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le refus de POLYGRAM ne peut […] s'analyser en un abus de position dominante, car le fait pour une entreprise qui détient une part très importante du

marché des productions de disques, de refuser, contre une rémunération appropriée,

l'utilisation de ses enregistrements, ne constitue nullement un abus de position

dominante, mais une simple prérogative des droits que la loi lui accorde. Qu'à la

différence de l'arrêt MAGILL qui concernait des informations relatives aux

programmes de télévision qualifiées "d'informations brutes" par la C.J.C.E

lesquelles ne peuvent donc faire l'objet d'une rétention, les enregistrements fixés sur

phonogrammes ne sont pas de simples enregistrements en l'état, mais sont le fruit

d'un long travail préparatoire […] il ne peut être question d'abus de la part de

POLYGRAM, en raison du simple risque évident ou à tout le moins potentiel de

voir le produit de la SUBSTANTIFIQUE MOELLE, directement concurrencer

ses propres enregistrements ».

Le Tribunal de Commerce infère de la solution MAGILL, une distinction entre informations brutes qui ne sont pas couvertes par un droit de propriété intellectuelle et ne peuvent en conséquence faire l'objet de rétention et enregistrements "fixés sur phonogrammes" couverts par un droit de propriété intellectuelle. Les juges consulaires opposent ainsi les informations brutes qui ne pourraient faire l'objet de rétention, aux enregistrements fixés sur un phonogramme qui sont couverts par un droit de propriété intellectuelle. Selon le Tribunal de Commerce, la solution MAGILL signifie que l'abus de position dominante découlait du refus de communication des informations brutes résultant du monopole de fait et non du refus de communication d'une œuvre protégée au titre du droit d'auteur instituant un monopole légal. Un tel raisonnement est contestable car l'arrêt MAGILL a invalidé la thèse selon laquelle l'exercice des prérogatives spécifiques reconnues au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle exclurait tout abus de position dominante. L'expression "information brute" qui sert de pivot au raisonnement des juges parisiens se retrouve dans les motifs de la Cour consacrés à la caractérisation de la position dominante.

108. Affaire Magill. Un retour sur l'affaire Magill est nécessaire pour comprendre la

motivation du Tribunal de Commerce. Magill TV Guide Ltd avait tenté de publier un guide de

249 CJCE 6 avril 1995. Radio Telefis Eireann (RTE) et Independent Television Publications Ltd (ITP) c. Commission des Communautés européennes [MAGILL]. Recueil de jurisprudence 1995 page I-00743.

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télévision contenant les programmes de l’ensemble des chaînes irlandaises. Les chaînes irlandaises et la BBC, qui publiaient séparément leurs programmes ont refusé de communiquer leurs programmes et ont obtenu des injonctions interdisant la publication des grilles de programmes hebdomadaires. Magill a déposé plainte auprès de la Commission en 1986, en vue de faire constater que les requérantes et BBC abusaient de leur position dominante en refusant d' octroyer des licences pour la publication de leurs grilles de programmes hebdomadaires respectives. La Commission a condamné RTE et la BBC250. La Cour confirme l’arrêt du

Tribunal qui avait rejeté le recours en annulation au motif que:

« le refus, par les requérantes, de fournir des informations brutes en invoquant les

dispositions nationales sur le droit d'auteur a donc fait obstacle à l'apparition d'un

produit nouveau, un guide hebdomadaire complet des programmes de télévision, que

les requérantes n'offraient pas, et pour lequel existait une demande potentielle de la

part des consommateurs, ce qui constitue un abus suivant l'article 86, deuxième

alinéa, sous b), du traité. »

251

La Commission relève dans sa décision que « il a été expressément confirmé que les programmes des émissions de télévision, y compris les résumés d'émissions […] sont couverts en tant que travaux littéraires par la protection du droit d'auteur (Copyright Act, 1956) »252. Les fiches et résumés dont Magill

demandait la communication sont ceux qui sont envoyés gratuitement aux journaux et magazines. Ils contenaient un avis de réservation de copyright définissant les limites dans lesquelles les éditeurs sont autorisés à reproduire ces informations253. Selon la Commission, les

chaînes de télévision occupent une position dominante sur le marché des guides de télévision en ce que « indépendamment de tout droit de propriété intellectuelle qu'ils pourraient revendiquer ou auquel ils pourraient effectivement prétendre, les organismes de radiotélédiffusion détiennent un monopole de fait sur la production et la première publication de leurs programmes hebdomadaires. Ceci est dû au fait que les programmes des émissions ne sont qu'un sous-produit du processus de programmation des émissions […] en outre le monopole de fait […] est renforcé par un monopole légal dans la mesure où ils revendiquent la protection de ces programmes au titre des lois sur le droit d'auteur ». La Commission distingue très clairement monopole de fait et monopole légal. La Commission avait déjà observé dans sa

250

Commission Européenne.Décision 89/205/CEE, du 21 décembre 1988, relative à une procédure au titre de l'article 86 du traité CEE (IV/31.851, Magill TV Guide/ITP, BBC et RTE, JO 1989, L 78, p. 43).

251 CJCE, Magill. Préc. § 54.

252 Décision Commission Magill TV Guide. COMP/31.851 préc. § 8. 253

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décision que « les politiques et pratiques [des chaînes de télévision] utilisent le droit d'auteur comme un instrument de l'abus »254. Le Tribunal255 puis la Cour256 ont confirmé la décision de la Commission

Cette distinction donne du crédit à l'interprétation du Tribunal de Commerce qui oppose les informations brutes non-couvertes par le droit d'auteur et les phonogrammes enregistrés couverts par le droit d'auteur. La Cour semble faire la même distinction en relevant que « en ce qui concerne la position dominante, il faut rappeler tout d' abord que le simple fait d'être titulaire d'un droit de propriété intellectuelle ne saurait conférer une telle position. Toutefois, les informations brutes constituées par l'indication de la chaîne, du jour, de l'heure et du titre des émissions sont la conséquence nécessaire de l'activité de programmation des stations de télévision qui sont donc l'unique source de ces informations pour une entreprise telle que Magill qui souhaiterait les publier ».

Il convient de souligner que la Cour a adopté son arrêt contre les conclusions de l'avocat général GULMANN, qui préconisait l'annulation de l'arrêt du Tribunal et de la décision de la Commission. L'avocat général GULMANN avait soutenu la thèse selon laquelle « le véritable motif d'application de l'article 86 dans la situation présente devrait être que les grilles de programmes ne sont pas considérées comme méritant d'être protégées »257. En confirmant la décision de la Commission et l'arrêt

du Tribunal, et en s'écartant des conclusions de son avocat général, la Cour a clairement affirmé que le refus de licence du titulaire d'un droit de propriété intellectuelle pouvait constituer un abus de position dominante. La thèse de la distinction entre informations brutes

254 Décision Commission Magill TV Guide. COMP/31.851 préc. § 23.

255 CJCE 6 avril 1995,Radio Telefis Eireann (RTE) et Independent Television Publications Ltd (ITP) contre Commission des Communautés européennes. Aff. C-241/91.Rec. I-00743. § 24. «[l'éditeur du journal qui se voyait envoyer la fiche du programme] disposait, grâce au droit d'auteur sur les grilles de programmes des chaînes ITV et Channel 4, qui lui avait été cédé par les sociétés de télévision alimentant lesdites chaînes, du droit exclusif de reproduire et de mettre sur le marché les grilles susvisées. Cette circonstance lui a permis, au moment des faits incriminés, de s'assurer le monopole de la publication de ces mêmes grilles hebdomadaires dans un magazine spécialisé dans les propres programmes d' ITV et de Channel 4».

256 Arrêt Magill, préc. § 47 à 50. «s'agissant de l' abus, il convient de relever que l' argumentation des requérantes et d' IPO présuppose à tort que, dès lors qu' un comportement d' une entreprise en position dominante relève de l'exercice d' un droit qualifié de "droit d' auteur" par le droit national, ce comportement serait soustrait à toute appréciation au regard de l'article 86 du traité. Il est, certes, exact que, en l'absence d'une unification communautaire ou d'un rapprochement des législations, la fixation des conditions et des modalités de protection d'un droit de propriété intellectuelle relève de la règle nationale […] Néanmoins, […] l'exercice du droit exclusif par le titulaire peut, dans des circonstances exceptionnelles, donner lieu à un comportement abusif».

257

Conclusions de l'avocat général M. Claus Gulmann présentées le 1er juin 1994 dans les affaires jointes C- 241/91P et C-242/91P [Magill TV Guide]. Rec. I-782 § 122 in fine. Dans ses remarques liminaires, l'avocat général exposait le nœud de son raisonnement: «il y a de bonnes raisons de contester le droit des organismes de télédiffusion d'empêcher par le biais de leurs droits d'auteur sur leurs grilles de programmes, la publication de guides TV généraux hebdomadaires. Les intérêts liés au droit d'auteur qui sont ainsi protégés ne nous paraissent pas susceptibles d'être considérés comme importants […] Cela ne revient toutefois pas à dire que cette solution concrètement raisonnable, peut être obtenue par le biais de décisions adoptées par la Commission sur la base de l'article 86».

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et œuvre couverte par le droit d'auteur est inopérante. La titularité de droits de propriété intellectuelle ne permet pas d'exclure l'existence d'un abus de position dominante258.

109. Appréciation. Le résultat de l'affaire SUBSTANTIFIQUE MOELLE apparaît conforme à la jurisprudence MAGILL. Il était effectivement nécessaire de tenir compte du fait que les informations brutes en cause n'étaient pas dignes de protection au titre du droit d'auteur, encore que cette circonstance n'influe pas sur la qualification d'abus de position dominante. Une critique marginale de la motivation conduirait à estimer que – formellement – la distinction entre informations brutes indignes de protection et œuvres protégées ne devrait jouer qu'au stade de la justification du refus de licence.

Ce raisonnement transposé dans l'affaire de la SUBSTANTIFIQUE MOELLE revient à se demander si les extraits résumés d'une œuvre classique méritent protection. Comme l'on souligné les juges du Tribunal de Commerce, « les enregistrements fixés sur phonogrammes ne sont pas de simples enregistrements en l'état, mais sont le fruit d'un long travail préparatoire ». En conclusion, malgré des critiques marginales sur la formulation adoptée par le Tribunal, il est remarquable de constater que la décision rendue par les juges du commerce est techniquement conforme aux critères posés par la jurisprudence communautaire. Mieux, le soin pris par les juges pour distinguer l'espèce qui leur était soumise, de celle en cause dans l'affaire MAGILL, manifeste - a contrario - l'autorité de la Cour de Justice. L'insuccès de l'action résulte dans ce cas de l'application orthodoxe des règles dégagées par les autorités de concurrence et la juridiction communautaire dans le cadre de la théorie des infrastructures essentielles.

b) Fuite du contentieux vers des qualifications de substitution

258 La solution est identique en matière de libre-circulation des marchandises. V. CJCE 23 mai 1978. Hoffmann- La Roche & Co. AG contre Centrafarm Vertriebsgesellschaft Pharmazeutischer Erzeugnisse mbH. Affaire 102/77. Rec. p. 1139. « est justifiée, au sens de l'article 36, première phrase, du traité CEE, l'opposition par le

titulaire d'un droit de marque, protégé dans deux États membres à la fois, à ce qu'un produit, licitement pourvu de la marque dans un de ces États, soit mis sur le marché dans l'autre État membre, après avoir été reconditionné dans un nouvel emballage sur lequel la marque a été apposée par un tiers; constitue, cependant, une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres au sens de l'article 36, deuxième phrase, du traité, une telle opposition, s'il est établi que l'utilisation du droit de marque par le titulaire, compte tenu du système de commercialisation appliqué par celui-ci, contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres; s'il est démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit; si le titulaire de la marque est averti préalablement de la mise en vente du produit reconditionné; et s'il est indiqué sur le nouvel emballage par qui le produit a été reconditionné. Dans la mesure où l'exercice du droit de marque est légitime d'après les dispositions de l'article 36 du traité, cet exercice n'est pas contraire à l'article 86 du traité pour le seul motif qu'il est le fait d'une entreprise qui détient une position dominante sur le marché si le droit de marque n'a pas été utilisé comme instrument de l'exploitation abusive d'une telle position ».

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110. Affaire EDIPOST. Un premier jugement EDIPOST offre une apparence de succès.

Dans cette affaire, diverses sociétés de routage se plaignaient de ne pas pouvoir bénéficier des remises commerciales consenties par la Poste proportionnellement au chiffre d'affaires généré. Le routage postal est une solution de marketing direct pour les entreprises désirant distribuer une publicité personnalisée à leur clientèle cible. Le routage consiste en l'acheminement du message à son destinataire. Les sociétés spécialisées dans le routage vont effectuer le tri postal, en lieu et place de la Poste qui se charge uniquement de la livraison effective. En pratique, c'est l'entreprise de routage qui réalise l'affranchissement postal, qu'elle facture ensuite au client. L'action en réparation des sociétés de routage visait en réalité à obtenir l'application d'un affranchissement préférentiel, améliorant leur compétitivité à l'égard de leurs clients. Les entreprises de routage prétendaient en fait à ce que le montant de l'affranchissement soit déterminé par référence au volume global d'envoi, et non individuellement pour chaque client.

La motivation du jugement apparaît contradictoire. D'une part, le Tribunal de Commerce constate que « le comportement de [La Poste] ne peut avoir un effet anti-concurrentiel » afin d'écarter l'applicabilité de l'article L442-6 Code de commerce, pour se placer sur le terrain de l'article 1382 Code civil, au motif que « les clients de la Poste et les entreprises de routage exercent leurs activités sur le marché de l'acheminement du courrier et sur le marché du routage, que ce sont deux marchés distincts et qu'ils ne peuvent en conséquence être en situation principale de concurrence directe ». Mais d'autre part, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, les juges retiennent que

« les entreprises de routage ont subi un préjudice du fait de la distorsion dans la

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