II/ L’encadrement de l’évitement
Chapitre 7 La sortie de prison
Noémie Mahé
Doctorante à l’Université de La Rochelle
« Un criminel, après avoir subi sa peine dans les prisons, ne doit pas être rendu à la liberté sans précautions et sans épreuves ; le faire passer subitement d’un état de surveillance et de captivité à une liberté illimitée, l’abandonner à toutes les tentations de l’isolement, de la misère et d’une convoitise aiguisée par de longues privations, c’est un trait d’insouciance et d’inhumanité qui devrait enfin exciter l’attention des législateurs ».
(J. BENTHAM, Traités de législation civile et pénale. Tactique des assemblées législatives, Vol. 1, 1802)
En 2011 et 2012 entre 81 000 et 88 000 personnes sont sorties de prison en France556. Que sait-‐on de ces sortants de prison557? Souvent jeunes, en situation de rupture familiale et sociale, peu qualifiés avec un faible niveau scolaire, souffrant parfois de troubles mentaux ou de comportements addictifs, ils ont des difficultés à trouver un emploi et un hébergement. Ils doivent également faire face à des difficultés financières et matérielles, souvent bien en amont de leur détention. Avec leur modeste pécule de sortie et les quelques biens qu’ils possèdent, ils doivent retrouver trouver leur place dans la société, se « réinsérer ».
La sortie de prison constitue alors un grand moment de fragilité. C’est à ce moment que la personne peut reproduire les schémas délinquentiels qu’elle a connu. Il ressort des différents entretiens menés et d’une étude menée par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP)558 que les principaux facteurs de récidive à la sortie de prison sont la rupture du lien social (travail, famille…), l’absence de logement, le sentiment d’exclusion, l’absence de revenus, les addictions, les difficultés psychologiques, psychiatriques ou de santé physique, le passé pénal, l’environnement social et l’absence d’octroi d’aménagements de peine. Certains affirment même que la lenteur de la chaîne judiciaire peut être génératrice de récidive.
Or, il apparait qu’une bonne sortie c’est d’abord une bonne arrivée. Projeter la sortie de prison amène a fortiori à s’interroger sur les raisons qui y ont conduit. Ainsi, lorsque la sortie de prison approche il est nécessaire dans une dynamique de prévention de la récidive de s’assurer que la personne détenue puisse être logée, avoir une activité professionnelle, accès aux minimas sociaux, aux prestations sociales, entretenir ses liens familiaux et sociaux…
556 Ministère de la Justice, Les chiffres clés de la Justice, 2012 et 2013.
557 Pour un état des lieux de la situation des sortants de prison v. A. KENSEY, « Que sait-‐on de la situation
socioéconomique des sortants de prison ? », Revue du MAUSS, 2012/2, n° 40, p. 147.
558 A. BENOUADA, A. KENSEY, « Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques n° 36, Ministère de la Justice, DAP, 2011.
Quelle(s) sortie(s) de prison ?
Conduire une réflexion sur la sortie de prison amène à envisager toutes les facettes de cette sortie. Sortir de prison n’est pas seulement être libéré par la levée d’écrou du regard de l’administration pénitentiaire. La libération en elle-‐même peut d’ailleurs impliquer d’être toujours suivi par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et d’être placé sous écrou à la manière du placement sous surveillance électronique (PSE). Sortir de prison n’est pas seulement sortir définitivement de l’établissement pénitentiaire. Ce serait lui attribuer un sens trop étroit car cette sortie sera, comme nous le verrons, bien souvent progressive.
La sortie de prison est donc ici étudiée dans son acception matérielle. Elle est constituée dès lors que le condamné est amené à quitter l’établissement pénitentiaire quels qu’en soient les motifs.
La sortie de prison est alors protéiforme : il est d’abord possible pour une personne détenue d’être libérée à terme après exécution de sa peine. Cette sortie est dite « sèche » dans le cas où la personne n’est ni suivie ni accompagnée. A la sortie en fin de peine peuvent également s’adjoindre des mesures destinées à surveiller la personne libérée559. Il est également possible d’être libéré par anticipation en cours d’exécution de peine. La sortie dite alors « aménagée » constitue une modalité d’exécution de la peine permettant au condamné de bénéficier d’un suivi et un accompagnement en milieu ouvert. Des aménagements de peine viendront alors suspendre son exécution et/ou moduler ses conditions matérielles d’exécution souvent pour récompenser des efforts de « réadaptation sociale ». Dans certains cas, le détenu peut être maintenu sous écrou mais être amené à quitter l’établissement pour divers motifs d’insertion ou de réinsertion sociale, la peine étant toujours en cours d’exécution mais s’exécutant matériellement différemment560. Dans d’autres cas, l’aménagement de peine implique la levée d’écrou561. D’un point de vue temporel la sortie de prison peut alors être temporaire ou définitive.
Les principes directeurs de la sortie de prison
Il existe un consensus idéologique sur la nécessité de maintenir l’accompagnement à la sortie de prison. Il est étayé par diverses études s’intéressant à la question du risque de récidive des sortants de prison562. Elles en concluent que les personnes bénéficiant d’accompagnement à la sortie notamment sous le régime de la libération conditionnelle récidivaient moins que les personnes en sortie sèche. En effet, dans l’étude la plus récente portant sur une cohorte de personnes sortant de prison en 2002563, il apparaît que la sortie
559 Seront étudiés la surveillance judiciaire des personnes dangereuses (SJPD), la surveillance de sûreté, la
rétention de sûreté et le suivi socio-‐judiciaire (SSJ).
560 Seront étudiés les permissions de sortir, le placement à l’extérieur, la semi-‐liberté et le PSE. 561 C’est le cas de la libération conditionnelle.
562 A. KENSEY, P.-‐V. TOURNIER, Inflation carcérale et aménagement des peines , La documentation française,
1995 ; A. KENSEY, P.-‐V. TOURNIER, « Placements à l’extérieur, semi-‐liberté, libération conditionnelle…des aménagements d’exception », Min. Justice, DAP et Cesdip, février 2000 ; A. KENSEY, Prison et récidive, Armand Colin, 2007 ; A. KENSEY, « La récidive des sortants de prison », Les cahiers de la sécurité n° 12, Institut national des hautes études de la Sécurité et de la Justice, avril-‐juin 2010, p. 116.
sèche augmente de 1,6 fois le risque de nouvelle condamnation par rapport à un sortant de prison sous le régime de la libération conditionnelle. La libération conditionnelle est donc un instrument de prévention de la récidive. Logiquement, le premier principe directeur de la sortie de prison est donc l’évitement des sorties sèches.
Le deuxième principe directeur réside dans la progressivité de la sortie de prison. Il se fonde sur l’idée que la personne détenue doit se réadapter peu à peu à la vie en société. Cette volonté n’est pas étrangère à la fonction resocialisante de la peine (C. pr. pén., art. 707). En réalité elle prend acte de la nature désocialisante de la privation de liberté. En effet, comme l’affirme le Professeur Michel Danti-‐Juan, « la prison est un lieu où l’on peut sans doute se préparer à se réinsérer, mais elle n’est certainement pas le lieu même de cette réinsertion. Comment pourrait-‐on, du reste, se réinsérer dans la société tant qu’on en est par définition mis à l’écart ? »564. Cette fonction de réinsertion sera assignée aux aménagements de peine qui, tous, pour l’accomplir, s’affranchissent dans leur matérialisation de l’état de détention. A cette fin il existe différents degrés de libération : libération temporaire exceptionnelle (permissions de sortir et suspension de peine) ou régulière (placement à l’extérieur et semi-‐ liberté), libération définitive contrôlée (PSE et libération conditionnelle), libération surveillée (suivi socio-‐judiciaire ou mesures de sûreté) jusqu’à la libération de toutes obligations et mesures de contrôle en milieu ouvert.
Ainsi il existe tout un panel de dispositifs de contrôle et de suivi post-‐carcéraux. Le choix d’un mécanisme plutôt qu’un autre peut s’avérer complexe face cette nébuleuse. Le cadre de la sortie de prison sera alors dépendant du profil du condamné ainsi que de l’avancement et de la solidité de son projet de sortie. Bien entendu une seule et même personne pourra faire l’objet de plusieurs dispositifs dans son parcours pénal si elle y est éligible. Ce cumul est très courant et constitue parfois l’essence même de certaines mesures de sûreté565.
Ces deux principes sont consacrés depuis la loi pénitentiaire n° 2009-‐1436 du 24 novembre 2009 au troisième alinéa de l’article 707 du code de procédure pénale : « l’individualisation des peines, doit à chaque fois que cela est possible permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi ».
S’ils semblent empreints d’humanisme, énoncés dans l’intérêt du détenu à ne pas être abandonné à son propre sort à sa libération, ils correspondent à une toute autre rationalité : la protection de la société. Cette fonction soutient l’extension du contrôle à la sortie définitive de prison.
Vers l’extension du contrôle à la sortie de prison
L’extension du contrôle à la sortie de prison est la conséquence du basculement du système pénal vers la prévention conçue comme complémentaire à la répression. En droit de l’exécution des peines, cette évolution législative, surtout perceptible ces quinze dernières années, s’inscrit dans un climat de crise économique et sociale où le sentiment d'insécurité
564 M. DANTI-‐JUAN, « L’ineffectivité de la réinsertion : point de vue d’un universitaire », in XXes Journées
d’étude de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers, L’ineffectivité des peines, 13 et 14 juin 2014.
565 A titre d’exemple, la surveillance de sûreté peut-‐être le relais d’une libération conditionnelle (C. pr. pén., art.
s'accroit alors que des faits divers fortement médiatisés mettant en cause des délinquants sexuels ravivent le débat sur la prise en charge des sortants de prison.
La question est alors lancée dans le débat public : « qu’adviendra-‐t-‐il de ces sortants de prison ? ». En droit, cette interrogation se traduit par la suivante : « Finir sa peine : libre ou suivi ? »566. Du sens attribué à la peine et à la sortie de prison dépendent la réponse. Si l’aspect rétributif de la peine est mis à part, la peine exécutée sert soit à neutraliser soit à resocialiser pour protéger la société. Or ces fonctions ne sont pas exclusives l’une de l’autre en témoigne les finalités assignées par le législateur à la peine. Ainsi, le régime d'exécution de la peine privative de liberté « concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue et de prévenir la commission de l'infraction »567. A la sortie de prison la société doit être protégée, la personne insérée ou réinsérée et la prévention de la récidive assurée.
Le législateur va, au gré des discours politiques et des faits divers, favoriser l’aménagement des peines jusqu’à la systématisation en même temps qu’il va accentuer la privation de liberté des personnes condamnées à de longues peines ayant commis des infractions sexuelles ou violentes568. Le traitement particulièrement répressif réservé aux auteurs de ces catégories d’infractions participe de l’émergence de ce que d’aucuns qualifient de « droit pénal de l’ennemi »569 ou de « néopositivisme »570, manifestation de postmodernité du droit pénal. Cette psychose est d’autant plus irrationnelle que le caractère sexuel ou violent de l’infraction n’est pas le signe d’une particulière propension à la récidive comparativement aux autres types d’infractions571.
Si ces alternances semblent au premier abord être le signe de l’inconstance imputable à la prolifération législative, elles peuvent être en réalité pensées comme manifestations de l’emprise des « technologies du contrôle » sur la justice pénale à la manière dont l’envisage Jean Danet572 à partir des travaux de Michel Foucault sur la sécurité573. La mutation vers une « société de contrôle » implique alors le « passage à une société dont l’économie de pouvoir serait organisée autour du contrôle ». Par le biais de ces technologies, « il s’agit de surveiller non plus en un lieu de correction, mais dehors, pour retrouver si nécessaire le condamné, identifier ses mouvements, les rapprocher des informations relatives à tout acte de délinquance, pour zoner, à propos de chaque personne placée sous ce contrôle, des espaces qui lui sont interdits parce que considérés comme à risque ». Expression d’une nouvelle
566 P. PONCELA, « Finir sa peine : libre ou suivi ? », RSC 2007, p. 883.
567 Art. 132-‐24 du C. pén. et 707 du C. pr. pén. issus de la loi pénitentiaire n°2009-‐1436 du 24 novembre 2009. 568 Cette évolution est d’autant plus notable que le champ d’application de ses mesures tend à s’étendre
puisqu’ils interviennent premièrement pour prévenir la criminalité sexuelle à l’encontre de mineurs puis sont rapidement élargis aux crimes violents, aux mêmes crimes aggravés à l’encontre de majeurs et aux mêmes crimes commis en état de récidive.
569 F. MUNOZ CONDE, M. DELMAS-‐MARTY, M. DOMINI, G. JACOBS, M. PAPA, E. RAUL ZAFFARONI, « Droit pénal
de l'ennemi – droit pénal de l'inhumain », RSC 2009, p. 1.
570 A. GIUDICELLI, J.-‐P. JEAN, M. MASSE (dir.), Un droit pénal post-‐moderne ?, Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, Droit et Justice, Puf, 2009.
571 A. BENOUADA, A. KENSEY, op. cit., p. 3.
572 J. DANET, Justice pénale, le tournant, Folio, 2006, p. 312.
pénalité, la « surveillance sans limites d’espace et de temps » peut s’ajouter à la prison car elle correspond à une finalité nouvelle qui n’efface pas les anciennes.
Les contrôles et obligations auxquels sont astreintes les personnes libérées ne cessent alors d’accroitre. L’anormalité du délinquant fantasmée, la psychiatrie est alors présentée comme son remède. La technologie mise au service de la justice permet quant à elle de gérer les flux de population carcérale en plus d’assurer une surveillance étroite à moindre coût. Le traitement par psychothérapie voire par ingestion médicamenteuse et la surveillance électronique constitueront donc logiquement les moyens privilégiés de ce contrôle absolu. Omniscientes, les institutions seront alors à même de savoir où se trouve la personne « au cas où ». Ces dispositions législatives obligent les instances, davantage qu’auparavant, à faire un pari sur l’avenir : celui de la réhabilitation ou de la neutralisation. Ce « droit pénal de l’anticipation »574 participe ainsi d’une évolution du sens de la peine : celle-‐ci a moins une fonction rétributive qu’une fonction utilitaire.
Corolairement, ces évolutions engendrent une diversification des partenariats et des institutions en même temps qu’elles impliquent une mutation des compétences de chacun. Soucieux de légitimer l’atteinte portée aux libertés individuelles par le contrôle post-‐carcéral et de donner l’illusion d’une prise de décision rationnelle, le législateur va alors multiplier les acteurs intervenant dans la prise de décision concernant la sortie des personnes condamnées à de longues peines en ayant recours à des experts, à des équipes pluridisciplinaires chargées d’évaluer leur dangerosité575 ou à la collégialité au sein des juridictions d’application des peines576. Parallèlement, toujours animé de ce désir de maîtrise en plus de vouloir gérer les flux carcéraux, il va récemment donner aux services d’insertion et de probation des pouvoirs incombant classiquement au juge d’application des peines (JAP) afin de faciliter le prononcé d’aménagement des courtes peines permettant ainsi de suivre des condamnés à la sortie de prison577. Dans la mesure où les dispositifs de suivi et de contrôle s’accroissent, un intervenant central dans la sortie de prison est particulièrement concerné par cette diversification. Ayant à l’origine une fonction socio-‐éducative, le travailleur social se mute en 1999578 en conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). Désormais, une circulaire de 2008579 vient préciser les contours de ses missions entre insertion et probation et place la prévention de la récidive au cœur de ce métier, finalité première qui sera inscrite dans la loi en 2009580.
574 L. LETURMY, « La délinquance sexuelle », in A. GIUDICELLI, J.-‐P. JEAN, M. MASSE (dir.),op. cit..
575 Par le biais du centre national d’évaluation (CNE) et des commissions pluridisciplinaires des mesures de
sûreté (CPMS).
576 Avec le TAP crée par la loi n° 2004-‐204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité et les juridictions régionale et nationale de la rétention de sûreté créées par la loi n° 2008-‐ 174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
577 Par le biais de la surveillance électronique fin de peine (SEFIP) et des procédures simplifiées d’aménagement
de peine (PSAP) v. infra pp. 25-‐26.
578 Décret n° 99-‐276 du 13 avril 1999 modifiant le code de procédure pénale et portant création des services
pénitentiaires d’insertion et de probation.
579 Circulaire DAP, n° 113/PMJ1, 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des SPIP. 580 Art. 13 de la loi pénitentiaire n° 2009-‐1436 du 24 novembre 2009.
Faisant intervenir tous ces acteurs, la sortie de prison se découpe en quatre temps orientée autour de deux étapes cruciales à savoir l’anticipation de la sortie de prison et sa concrétisation. En amont, le CPIP sera amené à élaborer un projet de sortie et une mesure de suivi post-‐carcérale pourra être envisagée. Puis, une décision judiciaire pourra intervenir avant que la sortie de prison ne soit actée.