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les entreprises de routage ont subi un préjudice du fait de la distorsion dans la concurrence causée par l'absence de remises commerciales [et que] cette pratique anti-

concurrentielle a causé un manque à gagner pour les clients émetteurs d'envois

postaux »

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En définitive, le raisonnement sur le terrain de l'article 1382 et le raisonnement sur le terrain de l'article L420-2 tendent vers des qualifications voisines. Il s'agit de démontrer la faute dans le premier cas, et l'abus de position dominante dans le second. Pour cette raison, ce jugement peut être comptabilisé comme un résultat positif en matière de position dominante, encore que l'aspect concurrentiel soit implicite et sous-jacent. Malgré une qualification délictuelle, volontairement abstraite du droit spécial de l'abus de position dominante, la faute retenue réside effectivement dans une pratique qualifiée d'anticoncurrentielle. La motivation retenue par les juges du fond trahit un certain malaise, un tropisme tendant à éviter l'embarras de la preuve de l'abus de position dominante. Les

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demanderesses invoquaient un traitement discriminatoire et demandaient réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil. Le raisonnement se place sur le seul terrain de la responsabilité délictuelle, sans que le comportement fautif soit qualifié au regard de l'interdiction de l'abus de position dominante. Cette stratégie est révélatrice de la difficulté probatoire en matière d'abus de position dominante. Plutôt que de se placer sur le terrain de l'article L420-2 Code de commerce – ce qui semblerait naturel s'agissant d'une discrimination abusive par un opérateur historique en situation de monopole – les demanderesses préfèrent déspécialiser le litige et rester sur le terrain du droit commun de la responsabilité délictuelle, plus familier aux juges de commerce.

111. Affaire YVES ROCHER. Stratégie payante visiblement, puisque dans une affaire ultérieure similaire concernant les tarifs appliqués par La Poste en matière de marketing direct, la demande formulée sur le terrain de l'abus de position dominante a été rejetée. La société Laboratoires Yves Rocher demandait réparation d'un abus de position dominante résultant d'une discrimination tarifaire. Les juges admettent que « la pratique de prix excessifs par un opérateur en situation de monopole, c'est-à-dire leur montant exagéré par rapport à la valeur économique de la prestation fournie, peut caractériser un abus de positions dominantes si elles ont un effet d’éviction »260. Mais l'action

échoue faute pour la demanderesse de « démontrer en quoi la constatation de différences de taux de remises quantitatives, entre celles applicables au secteur réservé et celles applicables au secteur non réservé, au - delà du seuil de 30 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel dans ce secteur, caractériseraient le caractère excessif des prix nets de remise dans le secteur réservé ». La Poste est préservée par son monopole légal dans la mesure où, selon les juges, « la preuve par comparaison n’est recevable qu’entre des situations de marchés équivalentes ce qui n’est pas le cas entre des services sous monopole et les autres ». Succès très relatif dans la mesure où EDIPOST réclamait 100 millions d'euros de dommages- intérêts et n'a obtenu que trois cent vingt mille euros, soit 0,32% de la somme réclamée. En conséquence, il est possible de retenir un taux brut d'efficacité de 3,22% (correspondant à une action victorieuse sur un total de 31 actions), et un taux net d'efficacité de 0,32%, si l'on tient compte de la dévaluation des dommages et intérêts obtenus au regard du montant demandé. Il conviendrait encore de nuancer le constat, dès lors que le jugement EDIPOST peut difficilement être mis au crédit des actions indépendantes en matière d'abus de position dominante, dans la mesure où la demanderesse n'invoquait ni l'article L420-2 ni l'article 102 et n'alléguait pas l'existence d'un abus de position dominante.

260 Tribunal de Commerce de Paris (2ème ch.), 18 novembre 2008, SA LABORATOIRES DE BIOLOGIE VEGETALE YVES ROCHER c. La Poste. RG n° 2007038218.

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112. Déconcurrentialisation. Il est possible de discerner une tendance générale à

l'évitement du terrain concurrentiel au profit de qualifications plus banales. Cette tendance manifeste la volonté de ne pas empiéter sur le domaine réservé des autorités de concurrence. Une des meilleures illustration de la déconcurrentialisation des affaires portées devant le juge judiciaire réside dans l'affaire Orange Foot261.

113. Affaire Orange Foot Triple Play. Orange a acquis en 2008 l'exclusivité sur 3 lots des

matches de football de Ligue 1 notamment, la rencontre du samedi soir, pour un montant annuel de 203 millions d'euros pendant 3 ans. Afin de rentabiliser l'investissement, Orange avait décidé de subordonner l'accès à sa chaîne sport à la souscription d'un abonnement internet haut-débit. Les fournisseurs d'accès (FAI) concurrents Neuf Cegetel et Free ont alors assigné Orange devant le Tribunal de Commerce de Paris afin de pouvoir obtenir la commercialisation de l'offre Orange Foot auprès de leurs propres clients. Plutôt que de se placer sur le terrain de l'abus de position dominante, les FAI ont attaqué l'offre Orange Triple Play au titre de l'article L122-1 du Code de la Consommation qui interdit « de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ». Le Tribunal de Commerce a fait droit à la demande et enjoint sous astreinte à Orange « de cesser de subordonner l'abonnement à Orange Foot à la souscription d'un abonnement internet haut débit Orange ».

c) L'abus admis: affaire Google Maps

114. Des perspectives d'évolution se font jour devant la 15ème chambre du Tribunal de

Commerce de Paris qui a spectaculairement admis l'existence d'un abus de position dominante dans le cadre d'une action indépendante en réparation engagée contre Google par jugement du 31 janvier 2012. Il est d'ailleurs difficile de considérer qu'il s'agissait d'une action purement indépendante, dans la mesure où le demandeur a pu - par un cas fortuit – appuyer son action sur un avis de l'Autorité de la concurrence intervenu après l'assignation, qui donnait du crédit à son allégation d'abus de position dominante.

115. Les juges consulaires procèdent à une caractérisation extrêmement motivée de l'abus, et

l'inscrivent dans la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence et de la Cour de cassation.

261 Tribunal de Commerce de Paris, 23 février 2009, SAS Free et SA Neuf Cegetel c. SA France Telecom ("Orange Foot"). RG n° J2008006957.

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« Attendu que le prix de vente (égal à zéro) du module de cartographie des sociétés

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