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Les Maisons de la culture

1.2. Le développement culturel : Dicréam et Scan

Le soutien public aux projets « arts-sciences » repose en partie sur l’action du Dicréam au niveau national et du fonds Scan50 en Rhône-Alpes. Ces deux dispositifs s’inscrivent dans des logiques de transversalité et de décentralisation, héritées de la notion de développement culturel. Le Dicréam a une fonction transversale entre les directions du Ministère, à l’instar de la Direction du développement culturel. Le fonds de la Région Rhône-Alpes est issu de la décentralisation culturelle. Nous présentons d’abord le modèle du développement culturel, puis la Direction du développement culturel. L’intervention du Dicréam et du fonds Scan dans les projets « arts-sciences » est ensuite exposée. Enfin, nous nous intéressons au soutien des collectivités sur Paris-Saclay, qui s’inscrit dans le cadre d’une politique culturelle décentralisée mais non transversale.

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1.2.1. Le modèle du développement culturel

Durant les années 1970, le modèle de l’action culturelle sera déstabilisé d’un point de vue administratif et institutionnel. Lors de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, la réduction progressive des moyens financiers par le blocage des budgets a contribué à l’affaiblir. A partir de 1974, une logique libérale est introduite. Elle va renforcer le désengagement financier de l’Etat, dont la politique va accorder la priorité au patrimoine. Selon Philippe Poirrier (2010), le primat de la logique libérale durant cette période va affaiblir les missions de service public du Ministère. Les discours sur la décentralisation ont réduit l’action culturelle à l’animation ; et les enjeux d’élargissement des publics, de sensibilisation aux pratiques artistiques ou encore de prise en compte des inégalités sociales ont été attribués aux artistes, devenus des « créateurs » (Caune, 2006). Face à la crise de ce modèle, la philosophie du développement culturel est adoptée par le Ministère. Celle-ci a un caractère composite et connaît des variantes portées par trois groupes. Il s’agit de la génération des pionniers de l’administration centrale, de la génération d’énarques au Ministère après 1968, ainsi que de Jacques Duhamel et son directeur de cabinet Jacques Rigaud à l’origine de la doctrine officielle du Ministère entre 1971 et 1973. Selon Urfalino, l’unité de la notion de développement culturel réside dans le sentiment d’échec de la démocratisation par facilitation de l’accès aux œuvres et dans l’abandon de l’affirmation de l’universalité française. Le développement culturel marque aussi la fin de la place centrale de la décentralisation culturelle dans l’action du Ministère.

Jacques Duhamel arrive au ministère de la Culture alors que le VIe Plan de modernisation économique et sociale a déjà été préparé. La commission des Affaires Culturelles du Plan défini la culture comme un moyen d’autonomie individuelle, condition de la relation avec l’autre et donc d’une maîtrise du destin collectif. La commission prône une politique culturelle inspirée de la ligne démocratique, héritée de la Révolution et revitalisée par l’éducation populaire et Mai 68. Elle rompt avec la ligne davantage monarchique d’André Malraux, où l’offre culturelle est descendante et réservée à une minorité de privilégiés. Augustin Girard (2004) montre que la démarche de Jacques Duhamel et de ses successeurs est transversale, contractuelle, déconcentrée et d’ouverture. L’action du Ministère n’est plus seulement une politique de l’offre artistique, elle vise à insérer la culture au cœur de la société. Les démarches culturelles ne doivent donc plus relever uniquement du ministère de la Culture. Ce nouvel objectif implique la mise en œuvre de méthodes différentes. Les actions sont transversales, dans la mesure où elles doivent être interministérielles, inter-directionnelles et interdisciplinaires. La démarche se veut également contractuelle, puisque le partenariat et le contrat sont privilégiés à l’action directe de l’administration et aux subventions. Les actions sont aussi concertées avec les collectivités locales et les associations. Des « chartes culturelles » sont signées en province avec les régions et les villes. Ces contrats entre l’Etat et les territoires seront reprise et

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développé par Jack Lang sous le nom de « conventions de développement culturel ». Augustin Girard affirme que Duhamel a une démarche d’ouverture à trois niveaux : le patrimoine culturel avec une extension des monuments historiques conservés et une systématisation des visites ; la création plastique avec l’invention de l’aide à la première exposition et une application du 1% artistique à l’ensemble des bâtiments de l’Etat construits ; les partenariats avec l’association d’artistes, de professionnels et d’intellectuels au choix des orientations.

1.2.2. La Direction du développement culturel

Après le départ de Jacques Duhamel en 1973, le thème du développement culturel n’est pas repris par les ministres jusqu’en 1981, même si leurs actions se situent dans la continuité de celle de Jacques Duhamel. Ses idées restent également dominantes au sein l’administration centrale, mais aussi chez les responsables d’équipement et les élus locaux. Cette notion a permis un compromis entre les opposants du débat animation/création et de mai 68, dans le cadre de la ville et non plus de la Maison de la culture. Elle sera reprise par la Direction du développement culturel (DDC), créée en 1982 et confiée à Dominique Wallon (Urfalino, 2004). La DDC assume deux missions principales. D’une part, elle est chargée de la décentralisation culturelle et des relations entre le Ministère et les collectivités locales. D’autre part, elle doit réformer les établissements culturels issus de la décentralisation de Malraux. La création de la DDC correspond à la réalisation d’un projet datant d’avant 1968, c’est-à-dire la mise en place d’une Direction de l’action culturelle, sans spécialisation artistique, dont le rôle est de coordonner horizontalement les directions sectorielles.  De 1982 à 1984, la DDC parut exercer sa vocation horizontale grâce à la procédure des « conventions culturelles », mais aussi des conventions régionales de développement culturel dont le financement relevait d’un fonds spécial. Mais dès 1984, cette double fonction d’interface entre le Ministère et les collectivités locales, ainsi qu’entre les directions, prit fin avec les contrats de plan. En effet, le ministère de l’Intérieur a veillé à ce que la DDC ne puisse intervenir dans la négociation du volet culturel des contrats de plan. De plus, le financement des contrats par chaque direction a eu pour conséquence la diminution de la capacité d’intégration de la DDC. En 1986, la DDC était presque devenue une direction sectorielle en charge du réseau des établissements culturels. L’alliance entre l’administration centrale et les directeurs d’établissements, aux dépens des élus et des associations représentatives, a été renforcée par la division des responsables d’établissements, le peu d’intérêt du Ministre pour eux, et la municipalisation de certaines Maisons de la culture suite aux élections municipales de 1983. La DDC est supprimée par François Léotard sous la présidence de Jacques Chirac. Mais, selon Latarjet (1992), elle avait été vidée de son contenu, dans la mesure où le Ministère était celui des artistes et la culture dans sa dimension sociale et identitaire était traitée au niveau local. Cet état de fait montre l’achèvement de la décentralisation culturelle (Urfalino, 2004).

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1.2.3. L’action du Dicréam et du fonds Scan en Rhône-Alpes

De nombreux projets « arts-sciences » sont soutenus par le Dicréam. Il s’agit de spectacles interdisciplinaires, utilisant des technologies. Sur notre terrain, ces œuvres sont majoritairement celles diffusées par le théâtre Hexagone. Fourmentraux associe le développement des pratiques de « recherche-création » à un renouvellement de l’appareil d’action culturelle. Il cite la création du Dicréam comme une mesure participant à la mise en œuvre d’ « une nouvelle politique de convergence de domaines jusque-là distingués par les instances décisionnaires d'homologation et de valorisation des arts » (Fourmentraux, 2011 : 16). En 2001, face à la nature pluridisciplinaire des arts numériques, le ministère de la Culture met en place une structure interdirectionnelle, gérée par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Le Dicréam assure la coopération entre les huit grandes directions du ministère de la Culture, dans la lignée de la Direction du développement culturel. Le Dicréam est aussi « un dispositif de financement spécifique visant à soutenir le développement, la production et la diffusion d'œuvres novatrices ou expérimentales dans le domaine de la création artistique multimédia et numérique »51. Les projets artistiques caractérisés par un contenu pluridisciplinaire et l’usage de techniques numériques, sont éligibles à trois types d’aides financières, à savoir l’aide à la maquette, à la réalisation et aux manifestations collectives. Avec un budget annuel moyen de 1,3 million d’euros, cette disposition favorise au niveau national le développement de partenariat entre des artistes de différentes disciplines et des informaticiens, dans des perspectives d’expérimentation et d’innovation artistique (Fourmentraux, 2011). Certains projets « arts-sciences » sont aidés par le fonds Scan de la Région Rhône-Alpes. Ce type de mesures régionales s’inscrit dans la continuité de la décentralisation. Ce fonds a été créé en 2011 par la Région Rhône-Alpes, dans le cadre de sa politique Culture et numérique. Il a été rejoint par la Drac Rhône-Alpes en 2012 et il a été étendu à l’Auvergne en 2016. Il a pour objectif de soutenir des créations artistiques de préférence pluridisciplinaires, faisant intervenir des technologies numériques et recourant à des compétences artistiques et informatiques. D’après la chargée de mission Culture et Numérique, les critères de sélection sont relativement ouverts, afin « d’aider des créations qui sont des créations un peu innovantes, un peu contemporaines » (entretien A1, R29). Le fonds Scan cible les étapes de recherche comme les étapes de réalisation. La chargée de mission précise que le lien avec le public est un critère de sélection. Le projet de création doit aboutir dans « des représentations ou une démonstration » (entretien A1, R29).Le type de pratiques

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soutenues est similaire à celui du Dicréam. Cela explique que les projets soutenus par le Scan soient majoritairement diffusés par l’Hexagone.

1.2.4. L’action culturelle à Paris-Saclay

Sur notre terrain de Paris-Saclay, les collectivités locales soutiennent les projets « arts-sciences », parce qu’ils relèvent d’une discipline artistique particulière. Ce soutien s’inscrit dans le cadre d’une politique culturelle décentralisée mais pas transversale. Le conseil départemental de l’Essonne soutient le festival « arts-sciences » organisé par le Collectif pour la culture en Essonne. Son aide s’inscrit dans une politique de soutien aux arts numériques et aux arts plastiques. Son action culturelle comporte trois autres types de mesure. Le département soutient le Centre d'art contemporain de Brétigny-sur-Orge et l'Espace d'art contemporain de Juvisy-sur-Orge. Par le biais des contrats de développement culturel, il permet à des collectivités locales de mettre en place des projets. Des associations sont aussi soutenues quand leurs activités ont un rayonnement départemental52. L’aide à la biennale La Science de l’Art relève de la même logique que l’action du fonds Scan en Rhône-Alpes. Des projets « arts-sciences » peuvent bénéficier de soutien, parce qu’ils présentent une autre caractéristique. Ils appartiennent aux arts numériques en Rhône-Alpes, alors qu’ils relèvent des arts plastiques en Essonne.

La région Ile-de-France a aidé à la fois le festival du Collectif pour la culture en Essonne et une résidence d’Art Science Factory. Pour le Collectif, l’intervention de la région poursuit l’objectif de favoriser la création de réseau dans la grande couronne parisienne. L’organisation des acteurs culturels en réseau est présentée comme nécessaire à cause de la géographie particulière de ce territoire. Il est caractérisé par des grands bassins de vie et d’importantes disparités. Fédérer les acteurs culturels représente alors un moyen de lutter contre l’inégalité géographique d’accès à la culture53. Le soutien régional à la résidence de François Bon à l’Art Science Factory s’inscrit dans l’action culturelle en faveur de la littérature, par l’intermédiaire de la Maison des écrivains et de la littérature. L’objectif est de promouvoir la création littéraire auprès des habitants, en organisant notamment des rencontres avec les publics. Ces activités doivent représenter 30% du temps de la résidence, contre 70% dédié à l’écriture personnelle. Un ancrage territorial et une structure d’accueil sont aussi demandés. Le soutien à ce projet « arts-sciences » n’est pas spécifique à ce secteur, mais il relève d’une discipline artistique particulière. Enfin, nous avons déjà évoqué le soutien de la Délégation générale à la langue

52 http://www.essonne.fr/culture-sports-loisirs/politique-culturelle/arts-plastiques-et-numeriques/ - le 08/12/16

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française et aux langues de France au festival Sidération de l’Observatoire de l’espace, dans le cadre de l’opération Dis-moi dix mots, lors des 20 ans de la semaine de la langue française et de la francophone.

Pour conclure, nous pouvons souligner que le Dicréam et le Scan sont deux dispositifs à l’origine d’une injonction à la pluridisciplinarité et à l’usage des technologies numériques dans les arts. Ils soutiennent la création d’œuvres « arts-sciences », relevant des arts numériques. Ils contribuent à favoriser une définition technologique de la science.

1.3. Le « vitalisme culturel » : les partenariats entre les secteurs culturels et