II/ La mise en œuvre multi-‐partenariale des critères d’évaluation de la dangerosité
2. Le partenariat difficile avec un monde médical « à la peine »
2.1 La fonction individuelle des psychiatres et/ou psychologues : la relation corps médical/patient-‐détenu
Les différents entretiens réalisés avec des praticiens (psychiatres et psychologues) révèlent la dualité de leurs objectifs : protéger le détenu de lui-‐même et la prévention d’une éventuelle récidive.
Pour le docteur Fasseur311, la dangerosité est un concept juridique312. En psychiatrie elle définit d’abord le danger que représente la personne pour elle-‐même (jusqu’au suicide) et ensuite pour autrui. Le soignant est donc d’abord préoccupé par le souci de protéger la personne contre elle-‐même. Ainsi, le savoir psychiatrique est un instrument incontournable et indispensable pour répondre aux questions que se pose l’institution autour des risques de suicide313.
Le savoir psychiatrique est ensuite, conformément au cadre de notre étude, essentiel à l’évolution du condamné dans le sens d’une diminution de sa dangerosité allant de pair avec la prévention de la récidive. D’ailleurs, le premier enjeu en matière de longues peines est celui de la prise en charge pendant le temps de l’incarcération. Dans les avis rendus par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, l’importance du suivi psychologique dans le constat de l’évolution du condamné sur le plan personnel apparaît fondamentale quand il est relevé que : « sa personnalité a évolué très nettement et positivement » ou encore qu’« il a démontré de réelles capacités d’autocritique, d’introspection, de verbalisation et de changement en partie par le suivi psychologique mené en détention »314.
311 Psychiatre, UCSA MC Saint Martin de Ré, propos tenus lors de l’atelier sur dangerosité, 6 juin 2013, Faculté
de droit, de science politique et de gestion, La Rochelle, préc.
312 La démarche psychiatrique n’est pas d’évaluer la dangerosité mais de dispenser des soins à l’intérieur qui
soient les mêmes que ceux dispensés à l’extérieur, ce qui s’est fait avec la pénétration d’un « hôpital » dans la prison (SMPR, UCSA...).
313 A la Maison d’arrêt de Rochefort, pour la prévention du suicide, du fait de la petite taille de l’établissement,
la prévention des suicides repose sur l’échange entre les services. Les détenus signalés font l’objet d’un suivi régulier et inscrit dans la liste des consignes et comportements correspondants. En dehors de ces rencontres, tous les services peuvent activer la procédure écrite de signalement à tout moment. La fiche arrivant et la trame spécifique au risque suicidaire est complétée systématiquement par le chef d’établissement ou son adjoint lors de la première audience qui a lieu au plus près de l’écrou. Des actions de formation à l’intention des personnels ont été réalisées en 2011, animées par un cadre de santé à l’hôpital de La Rochelle et un médecin. Elles ont pour objectifs d’identifier, de repérer et de mieux se positionner face aux situations à risque. Sont également abordées les situations critiques en milieu pénitentiaire et la psychologie de la personne incarcérée. L’ensemble de l’encadrement de l’établissement a suivi la formation sur la prévention et repérage du risque suicidaire. V. Rapport d’activité 2011, Maison d’arrêt de Rochefort, p. 38.
D’ailleurs, l’importance de cette relation dépasse le cadre de la prison et le suivi médical est essentiel tant pendant la phase carcérale qu’après l’incarcération315. Cette double nécessité filtre également de certaines expertises dans lesquelles on peut lire « qu’un suivi psychologique reste utile en détention et sera nécessaire après sa libération ».
Cette finalité impose comme garantie, pour la quasi-‐totalité des psychologues ou psychiatres entendus dans le cadre de la Recherche, la préservation du secret professionnel316. Pour Claire Nétillard, l’une des raisons d’être de celui-‐ci réside dans le fait que les sujets soient tenus de se raconter en permanence (deux expertises, centre national d’évaluation, commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté), ce qui au bout d’un certain temps n’a plus de sens. Pour cette raison, le psychologue ou le psychiatre, en ne communiquant pas le contenu des consultations, délimite un espace qui est propre au patient-‐détenu dans lequel il ne doit pas craindre d’être désapproprié de sa parole. Ce contexte sécurisant est nécessaire pour les soins en favorisant la liberté de la parole sans crainte des conséquences que cela pourrait induire317. En ce sens également le docteur Fasseur considère que le secret médical est bénéfique dans les soins, qu’il est indispensable pour que les détenus malades se confient.
Outre la question du secret médical, il existe d’autres obstacles au bon fonctionnement de la relation médecin-‐détenu. En effet, la réalité de l’investissement dans les soins pose question surtout depuis que le suivi psychologique est formellement corrélé à l’obtention de certains avantages pour les condamnés318. Peu à peu, on observe un glissement dans la démarche de soins en détention avec non pas une mesure judiciaire d’obligations de soins comme à l’extérieur mais une forte incitation aux soins afin d’obtenir des aménagements de peine. L’évaluation de la dangerosité des détenus pouvant donc en être biaisée, il faudrait éviter, comme cela est fréquent, la délivrance par les médecins d’attestations vides de contenu. Cette pratique empêche l’autorité judiciaire d’exercer un contrôle effectif des aménagements de peine conditionnés par une obligation de soins. Cette problématique renvoie à la nécessité de partager un minimum d’informations avec l’autorité judiciaire, et donc plus largement aux contours d’un secret professionnel partagé319.
Une autre difficulté dans le fonctionnement de cette relation tient à la crainte de certains condamnés d’être perçus comme « fous », difficulté accrue par l’absence de libre choix des praticiens par les personnes incarcérées. Peut-‐être serait-‐il nécessaire de faire œuvre de
315 Par exemple, l’importance du maintien du travail psychologique est soulignée pour garantir le maintien de
l’abstinence alcoolique, V. avis n° 35/2013 préc.
316 V. A. BUREAU, « Le partenariat au prisme du secret », ce Rapport, 1re Partie, chap. 5. 316 Avis n° 36/2013, CPMS, préc.
316 Par exemple, l’importance du maintien du travail psychologique est soulignée pour garantir le maintien de
l’abstinence alcoolique, V. avis n° 35/2013, CPMS, préc.
317 G. CÉDILE, « Le signalement par le psychologue est-‐il compatible avec le respect du secret professionnel ? », AJ Pénal 2011, 579-‐583.
318 Depuis la loi n°98-‐468 du 17 juin 1998, il est porté atteinte au principe de libre consentement aux soins en
sanctionnant le refus de soin par le rejet des réductions supplémentaires de peine (C. pr. pén. art. 721-‐1). Plus encore, depuis la loi n° 2012-‐409 du 27 mars 2012 la remise de l’attestation de suivi a vocation à permettre au juge de l’application des peines de retirer au condamné les crédits de réduction de peine dont il a bénéficié, de lui refuser l’octroi de réductions supplémentaires de peines ou d’une liberté si l’attestation fait état de ce qu’il en suit pas de façon régulière le traitement qui lui est proposé.
pédagogie en démédicalisant l’image du suivi, en expliquant qu’il est justement compatible avec la perception des condamnés en tant que personnes ?
2.2 La fonction institutionnelle des psychiatres et/ou psychologues : le partenariat