La relation partenariale au prisme du secret
Aurore Bureau,
Docteur en droit privé et sciences criminelles
Le secret se définit comme « ce qui ne doit pas être divulgué, ce qui ne doit être dit à personne », ou encore « ce qu’il y a de caché dans certaines choses »367. En droit, la notion de secret entre en jeu dans différentes hypothèses : secret de l’instruction, secret des sources368, secret des correspondances, secret des affaires ou encore secret d’Etat. Juridiquement, le secret a pu être défini comme « une chose cachée et, par extension, la protection qui couvre cette chose et qui peut consister soit, pour celui qui connaît la chose, dans l’interdiction de la révéler à d’autres, soit pour celui qui ne la connaît pas, dans l’interdiction d’entrer dans le secret »369. Le secret est donc entendu, ainsi que le relève Virginie PELTIER, comme « un fait, une attitude et un état »370. L’on perçoit d’emblée, au regard de cette définition, la difficulté que peut poser l’existence d’un ou de plusieurs secrets dans le cadre des relations entre les différents partenaires intervenant dans l’application des peines : le secret peut apparaître comme un obstacle possible à une bonne collaboration puisqu’une collaboration implique a priori que toutes les informations nécessaires soient mises à la disposition des différents intervenants.
La mise en jeu de la notion de secret au sein de la relation partenariale renvoie à une catégorie bien spécifique de secret, à savoir le secret professionnel susceptible d’être invoqué par les partenaires au sein de leurs champs de compétences respectifs. Cette problématique est rapidement apparue au cours de la recherche. Certains des protagonistes interrogés ont regretté que d’autres partenaires invoquent le secret professionnel afin de ne pas délivrer des informations considérées par les premiers comme nécessaires au bon déroulement de l’aménagement de peine ou de l’exécution de la peine privative de liberté.
Le secret professionnel figure dans le Code pénal aux articles 226-‐13 et suivants sous l’angle de sa violation. L’article 226-‐13 dispose : « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». La règle générale posée par le législateur consiste en la prohibition de révéler une information couverte par le secret professionnel. Cependant, comme le relève le Professeur Philippe CONTE, « la matière bénéficie d’une redoutable difficulté, qui n’est pas imméritée : la multiplication (souvent injustifiée) des professions soumises à l’obligation de se taire a introduit la nécessité de distinguer plusieurs types de secrets professionnels, plus au moins stricts, qui interdisent de donner des solutions univoques et contraignent à des
367 Définition du Littré.
368 Sur les rapports entre secret des sources et secret de l’instruction, voir les commentaires sur l’arrêt de la
chambre criminelle de la Cour de cassation du 13 mai 2013 de J. LASSERRE CAPDEVILLE, AJ pénal 2013 p. 467 et de J. FRANCILLON, RSC 2013 p. 576
369 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Quadrige, PUF, 2000, p. 798. 370 V. PELTIER, Fasc. 20 « Révélation d’une information à caractère secret », Jurisclasseur, 2005, n°2.
contorsions auxquelles rechigne la rigueur de raisonnement du droit pénal »371. En effet, l’obligation de se taire n’est pas aussi absolue que pourrait le faire croire en une première approche la rédaction générale de l’article 226-‐13 du Code pénal. Ainsi, le même Code prévoit également des obligations de parler, de dénoncer372, qui peuvent dès lors entrer en conflit avec l’obligation de se taire pesant sur les personnes assujetties au secret professionnel. La notion de secret professionnel renvoie donc à une tension entre, d’un côté, une obligation de se taire considérée comme une garantie du droit à l’intimité des individus protégés contre la révélation d’informations confidentielles373 et, d’un autre côté, des obligations de parler ou de dénoncer présentées comme inhérentes au développement d’une société promouvant la transparence374.
C’est la même tension qui sous-‐tend la question du secret dans le cadre de la relation partenariale dans l’application des peines. En effet, les professionnels reçoivent des informations susceptibles d’être couvertes par le secret professionnel, ce qui implique pour eux l’obligation de se taire. Or, dans le même temps, la transmission de l’information apparaît comme primordiale et indispensable à l’application des peines : c’est « le nerf de la guerre »375 pour un certain nombre de partenaires, en particulier les magistrats chargés de l’application des peines (parquet comme siège). L’information est considérée comme une des conditions nécessaires376 à une prise de décision réfléchie et raisonnée qui doit permettre d’éviter la récidive. La question de l’information est d’ailleurs présentée comme essentielle dès le début du processus judiciaire post-‐condamnation : il a pu être relevé que les aménagements ab initio ne sont pas ou peu pratiqués par les juridictions de jugement car elles n’ont pas à leur disposition suffisamment d’informations pour prendre une décision en connaissance de cause377.
Le secret professionnel peut ainsi apparaître en une première approche comme un obstacle au bon déroulement de la (ou des) relation(s) partenariale(s). Il convient d’observer que cette impression, corroborée par des constatations sur le terrain, trouve son origine dans le caractère distinct des obligations auxquelles sont soumis les différents partenaires (I). Pour autant, le secret professionnel peut ne pas s’opposer à une transmission raisonnée ou
371 Ph. CONTE, Droit pénal spécial, Litec, 2003, p. 193.
372 Les étudiants du M2 Droit pénal de l’Université Montesquieu Bordeaux IV, Secret professionnel et obligation de dénonciation, Droit pénal n°9, septembre 2008, étude 13, sp. n°3.
373 B. PY, « Secret professionnel », Répertoire de droit pénal et procédure pénale, Dalloz, 2012, n°1.
374 Conseil supérieur du Travail social, Le partage d’informations dans l’action sociale et le travail social,
Rapport au Ministre des affaires sociales et de la santé, 2013, Presses de l’EHESP, p. 26 et s.
375 Pour reprendre l’expression utilisée par M. Pierre AURIGNAC, vice-‐procureur de la République chargé de
l’application des peines près le TGI de La Rochelle, lors de la table ronde ayant pour objet « La prise de décision : aménagements de peine et mesures de sûreté », Journée du 6 juin 2013 sur la prévention de la récidive dans sa dimension partenariale, Faculté de droit, de science politique et de gestion de La Rochelle.
376 Information présentée comme indispensable afin de préparer la sortie d’un détenu, selon Mme EHRLACHER,
directrice adjointe de la maison centrale de St Martin de Ré, lors de la table ronde ayant pour objet « La prise de décision : aménagements de peine et mesures de sûreté », journée du 6 juin 2013 sur la prévention de la récidive dans sa dimension partenariale.
377 Constat formulé lors de la table ronde ayant pour objet « La prise de décision : aménagements de peine et
mesures de sûreté », journée du 6 juin 2013 sur la prévention de la récidive dans sa dimension partenariale. Outre le manque d’informations, la réticence de certains magistrats a également été évoquée comme motif expliquant le peu de succès des aménagements ab initio, certains considérant qu’il s’agit d’un exercice schizophrénique (condamner puis procéder dans le même temps à l’aménagement).
encadrée des informations confidentielles nécessaires dans le cadre de la relation partenariale. L’aménagement du secret professionnel dans des conditions bien définies peut dès lors permettre un meilleur déroulement de la relation partenariale (II).