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Une redéfinition des politiques en faveur des industries culturelles

Le thème de la créativité introduit une rupture entre les politiques en faveur des industries culturelles et celles en direction des « industries créatives ». Kate Oakley (2009) considère que les théories de Florida ont joué un rôle important, en dissociant la question de la créativité et celle des industries culturelles. La notion de classe créative a contribué à déplacer le centre d’intérêt de la création culturelle à l’innovation, en mettant l’accent sur les « territoires créatifs » et l’ « économie créative » (Bouquillion, 2012b : 245). En effet, pour Florida les activités culturelles permettent d’attirer les « classes créatives » sur un territoire, dont la capacité à

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innover alimente l’ « économie créative ». L’intervention publique en faveur des « industries créatives » se limite alors à la création de conditions favorables pour la rencontre entre la création, l’innovation et le marché. Une rupture apparaît donc clairement avec les politiques de régulation ou de soutien de la production industrielle de biens culturels.

Philippe Bouquillion (2012b : 246-249) questionne les rapports entre les deux types de politiques, en se demandant si l’intervention publique en faveur des industries créatives correspond à un alignement des politiques en direction des industries culturelles sur les politiques classiques de soutien à l’industrie. Plus précisément, il s’agit d’inscrire l’action culturelle dans le champ d’intervention des ministères non spécialisés, en particulier les ministères de l’Industrie et de la Recherche. Un second objectif est de mettre en avant le rôle du secteur bancaire dans les financements des industries créatives. Plusieurs rapports européens recommandent aux pouvoirs publics d’adopter des mesures pour adapter ces industries aux cadres d’intervention publique non spécialisée dans la culture et aux mécanismes marchands communs. Trois dispositifs d’action sont préconisés. Les pouvoirs publics devraient favoriser le développement de stratégies de communication des acteurs des « industries créatives », afin de sensibiliser les autres acteurs économiques à leurs potentialités notamment en termes d’innovation. Ensuite, les auteurs conseillent d’introduire de nouveaux modèles économiques, pour résoudre les difficultés chroniques à lever des fonds. Les systèmes de garantie d’emprunt sont mis en avant, sans citer les dispositifs mis en place par Jack Lang dans les années 1980, à l’instar des garanties de l’institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles. Enfin, les industries créatives devraient avoir accès aux dispositifs publics d’aide à la recherche. Ces industriels éprouveraient des difficultés à accéder aux systèmes comme au soutien public, à cause d’une soft innovation centrée sur des processus et des produits, ne pouvant être l’objet de dépôts de brevets. Bernard Miège (2012 : 266) définit la proposition de fondre les politiques culturelles dans les dispositifs des politiques industrielles comme un enjeu de la thématique des industries créatives. Bernard Miège souligne aussi le caractère libéral de cette préconisation, qui est une conséquence de la libéralisation et marchandisation des domaines « créatifs ». Outre l’alignement des politiques, Bouquillion (2012b : 243) présente deux autres préconisations des promoteurs de l’économie et des industries créatives. L’intervention publique doit favoriser une orientation plus marchande des activités culturelles et étendre les droits de la propriété intellectuelle vers de nouveaux secteurs.

1.3.5. Une continuité entre la télématique et le numérique

Un changement décrit par les grands projets est la tertiarisation de l’économie, entendue comme la croissance du secteur des services qui se substitue au secteur manufacturier

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comme lieu principal de concentration de main d’œuvre (Tremblay, 2008). Cette mutation apparaît problématique dans la mesure où la production de service est plus difficilement industrialisable que la production de biens. Comme la « société de l’information », l’ « économie créative » construit une réponse à ce problème à partir des Tics. Dans une perspective postfordiste, les Tic permettraient une industrialisation des services, par la prise en charge du traitement de l’information par des moyens informatiques. Ce mouvement d’industrialisation est déterminant pour l’emploi et la production des richesses, aux vues du poids des services dans les économies contemporaines et particulièrement dans les anciens pays industriels. Les services peu mécanisables ont longtemps été conçus comme un facteur de baisse de la productivité de l’ensemble de l’économie. Dans ce contexte, les Tic sont présentés comme la source d’une nouvelle dynamique économique. L’articulation des Tic et des industries créatives apparaît alors comme l’enjeu du développement économique (Bouquillion, 2012a : 37). En outre, dans la continuité de la « société de l’information », les Tics sont pensées en lien avec les territoires. Elles participeraient à une décentralisation des activités, une plus grande participation à la démocratie locale et un aménagement numérique du territoire. Ces discours se situent dans la continuité du Rapport Nora-Minc ou des Livres blancs de la Commission européenne (Bouquillion et Pailliart, 2006). Nous développerons davantage cet aspect dans le point sur la « ville participative ».

D’autres rapports sont établis entre les Tics et la notion d’ « industries créatives ». La technologie numérique est présentée comme une mutation modifiant la production des biens culturels, décrite par la notion d’ « industries créatives ». Mais, Bernard Miège (2007) montre que les changements associés aux « industries créatives » ne sont pas causés uniquement par la technique. Les acteurs économiques cherchent à développer d’autres formes de valorisation pour générer davantage de bénéfices. Il ne s’agit pas pour autant d’un nouveau mode de production, puisque les « industries créatives » ont un fonctionnement capitaliste. Comme nous l’avons vu précédemment, les Tics et les systèmes d’information permettraient des modèles d’organisation de la production plus décentralisés. La dématérialisation des activités permettrait à une multitude d’acteurs atomisés de se coordonner et de créer de la valeur sur les réseaux numériques (Bouquillion, 2012a). Ces discours sur les travailleurs créatifs se situent dans la continuité des discours de la « société de l’information » sur le télétravail. D’après le Department for Culture, Media and Sport, les industries créatives pourraient avoir des effets bénéfiques indirects sur d’autres secteurs économiques, grâce au développement de l’économie numérique et d’Internet (Bouquillion, 2012a : 9). Les Tic permettraient donc l’émergence de l’ « économie créative », entendue comme l’ensemble des « externalités » des industries créatives. Selon le Livre vert « Libérer le potentiel des industries culturelles et créatives », les industries créatives aurait pour moteur la numérisation, au même

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titre que la mondialisation. Les Tic se voient attribuer un rôle essentiel dans l’inscription socioéconomique des « industries créatives ».

1.3.6. Les « sociétés post-modernes » : la vie culturelle et l’éducation

La « société de l’information » se présente comme l’aboutissement d’une évolution socio-culturelle, qui fait se succéder « les sociétés primitives fondées sur le mythe, les sociétés traditionnelles basées sur la tradition, les sociétés modernes érigées sur des principes de rationalité et les sociétés post-modernes qui reposent sur la relativité des systèmes de valeurs » (Tremblay, 2008 : 74). L’ « économie créative » semble partager l’idée de relativité des systèmes de valeurs. Cela est perceptible notamment à travers l’importance accordée à la notion de tolérance. Selon Florida, la tolérance est un des piliers du climat de la ville créative. La tolérance d’une ville est évaluée par trois indicateurs. Le Bohemian index correspond à la proportion d’individus appartenant à des professions artistiques et culturelles. Le Foreign-born index mesure la tolérance à la diversité culturelle, en comptabilisant la proportion d’individus nés à l’étranger. Le Gay index estime la proportion d’individus homosexuels. Le raisonnement suivant guide l’usage de ces indicateurs : plus la proportion des trois populations est importante, plus le climat est tolérant. Pour Florida, ces trois indicateurs de la tolérance constituent également des variables explicatives de la localisation du talent aux Etats-Unis, à l’origine de la créativité et de l’innovation. Il résume son approche par les « 3T », à savoir Talent, Technology, Tolerance.