I/ La multiplicité des facteurs d’évaluation de la dangerosité confrontée à la multiplication des évaluateurs
1. Les facteurs internes d’évaluation de la dangerosité ou « facteurs internes limitant la récidive »
L’évaluation des causes internes de dangerosité s’appuie d’une manière générale sur l’évolution du détenu depuis l’incarcération.
1.1 La capacité d’introspection et de remise en cause
Parmi les facteurs limitant la récidive, et partant la dangerosité, une bonne capacité d’introspection et de remise en cause est couramment requise. Cette dernière passe par un investissement dans la prise en charge psychologique en détention qui doit permettre, précisément, d’accéder à un certain niveau d’introspection. Selon la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, « La dangerosité apparaît théoriquement corrélée à cette absence d’autocritique »218. Si le travail psychique ne peut être présenté comme le seul garant de la non récidive, il constitue néanmoins la première pierre de l’édifice de la (ré)adaptation sociale. Comme le rappelle la psychologue Claire Nétillard, « Le travail
215 Les commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté ont été instaurées par la loi n° 2005-‐1549 du 12
décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, afin de donner un avis sur la dangerosité et le risque de récidive des personnes condamnées avant la mise en place d’un PSEM à titre de mesure de sûreté (C. pr. pén., art. 763-‐10). Leur domaine d’intervention a été élargie par la loi n° 2008-‐174 du 25 février 2008 à la surveillance de sûreté, à la rétention de sûreté (C. pr. pén., art. 706-‐53-‐13 et 706-‐53-‐14) et à la libération conditionnelle des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité ou condamnées soit à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-‐judiciaire est encouru, soit à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à dix ans pour une infraction mentionnée à l’art. 706-‐53-‐13 (mod. loi du 10 août 2011). Conçues comme des acteurs essentiels de l’évaluation de la dangerosité, si elles présentent l’intérêt de réaliser une évaluation sociale de la dangerosité et pas seulement médicale, on s’interroge sur leurs réelles compétences pour prédire les risques de récidive ou la persistance de la dangerosité des condamnés. – Sur ces doutes, notamment du fait de l’absence de criminologues dans leur composition, V. Martine HERZOG-‐EVANS, Droit de l’exécution des peines, Dalloz Action, 2012/2013, n° 532.61 à 532.85.
216 Leur composition fixée par l’art. D. 61-‐8 du Code de procédure pénale est la suivante : magistrats de la cour
d’appel, préfet, directeur interrégional des services pénitentiaires, expert psychiatre, expert en psychologie, représentant d’une association d’aide aux victimes, avocat membre du conseil de l’ordre.
217 Avis rendus en 2013 par la CPMS de Rennes concernant des condamnés détenus à la Maison Centrale de
Saint-‐Martin de Ré. Il existe actuellement huit commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris, Rennes et Fort de France) qui ont les mêmes compétences territoriales que les juridictions interrégionales spécialisées.
218 Extrait d’une expertise psychiatrique réalisée dans le cadre de l’avis n° 35/2013 rendu par la CPMS le 16
conduit par les psychologues ne se suffit pas à lui-‐même. Il doit prendre place dans un projet de sortie complet et adapté »219. Le docteur Fasseur220, quant à lui, a déclaré lors l’atelier sur la dangerosité ne pas pouvoir se prononcer sur les critères de bonne introspection.
Cette affirmation nous conduit à aborder le problème délicat du déni. Il n’est pas rare que « l’intéressé semble souffrir d’aménagements psychiques qui témoignent de mécanismes de déni et de projection »221. Les conséquences négatives du déni apparaissent plurielles. Le déni de l’acte va pouvoir être le révélateur de l’existence d’une dangerosité criminologique, la mise en évidence d’une personnalité narcissique. Il va entraver l’émergence d’un sentiment de culpabilité ou d’une quelconque émotion. L’intérêt d’un accompagnement médico-‐psychologique va être limité en raison de l’absence d’adhésion du sujet et de ses mécanismes de défense. Ainsi, la mise à distance des faits est un obstacle à la capacité d’introspection. D’ailleurs, pour la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, « le déni total des actes pour lesquels il a été condamné » implique la dangerosité criminologique222 de l’intéressé.
Pour autant, les avis des experts psychiatriques et/ou psychologues ne sont pas unanimes sur la question. On pourrait même entrevoir la potentialité d’un « conflit de dangerosités ». Pousser le détenu-‐patient à ce travail d’introspection pourrait conduire à retourner la dangerosité contre le sujet lui-‐même. Dans cette perspective, le déni de l’acte pourrait permettre de constituer un facteur de nature à faciliter la reconstruction en tuant dans le sujet sa dangerosité. Ainsi, selon le psychologue clinicien Christophe Adam, « Il est étonnant que les praticiens, formés aux courants psycho dynamiques et psychanalytiques, ne pensent pas que la négation des faits ou leur non-‐reconnaissance puissent participer de modes de défense assurant une sauvegarde psychique. Les patients peuvent vivre un sentiment de honte ou encore ne pas pouvoir reconnaître pour garder la face, ils peuvent être gênés d’en parler devant une femme… »223. Concernant le travail d’introspection par rapport aux faits exigé par les autorités judiciaires, Christophe Adam, lors de l’atelier sur la dangerosité, a indiqué qu’il est difficile à évaluer d’autant que parfois la prise de conscience peut être néfaste pour le sujet jusqu’à, parfois, le conduire au suicide. Pour lui, Il faut donc avoir une autre approche et considérer que le déni n’est pas forcément un signe négatif mais peut être un mécanisme de défense.
Pour conclure sur ce point, nous pouvons ajouter que l’investissement dans le travail de soins passe par l’établissement d’une relation de confiance entre le patient-‐détenu et le psychologue pénitentiaire, et que ce qui prime dans la relation d’aide, c’est la confiance instaurée. Ce point renvoie à la question du secret médical et partant à certaines difficultés inhérentes au partenariat médico-‐judiciaire224. Selon les experts psychiatres ou psychologues entendus, le secret est un « élément participatif de la bonne conduite du travail psychique ». Dès lors, « L’institution judiciaire et carcérale par la multiplication des regards sur la personne détenue provoque un sentiment de dépossession de lui-‐même et de
219 V. C. NÉTILLARD, « La place du psychologue d'unité sanitaire dans le partenariat pour la prévention de la
récidive », ce Rapport, Annexe 1, chap. 2.
220 Psychiatre, UCSA Saint-‐Martin de Ré. 221 Avis n° 35/2013, CPMS, préc. 222 Avis n° 35/2013, CPMS, préc.
223 V. Ch. ADAM, « La prévention de la récidive des délinquants sexuels en Belgique », ce Rapport, 2e Partie,
chap. 3.
ses actions personnelles » conduisant au fait « qu’il n’abordera plus ce qui peut lui porter préjudice au niveau judiciaire, et qui pourtant est ce qu’il a à traiter : ses fantasmes et pulsions d’agression ». Ainsi, « Même si les psychologues ne se laissent pas bercer par les mécanismes de défense du sujet, le travail n’en serait pas moins empêché »225. Dans le cas spécifique de l’expertise psychiatrique, il convient de préciser qu’elle suscite assez logiquement des phénomènes de défense chez tout condamné qui peut choisir plusieurs modes de protection ou « techniques de neutralisation », pour faire écho au travaux de Gresham Sykes et David Matza226 : la victimisation, le mutisme, le mensonge, la dénégation (minimisation ou banalisation) et le déni. L’accusé peut adopter un « faux-‐self », c’est-‐à-‐dire une attitude et une identité de surface conforme aux attentes supposées de la société. On peut citer le cas d’un détenu identifié comme étant d’« une grande duplicité dans son comportement général et son discours », duplicité marquée par l’affichage de « beaucoup de courtoisie et même une extrême politesse alors que son parcours personnel et relationnel aussi bien en milieu libre qu’en détention, est bien différent »227. Le but de ce détenu était de « donner une image de maîtrise de lui-‐même ». Pour ce faire, pendant l’entretien par visioconférence devant la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, il était apparu « très contraint, figé, les mains bien à plat sur la table, l’élocution lente, avec des formules obséquieuses »228.
De manière générale, les attentes des juges au regard d’un travail d’introspection investi sont les suivantes : le détenu doit verbaliser ce travail d’introspection en témoignant de sa conscience de la gravité des faits, en reconnaissant sa juste participation à l’infraction, sans se défausser sur un comparse. Il doit être à même de critiquer le passage à l’acte et d’identifier les moyens l’ayant favorisé. Dans le cas particulier d’un passage à l’acte lié à l’incapacité à gérer la persistance de la rumeur d’homosexualité, la faiblesse de l’investissement dans le travail psychologique laissera craindre la persistance du mal être psychique « infractiogène », contenant en germe la potentialité d’une récidive229. La montée en puissance du rôle des victimes dans le procès pénal et même dans la phase d’exécution de la peine230 a généré, quant à elle, des attentes nouvelles comme celle de la capacité à témoigner de l’empathie à l’égard de la victime. La réflexion du détenu doit évoluer au point de pouvoir être confronté tant avec l’acte commis qu’avec la victime231.
225 V. C. NÉTILLARD, op. cit.
226 G. SYKES & D. MATZA, « Techniques of neutralization : a theory of delinquency », American Sociological Review,Vol. 22, n° 6 (Dec., 1957), pp. 664-‐670.
227 Avis n° 48/2013 rendu par la CPMS le 28 octobre 2013. 228 Avis n°48/2013, CPMS, préc.
229Avis n° 35/2013 rendu par la CPMS le 16 septembre 2013 : le détenu, de confession musulmane, avait été
condamné pour avoir tué la directrice du foyer dans lequel il était hébergé au motif qu’elle l’aurait accusé d’être homosexuel, cette pratique étant interdite par sa religion.
230 V. C. MARIE, La sanction pénale confrontée aux droits des victimes, in Le renouveau de la sanction pénale, Evolution ou révolution, dir. S. JACOPIN, Bruylant, 2010, p. 97-‐125.
231 Ainsi, l’investissement dans le suivi psychologique doit conduire à une évolution du détenu, laquelle peut se
traduire par un changement de conventions sociales, par exemple, en « passant d’une mentalité de bande de quartier à celle d’adulte responsable, ayant intégré la loi » (restera à espérer qu’il ne soit pas déçu par les nouvelles conventions car il pourrait alors revenir à ses anciennes…) : v. Avis n° 36/2013 rendu par la CPMS le 16 septembre 2013
1.2 Les autres facteurs internes
La propension à l’impulsivité ou à la violence
Elle se déduit naturellement d’« une instabilité comportementale l’amenant à poser des actes violents »232, comme pour un détenu ayant fait état de vingt-‐trois procédures disciplinaires en douze années de détention et de deux tentatives de suicide, et pour lequel il a été relevé que, dès qu’il avait été placé au CNE, « il a tout de suite créé des difficultés »233.
Cette propension peut découler du « nombre important de tentatives d’autolyses » (tentative de suicide), en ce sens que leur fréquence témoignerait de « la possibilité de réactions impulsives dans un contexte de débordement émotionnel »234.
Elle se mesure aussi à la propension du détenu à montrer « un caractère virulent et colérique » à propos de choses apparemment mineures mais qui permettent d’agrémenter le quotidien carcéral : une nourriture « mauvaise », une télé « coûteuse », fonctionnant mal, un chauffage « défectueux », des cantines qui tardent à arriver… Bref, il est reproché au détenu qu’il soit « capable de violence et d’outrance pour une peccadille »235.
Nous avons pu constater, s’agissant de certains incidents survenus en détention236, que la juridiction de l’application des peines de La Rochelle, comme la direction de la Maison centrale de Saint-‐Martin de Ré, font preuve d’une certaine tolérance à l’égard de difficultés (d’« embrouilles ») considérées comme inhérentes à ce type de collectivité. De la même manière, peu importe si le début du parcours en détention a été chaotique dès lors que, par la suite, l’intéressé a investi positivement sa détention237. Il ne faut pas oublier cependant qu’au terme d’une arithmétique pénitentiaire, les incidents disciplinaires, en raison de leur gravité et/ou de leur fréquence, peuvent se solder par des retraits de crédit de peine.
La capacité d’adaptation à la vie carcérale
Même si la « sur-‐adaptation » à la vie carcérale est pointée comme un facteur de risque de déstabilisation en milieu libre, il n’en demeure pas moins que la capacité à s’adapter sans difficultés en détention, « avec un respect du cadre et des règles de l’institution pénitentiaire »238 est prise en compte dans l’évaluation de la dangerosité de l’intéressé.
L’âge
L’avancée en âge, a fortiori si elle est associée à la maladie, serait corrélée à une érosion naturelle de dangerosité. En effet, selon les chercheurs californiens Gottfredson et Hirschi, « La délinquance décroît avec l’âge », plus ou moins rapidement suivant l’intensité du suivi dont bénéficie l’intéressé239. Seul un casier judiciaire affichant de multiples condamnations,
232 Avis n° 48/2013, CPMS, préc.
233 Il a menacé d’incendier sa cellule, bloqué l’œilleton, provoqué de nombreux tapages en hurlant, refusé de
sortir de sa cellule, refusé également tout contact avec les autres détenus…
234 Avis n° 04/2011 rendu par la CPMS le 7 février 2011. 235 Avis n° 48/2013, CPMS, préc.
236 Introduction de macération, films vidéo, altercations avec d’autres détenus.
237 L’exemple peut être donné d’un détenu dont le parcours en détention avait commencé par une période
instable, entachée de plusieurs incidents disciplinaires. Placé à la Maison centrale de Saint-‐Martin de Ré, « son comportement s’est stabilisé et sa détention a été investie positivement », avis n° 36/2013, CPMS, préc.
238 Avis n° 44/2013 rendu par la CPMS le 28 octobre 2013.
un casier de multirécidiviste, semble faire obstacle à sa prise compte de manière inconditionnelle. Ainsi, selon la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, « le fort potentiel de dangerosité » que le détenu a présenté par le passé, ainsi que sa personnalité, ne mettent pas à l’abri d’un « chant du cygne »240. Dans ce cas, le détenu était âgé de 72 ans, avait passé dix-‐sept ans en détention après avoir été condamné pour vol avec arme, tentative de meurtre, meurtre et violences avec arme ; cette condamnation étant en outre précédée de treize autres. Il sollicitait une libération conditionnelle pour laquelle la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté a émis un avis de « dangerosité mitigé »241.
L’idéalisation de la sortie
Concourent également à l’évaluation de la dangerosité un certain nombre de facteurs externes. Cette affirmation n’est pas sans évoquer l’ouvrage Les Sorties de délinquance. Théories, méthodes, enquêtes 242, dans lequel plusieurs chercheurs anglo-‐saxons démontrent que, dans le contrôle de la dangerosité pendant la phase post-‐carcérale, la variable décisive serait « le contrôle social informel », c’est-‐à-‐dire les liens de l’individu avec la société, la famille, l’école, le mariage ou l’emploi. Ainsi, selon ces chercheurs, l’arrêt de la délinquance ne serait pas forcément un processus conscient ou volontaire mais plutôt la conséquence des « paris subsidiaires » (réussir son mariage, garder son emploi…). « C’est le comportement qui change l’identité et non l’inverse ».
D’autres critères, tels la maturité, l’appétence pour les produits psychoactifs ou encore le niveau intellectuel vont guider les différentes institutions amenées à évaluer la personne condamnée.
2 Les facteurs externes d’évaluation de la dangerosité
L’absence de dangerosité peut se déduire de certains facteurs externes. A l’inverse, d’autres facteurs externes vont être des signes de la persistance de cette dangerosité.
2.1 Les facteurs externes négatifs de dangerosité
L’exemplarité du parcours d’exécution de peine
Il suppose trois éléments principaux : le déploiement d’activités diverses en détention, le versement de dommages et intérêts aux partie civiles et un suivi psychologique si ce dernier a été prononcé. Lors de nos visites dans les différents établissements pénitentiaires, nous avons pu constater que les détenus s’adonnent souvent à des activités sportives. Cette pratique sportive peut être l’occasion d’observer leur capacité à entretenir des relations cordiales avec leurs codétenus243.
délinquants », Le Monde, 20 août 2012.
240 Avis n° 44/2013, CPMS, préc.
241 L’intéressé « présente encore une dangerosité mais (…) elle est émoussée par l’âge et (…) elle reste
limitée ».
242 Les Sorties de délinquance. Théories, méthodes, enquêtes, sous la dir. M. MOHAMMED, éd. La Découverte,
coll. « Recherches », 2012.