• Aucun résultat trouvé

Conclusion du chapitre

2. Une mission d’éducation des publics

Dans les années 1980, une nouvelle mission d’éducation des publics va contribuer à la croissance des expositions temporaires. Elle trouve son origine dans une idéologie diffusée notamment par l’Icom. Celle-ci soutient que le musée doit continuer à remplir ses trois fonctions de « conservation du patrimoine, de mise en valeur des collections et de développement des repères identitaires pour son public » (Caillet, Lehalle, 1995 : 28). Mais ce discours innovateur cherche à concilier les fonctions de conservation et de diffusion dans l’objectif de plus en plus explicite d’éducation des publics. Le musée se constitue alors en lieu

169

d’éducation non formelle, opposée à l’éducation formelle et obligatoire de l’Ecole (Caillet, Lehalle, 1995 : 28-29). La nouvelle mission d’éducation des publics va contribuer à la croissance des expositions temporaires et à la création de nouveaux métiers. Elle va aussi conduire les nouveaux services d’action culturelle à utiliser des dispositifs audiovisuels pour apporter des informations et rendre le visiteur plus actif. Ces moyens manifestent la proximité entre le propos grand public et le propos didactique, dans l’objectif de contribuer aux loisirs en transmettant des connaissances (Caillet, Lehalle, 1995 : 114-115). L’éducation non formelle prend alors la forme d’un loisir studieux, se fondant sur la muséographie et les modes de présentation. Ces techniques de monstration sont à l’œuvre dans les expositions « arts-sciences », comme nous le verrons dans le dernier chapitre. En termes de mutations sociales, Caillet et Lehalle notent ici l’influence de la partition entre travail et loisirs, ainsi que celle de l’allongement de la durée de formation, caractéristiques des sociétés de consommation depuis les années 1960.

2.1. La distinction entre éducation formelle et éducation non formelle

Dès les années 1990, Schiele et Jacobi (1991) proposent de distinguer la vulgarisation scientifique du champ scolaire, en employant la distinction entre éducation non formelle et éducation formelle. Le concept anglo-saxon d’informal education est traduit pour souligner qu’il existe diverses sources d’acculturation dans la société moderne. Plus précisément, il désigne « toutes les interventions à caractère éducatif qui sont mises en œuvre par des institutions ou des acteurs autres que l’appareil scolaire officiel » (Jacobi, 2001 : 3). L’éducation non formelle choisit ses contenus, ses méthodes et ses objectifs en dehors des contraintes d’un programme. Dans le cas des institutions muséales, l’éducation non formelle organise ses activités en fonction de sa collection ou des expositions. L’éducation formelle s’adresse à un public captif, structuré en fonction de l’âge, organisé en groupe pour au moins un an. A l’inverse, l’éducation non formelle vise un public non captif et passager, composé de tous les groupes d’âges sans distinction de formation, individuel ou organisé en petit groupe préexistant ou non. L’éducation formelle fonde ses activités sur le livre et la parole, alors que l’éducation non formelle privilégie l’objet et l’observation (Allard et al., 1995). Cependant, Meunier et Luckerhoff (2010) précise que les frontières entre l’éducation formelle et l’éducation informelle sont poreuses. Le cas des expositions « arts-sciences » illustre cette remarque. Une part importante des publics des institutions de CSTI sont les scolaires. Les méthodes et les stratégies de l’éducation non formelle sont conçues en fonction de l’éducation formelle.

170

2.2. Les rapports entre l’éducation formelle et l’éducation non formelle dans les

expositions « arts-sciences »

Ce rapport apparaît dans le contexte de deux problèmes soulevés par l’approche « arts-sciences ». Le médiateur du S[Cube] évoque une limite des approches « transdisciplinaires » au sujet des expositions itinérantes dans les établissements scolaires. Les collèges et les lycées éprouvent des difficultés à s’approprier une exposition qui n’entre pas précisément dans leur programme. Pour pallier cette difficulté, l’institution axe son discours sur une discipline, même si l’exposition est interdisciplinaire. Le médiateur cite l’exemple d’une exposition sur les ondes :

Alors que si tu vas leur parler des ondes et tu vas leur dire tu vas comprendre comment se propage une onde et ainsi de suite dans cette expo, et ben ils vont te la prendre parce que c’est très précis par rapport à leur programme, alors que dedans tu as un gros aspect historique, un gros aspect artistique, tu as un aspect de perception qui est très important et de jeu qui est très important. (Entretien D1, R22)

La chargée de projet de la Casemate évoque une difficulté similaire avec l’exposition de Laurent Mulot. Son succès a été limité avec les publics scolaires, contrairement au « grand public ». Kissia Ravanel explique que les enseignants se mobilisent difficilement pour une exposition transversale au programme scolaire. Pour éviter ce phénomène, la Casemate publie un guide qui propose des pistes d’exploitation de l’exposition par discipline (entretien C4, R16). Kissia Ravanel évoque une seconde limite liée aux différences entre les expositions artistiques et scientifiques. Laurent Mulot a souhaité produire une exposition conforme aux règles des centres d’art contemporain, où le dispositif de médiation est réduit aux cartels et à une plaquette. Mais, les publics de la CSTI sont habitués à une signalétique explicative. Pour satisfaire les deux attentes, un espace de médiation a été construit en dehors de l’espace d’exposition et des tubes ont été mis à disposition du public. L’œuvre n°3 est composée de douze spécimens conservés dans des bocaux de formol. L’intention de l’artiste est de restituer une partie de la mémoire de ces spécimens, en les resituant géographiquement et en reconstituant leur environnement sonore. Mais, les acteurs de la CSTI ont voulu préciser le nom des spécimens, à défaut d’explications plus détaillées. La photographie et le nom des spécimens ont été imprimés sur des tubes jaunes d’environ un mètre. Ces tubes présentent un aspect ludique, puisque les visiteurs observés les utilisaient pour amplifier les échos diffusés dans l’espace d’exposition.

171

Photographie de l’ensemble aux douze bocaux78

Le développement des expositions « arts-sciences » peut être affilié à une stratégie relationnelle entre l’école et le musée, définie par Caillet et Lehalle (1995) dans le contexte de l’émergence de la mission d’éducation non formelle. Il s’agit de la stratégie du « contre-pied permanent », qui consiste à ne pas isoler les œuvres d’art, en favorisant les expositions thématiques et non les musées monographiques. Elle cherche à mêler les disciplines scolaires, pour conférer aux œuvres d’art une valeur aussi forte que celle des savoirs scientifiques davantage valorisés. Elle est opposée à une seconde stratégie du « supplément d’âme », qui attribue une fonction complémentaire au musée. L’école doit alors susciter l’envie des musées d’art qui exposent parfois les sciences, les techniques et la mémoire. Dans ce cadre, celles-ci sont uniquement montrées sous la figure de la nostalgie au moyen de reconstitutions spectaculaires. Il est à noter que la stratégie du contre-pied permanent soulevait des interrogations sur la création d’une troisième voie entre les musées d’art et les musées scientifiques et techniques. Ces questions sont de nouveaux posées dans le cadre des projets « arts-sciences ». D’un côté, les acteurs se demandent comment développer une démarche complémentaire et non une instrumentalisation réciproque, pour éviter de réduire l’œuvre d’art à un dispositif de médiation scientifique et la science à un prétexte de financement. D’un autre côté, comment susciter un désir de « culture globale » sans renforcer l’opposition préexistante entre art et science ni susciter une confusion sur ces activités ? Enfin, nous pouvons remarquer que le cloisonnement disciplinaire des collèges et lycées est en décalage avec les préconisations européennes. Nous avons vu dans le premier chapitre que l’ « économie créative » favorise une approche par compétence, qui est transversale aux programmes disciplinaires. Selon ces discours, les institutions culturelles doivent construire des partenariats systématiques avec l’Ecole pour développer la créativité des élèves. Les institutions de CSTI suivent les injonctions de l’ « économie créative » avec les expositions

172

« arts-sciences » ou « transdisciplinaires », contrairement à l’Ecole où la discipline a une fonction structurante.

3. Les mutations organisationnelles : médiateur culturel, scénographe et