
Le SPIP de Charente Maritime s’est rapidement inscrit dans ce projet, ses équipes ayant fait part dès 2004 de leur volonté de travailler une telle méthodologie d’intervention face à des problématiques de déni très fréquentes en cas d’infraction de nature sexuelle ou de conduite sous état alcoolique, lesquelles semblaient dans certains cas être amplifiées en phase d’entretien individuel.
En milieu fermé, à Saint-‐Martin-‐de-‐Ré, dès 2009, les conseillers d’insertion et de probation (CIP) ont souhaité développer un PPR à destination de personnes condamnées pour des faits de violence dans une acception très large pouvant aller du vol avec violence à l’assassinat, en excluant les personnes condamnées pour infraction à caractère sexuel. Suite à la désignation des établissements de St-‐Martin de Ré et de Bédénac comme spécialisés dans la prise en charge des AICS, les programmes suivants ont donc été orientés vers ce nouveau public. Un PPR dans le centre de détention (2010) et deux au sein de la maison centrale ont été mis en œuvre (en 2011 et 2013).
En milieu ouvert, la prise en charge essentiellement individuelle des personnes peut par ailleurs ê̂tre complétée par des actions collectives sur des thématiques communes à un ou plusieurs types d’infractions. A partir d’un constat d’accroissement des infractions telles que les délits routiers ou des conduites addictives facilitant les passages à l’acte pour des faits de violences, le SPIP 17 a souhaité travailler en partenariat étroit avec l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie de Charente-‐Maritime (ANPAA 17).
La mission de prévention de la récidive a donc profondément réformé l’intervention du SPIP. Elle a également eu un impact sur son environnement partenarial sur le plan institutionnel, évolution renforcée par les nombreuses réformes procédurales et nouvelles mesures dont il doit assurer l’exécution, notamment en phase de probation.