II/ L’aménagement du secret professionnel comme condition d’un meilleur fonctionnement du partenariat : la soumission des partenaires à une
B. L’extension des dérogations au secret dans l’application des peines
collégienne par un lycéen, déjà mis en examen pour viol, et scolarisé dans le même établissement à Chambon-‐sur-‐Lignon448. Les dispositions nouvelles prévoient que l’information est obligatoire pour les responsables d’établissements scolaires qui peuvent la transmettre aux « personnels responsables de la sécurité et de l’ordre dans l’établissement »449, ce qui recouvre les personnels de direction mais aussi les conseillers principaux d’éducation et, dans le cas d’internats, les personnels sociaux et de santé chargés du suivi des élèves. Le texte prévoit que « le partage de ces informations est strictement limité à ce qui est nécessaire à l’exercice de leurs missions », ce qui implique que la divulgation ne doit pas être opérée par principe auprès des enseignants, des parents d’élèves et des élèves. La circulaire d’application précise que « le partage d’information prévu par la loi a évidemment pour objet de permettre aux autorités scolaires de mieux apprécier le comportement de la personne au regard des éventuels risques de renouvellement de l’infraction et d’en tirer les conséquences dans le cadre de leurs attributions (par exemple à l’occasion de poursuites disciplinaires ou pour l’affectation d’un mineur dans un établissement) »450. Il est même conseillé au juge, dans l’hypothèse où la simple référence à la qualification juridique des faits n’apporte pas une connaissance suffisante des faits, de contacter directement les autorités en cause ou, à tout le moins, d’autoriser les CPIP, les agents de PJJ à le faire.
La prévention de la récidive constitue le fondement de ces dérogations au secret professionnel. C’est un fondement nouveau au regard des possibilités déjà existantes de transmissions d’informations couvertes par le secret professionnel. Or, dans le cadre des aménagements de peine ou de l’exécution des peines en milieu fermé, les demandes des partenaires les uns par rapport aux autres concernent des informations confidentielles diverses et répondent à des logiques différentes. Les concilier suppose d’identifier l’objectif, le cadre et la fonction du partage d’informations451. En effet, « le partenariat suppose une co-‐construction performante, un engagement mutuel, une reconnaissance de valeurs partagées, un respect des compétences de chaque institution »452. Il convient donc de s’intéresser à ce qui pourrait constituer le fondement du partenariat pour envisager les dérogations au secret qui pourraient être organisées.
B. L’extension des dérogations au secret dans l’application des peines
Envisager que des dérogations supplémentaires au secret soient autorisées dans l’application des peines impose au préalable de mener une réflexion sur la place et les contours du travail partenarial en ce domaine, à savoir que les partenaires travaillent dans le cadre d’une mission commune (1). Ce n’est qu’après avoir posé tous les enjeux en résultant que l’on pourra réfléchir aux modalités d’organisation des dérogations au secret (2).
448 V. la contribution de R. VÉRON, Annexe 1, chap.1. 449 C. pr. pén., art. 712-‐22-‐1.
450 Circulaire du 14 mai 2012 présentant les dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi n°2012-‐
409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines (NOR : JUSD1222695C), p. 5.
451 Rapport CSTS p. 241. 452 Rapport CSTS p. 250.
1. La participation à une mission commune
Le préalable nécessaire nous semble consister en la reconnaissance du travail partenarial dans l’application des peines. Précisons notre propos. L’application des peines ne doit pas être envisagée comme une mission relevant de la seule institution judiciaire au travers des JAP, des CPIP et de l’administration pénitentiaire. Il convient de la comprendre comme requérant l’intervention de professionnels de différentes spécialités qui doivent travailler ensemble et qui, ainsi, participent à une mission commune. Les différents partenaires autres que ceux de la justice doivent être appréhendés en tant que participants ou collaborateurs de l’application des peines. L’objectif est d’institutionnaliser la notion de travail en réseau par rapport à ce domaine. Nous transposons ici le mécanisme d’autres dérogations au secret évoquées précédemment. En effet, dans le cas où les professionnels ne font pas partie d’une même institution, les textes en cause font référence aux personnes qui participent à une mission commune, par exemple la mission de protection de l’enfance.
Serait-‐il possible d’envisager la mission commune des partenaires comme étant la prévention de la récidive ? Un tel choix ne nous semble pas approprié en ce qu’il serait contre-‐productif sur le plan symbolique par rapport à certains partenaires453. La mission serait alors présentée sous un abord collectif et uniquement juridique, alors que nombre de partenaires entendent travailler avec la personne sous main de justice en tant qu’individu454. Les professionnels en cause pourraient être regroupés en une catégorie unique, faisant référence aux personnes qui participent ou collaborent à la prise en charge/ l’accompagnement de la personne exécutant sa peine ou bénéficiant d’un aménagement de peine455. La notion de prise en charge ou d’accompagnement, même si elle ne renvoie pas à un concept juridique, nous semble nécessaire afin de préciser la mission dévolue aux partenaires ; la référence à la seule application ou l’exécution des peines serait insuffisante à décrire la mission commune.
Cette notion amène à poser les jalons d’une possible communauté de vues, ce qui peut permettre de faire converger les cultures professionnelles et les pratiques des différents partenaires456.
L’on se trouve ici confronté à la manière dont chaque partenaire définit et conçoit le partenariat. A cet égard, la conception du partenariat santé doit être sinon repensée, à tout le moins précisée. Les partenaires santé ont une conception très autonomiste de leur travail
453 M. HERZOG-‐EVANS indique d’ailleurs qu’avoir placé la prévention de la récidive en tête des missions des
SPIP est en train de conduire à la disparition du travail social chez les agents de probation, et ce, parce que l’administration pénitentiaire a cru que la prévention de la récidive était antinomique du travail social : M. HERZOG-‐EVANS, « Récidive et surpopulation : pas de baguette juridique », AJ pénal 2013 p. 136.
454 Ce qui renvoie à la tension entre le secret vu comme une prérogative personnelle et le secret envisagé du
point de vue collectif comme l’évoque R. LAFORE, « Travail social et secret professionnel. Un révélateur de l’évolution des modèles professionnels », RDSS 2010 p. 938.
455 Une liste indicative des personnels susceptibles d’être concernés pourrait également être envisagée. 456 Cela renvoie à ce que Martine HERZOG EVANS appelle le « partenariat intégré qui consiste à rassembler les
différents services autour de l’objectif commun, ce qui permet de créer une culture partiellement commune, de faire mieux circuler l’information et d’augmenter la crédibilité et l’efficacité de l’action autour du probationnaire » (« All hands on deck : (re)mettre le travail en partenariat au centre de la probation », AJ pénal 2013 p. 139).
dans le cadre de l’application des peines, comme en témoigne la contribution de Mme Claire NETILLARD. Cette dernière explique ainsi que « le psychologue est un partenaire pour l’institution judiciaire puisqu’il donne l’occasion aux personnes placées sous main de justice qui le souhaitent de faire un travail d’appropriation et de responsabilisation subjective. En revanche cette participation reste indirecte »457. Le psychologue est donc un partenaire parce qu’il permet à la personne placée sous main de justice d’effectuer un travail psychologique. D’autres soignants insistent également sur la singularité des actes effectués par chacun : des échanges comme des explications sont possibles, mais sans secret partagé et sans diffusion d’informations médicales458.
Or, le décalage entre cette perception du travail du professionnel de santé et la manière dont l’obligation de soins ou le suivi d’un traitement est entendu par l’institution judiciaire nous semble patent. En effet, la loi permet, par exemple, d’octroyer un aménagement de peine assorti d’une obligation de soins ; or, dans le suivi de l’aménagement, l’institution judiciaire entend finalement vérifier que l’obligation de soins permet une progression « positive » de la personne et est efficace du point de vue de la réduction des facteurs ayant pu conduire à la commission de l’infraction459. Par exemple, lorsque le JAP en milieu ouvert statue sur la demande de libération conditionnelle d’une personne placée sous surveillance électronique assortie d’une obligation de soins, il va analyser tous les éléments du suivi de cette personne et parmi ceux-‐ci, l’exécution de l’obligation de soins460. De la même manière, en milieu fermé, lorsque le JAP décide de l’octroi d’une réduction supplémentaire de peine à raison du suivi d’un traitement psychologique, il entend vérifier que ce traitement a véritablement pour objet un travail sur soi et sur l’acte commis. Le point d’achoppement principal par rapport au secret médical (soignant) nous semble résider dans la place accordée à l’obligation (ou incitation en milieu fermé) de soins par l’institution judiciaire et l’appréhension qu’en ont les professionnels de santé du point de vue de leur propre rôle.
Il est dès lors nécessaire de préciser ce qui est attendu de ce partenariat. Si l’obligation ou le suivi de soins est compris comme un travail de la personne placée sous main de justice sur elle-‐même conservant sa(ses) spécificité(s) et potentiellement son rythme particulier, la seule information que pourra alors transmettre le professionnel de santé sera la participation ou non de la personne au traitement. En revanche, si l’obligation ou le suivi de soins est considéré comme un indicateur de l’évolution de la personne sur le plan de sa dangerosité, le professionnel de santé devra donner des indications supplémentaires. L’évolution des textes, en particulier au regard de la loi du 27 mars 2012, nous semble favoriser la deuxième hypothèse461. Dans ce cas, il convient d’en tirer les conséquences pour
457 V. C. NÉTILLARD, ce rapport, Annexe 1, chap.2.
458 Entretien du 4 avril 2013 avec Vincent DUBUS qui considère que les échanges sont possibles mais qu’il
apprécie ce qu’il peut dire et ne pas dire et entretien du 18 avril 2013 avec le Dr PARRY qui considère également comme légitime d’échanger, de donner les raisons pour lesquelles il a un doute sur une personne, mais ne révèle rien de médical.
459 Ainsi, dans le cas d’une obligation de soins pour un alcoolique ou un drogué ayant commis des infractions
sous l’empire de l’alcool ou des stupéfiants, la fin de la dépendance (ou à tout le moins sa limitation) est perçue comme limitant ou réduisant certains facteurs possibles de réitération.
460 Cf. étude des dossiers en milieu ouvert.
461 E. GARCON et V. PELTIER, « Commentaire de la loi n°2012-‐409 du 27 mars 2012 de programmation relative à
l’exécution des peines », Dr. pénal 2012 n°6, étude 11, sp. n°57 et s. : comme le relèvent les auteurs, le législateur a pris conscience « de la nécessité d’une circulation de l’information plus efficace entre tous les
que les professionnels de santé puissent transmettre les informations qui leur sont demandées : un travail préalable, peut-‐être avec les instances ordinales462, serait souhaitable afin de poser un cadre unitaire national des éléments pouvant être transmis. Sur un plan plus local, un dialogue renforcé pourrait également être envisagé afin que les soignants soient en mesure de connaître les conséquences tirées par le magistrat des informations médicales qu’ils transmettraient, ce qui pourrait peut-‐être leur permettre, dans certains cas, de préciser leur propos. La transmission d’informations ne doit pas être envisagée à sens unique : les professionnels insistent sur la notion d’ « échange »463. Les pratiques professionnelles de chacun se doivent d’évoluer afin de s’adapter à ce fonctionnement.
Cette observation s’applique également au déroulement des relations partenariales avec les autres intervenants. Ces derniers insistent sur la singularité de leur travail et sur la nécessité d’une pluralité de vues sur la personne prise en charge, ce qui implique de pouvoir remettre en cause ses pratiques. La relation justice – partenaires ne doit pas être unilatérale : la force du partenariat consiste à réunir l’ensemble des éléments permettant que l’accompagnement de la personne soit cohérent et ce faisant, suivi d’effets positifs notamment sur le plan de la prévention de la récidive. Dans cette perspective, le rôle du SPIP est essentiel et renforcé en tant qu’interface entre les différents partenaires : il reçoit et émet les informations nécessaires à l’accompagnement de la personne sous main de justice. En ce sens, ce rôle ne pourrait être délégué à un organe privé ; un organe public doit être le garant de la bonne organisation du partenariat, notamment au regard des informations susceptibles d’être échangées.
Intéressons-‐nous maintenant à l’organisation de cette mission commune qui pourrait prendre la forme d’une contractualisation.
2. L’organisation des partenariats : la contractualisation des partenariats
Certains partenaires ont avancé la proposition d’institutionnaliser le partenariat par voie de convention464. En effet, l’outil conventionnel est présenté comme permettant de sécuriser et de pérenniser le réseau. De plus, la convention fixe le cadre, les besoins, rôles et champs d’intervention de chacun. Elle pourrait dès lors permettre la transmission d’informations dans un cadre prévu à l’avance : détermination des informations pouvant être transmises, personnes à qui l’information peut être transmise, objectif de la transmission de l’information, formalisation de la demande d’information.
maillons de la chaîne pénale, dépassant même la sphère purement répressive ».
462 Rappelons que les circulaires sur la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice ou
sur la participation des professionnels de santé exerçant en milieu carcéral sont des circulaires interministérielles Santé et Justice. De plus, ce travail permettrait une communication et une diffusion des principes adoptés et modalités retenues aux praticiens travaillant en libéral, lesquels sont également des partenaires soignants en milieu ouvert.
463 Cf. entretiens avec le Docteur PARRY et le psychologue Vincent DUBUS, préc..
464 Atelier sur la préparation de la sortie, qui a eu lieu pendant les journées sur la prévention de la récidive dans
Cette référence à l’outil conventionnel n’est pas nouvelle. Ainsi, dans certains cas465, le dispositif permettant la transmission d’informations confidentielles, qui est autorisée pour des professionnels déterminés et dans un ou plusieurs objectifs définis, s’accompagne de surcroît de la nécessité d’avoir signé une « charte » qui précise « dans le respect des codes de déontologie des professions qui en sont dotées », « les principes éthiques, déontologiques et de confidentialité afférents à la prise en charge des personnes »466 concernées. Dans le cas de la participation des professionnels de santé aux CPU, la circulaire interministérielle du 21 juin 2012 encourageait l’instauration de protocoles « pour garantir dans la durée un fonctionnement efficace et harmonisé ».
Ce conventionnement risque cependant de se heurter à un obstacle matériel bien réel qui a été évoqué par les partenaires lors de la recherche : le manque de temps. En effet, afin de bâtir des conventions, des protocoles ou des chartes qui soient véritablement le cadre de la transmission des informations confidentielles et pas seulement un document écrit non opératoire, il convient que les différents partenaires467 se réunissent et travaillent à ce document, puis se revoient périodiquement afin de faire un point sur le fonctionnement, positif comme négatif, afin de faire évoluer la convention si besoin.
Par-‐delà ces difficultés matérielles, cette réflexion en amont sur le cadre du travail en commun semble néanmoins indispensable pour éviter les difficultés ultérieures468. Les informations pouvant être transmises devront être déterminées : transmission automatique aux partenaires de certaines informations ou transmission à leur demande des informations considérées comme nécessaires à la prise en charge, détermination d’une personne référente ou non au sein de la structure, catégories d’informations transmissibles en fonction du type d’infractions auxquelles les personnes ont pu être condamnées, subordination dans certains cas de la transmission à l’accord de la personne concernée,… Les modalités de communication (écrit, mail, téléphone,…) ainsi que la motivation de la demande (précision, cas justificatifs,…) doivent également être décrites. De surcroît, cette réflexion doit permettre d’échanger sur les pratiques professionnelles respectives et ainsi éviter les difficultés qui seraient le résultat d’une méconnaissance des spécificités professionnelles de chacun.
Le secret professionnel trouble le partenariat en ce qu’il rappelle que chaque partenaire intervient à raison de ses compétences professionnelles spécifiques et met donc en lumière la particularité du rôle de chacun. Pour autant, il ne doit pas être un obstacle au partenariat en s’opposant à la transmission d’informations confidentielles permettant une prise en charge globale et cohérente de la personne placée sous main de justice. Cette exigence se
465 Par exemple, il existe une charte déontologie-‐type nationale pour l’échange d’informations dans le cadre
des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSD) qui a été déclinée en chartes locales.
466 Décret n°2013-‐1090 du 2 décembre 2013 relatif à la transmission d’informations entre les professionnels
participant à la prise en charge sanitaire, médico-‐sociale et sociale des personnes âgées en risque de perte d’autonomie, JO 3 déc. 2013.
467 Il est nécessaire de déterminer précisément l’ensemble des partenaires concernés, cette liste étant
susceptible d’évoluer au cours du temps. De plus, il convient de relever le cas spécifique des praticiens libéraux qui ne pourraient probablement pas participer à ces réunions : ils pourraient alors être représentés par des membres des leurs ordres respectifs ou de leurs organisations professionnelles.
468 Voir à ce propos l’exemple décrit par S. LE SUEUR, représentant le pôle judiciaire de l’association Y. LE
révèle d’autant plus nécessaire avec la création prochaine d’une contrainte pénale impliquant la soumission de la personne condamnée à des mesures d’assistance, de contrôle et de suivi adaptées à sa personnalité. Le secret professionnel, en tant qu’obligation déontologique, peut être le vecteur d’un partenariat réfléchi et équilibré permettant, d’un côté, protection de la société, et, d’un autre côté, préservation de l’intimité de l’individu que demeure la personne condamnée, sans pour autant basculer dans un contrôle social abusif.