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Les pôles de compétitivité : des clusters aux territoires

Le label de « ville créative des arts numériques »

Section 2. Les stratégies des pôles de compétitivité

3. Les pôles de compétitivité : des clusters aux territoires

De nombreux chercheurs ont interrogé les conditions spatiales et territoriales favorables à l’innovation et à la compétitivité. Depuis vingt ans, les économistes tentent de montrer l’importance du rôle du territoire et de la concentration spatiale, à travers les notions de district industriel (Marshall, 1890), milieux innovateurs, Système productif local, district technologique, technopole, et cluster (Porter, 1998). Ces formes relèvent de la même logique, mais elles diffèrent par la densité des interactions locales, la nature des externalités territoriales et le mode d’insertion dans l’économie globale. Dans cette perspective économique, le territoire manifeste des potentialités productives, actualisées par le développement local. Le « local » désigne ici « le territoire transformé en projet par les principaux acteurs du développement économique s’entendant sur une vision commune de ses ressources et de son futur » (Samson, 2009 : 393). Le local peut alors être considéré comme un nouveau paradigme productif, comme celui de la « cité-région » promu par l’ « économie créative ». Nous proposons ici une typologie des approches économiques du local. Ces notions économiques posent la question des rapports entre les territoires et les réseaux, qui seront traités dans un second temps.

3.1. Une typologie des approches économiques du local

Dès la fin du XIXe siècle, l’économiste anglais Alfred Marshall définit les « districts industriels » comme des réseaux de petites entreprises, qui s’allient pour mutualiser leurs moyens et développer des complémentarités sur un territoire, pour réaliser des économies d’échelle. Avec la crise des grandes entreprises dans les années 1970, les chercheurs

32 Depuis la loi du 13 août 2004, la Région peut demander à l’Etat l’autorisation d’élaborer un SDRE en concertation avec les départements, les communes et leur groupement, pour une durée de cinq ans. L’objectif est de « coordonner les actions de développement économique, promouvoir un développement économique équilibré de la région et développer l’attractivité de son territoire » (Barthet, Thoin, 2009 : 66).

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redécouvrent la notion de « district industriel », même si ce modèle d’organisation n’avait pas cessé d’exister empiriquement (Daviet, 2005). Aux modèles théoriques de la grande entreprise et du district industriel correspondent les notions sociales des industries créatives et de la ville créative.

Mais le « cluster » est la notion opératoire mobilisée majoritairement pour développer l’innovation à l’échelle territoriale. En effet, les travaux de Michael Porter ont été déterminants dans la promotion auprès des décideurs de l’aménagement d’agglomérations créatives, pour favoriser le développement économique dans une dimension territoriale. Le professeur et consultant américain souligne l’importance de la proximité géographique et des échanges entre les entreprises, les universités et les pouvoirs publics, dans la compétitivité et le développement des territoires. Porter assimile le « cluster » à une chaîne de valeur intégrée territorialement et soutenue par la coopération entre des entreprises et des centres de recherche. L’enjeu des politiques est alors de rassembler dans un même lieu des entreprises, des institutions publiques, des structures de formation et des laboratoires de recherche, pour favoriser l’émergence d’un « cluster » et la croissance d’une filière, selon le principe de la triple hélice des relations entre l’université, l’industrie et le gouvernement (Etzkowitz et Leydersdorff, 1997).

A la différence du « district industriel », le « cluster » est tourné vers l’innovation avec des entreprises fortement compétitives et généralement d’un même secteur. Mais, certains auteurs affirment que la diversité des activités « préserve le milieu créatif d’une sclérose et d’une entropie préjudiciable aux innovations et au développement », à l’inverse de l’hyper-spécialisation sectorielle (Liefooghe, 2015b : 234). Le cluster industriel est une forme plus lâche et moins ancrée socialement que le SPL. Il est également plus étendu, au sens où il relie le territoire aux chaînes de valeurs globales.

Au même titre que les « districts technologiques », les systèmes productifs locaux et les « milieux innovateurs » sont analysés comme des déclinaisons de la territorialisation des activités et de la mobilisation de la ressource locale (Gumuchian, Pecqueur, 2007), et particulièrement des effets d’agglomération (Courlet, 2008). L’étude des « milieux innovateurs » définit l’entreprise innovatrice comme le produit d’un environnement spécifique, capable d’intégrer des changements externes dans des dynamiques internes. Ce modèle se situe dans une perspective plus dynamique que celle des « districts industriels ». Il s’agit d’une configuration de petites et moyennes entreprises regroupées dans un espace autour d’un métier ou d’une spécialité.

Le SPL peut être considéré comme une forme générique, dont le district industriel et le milieu innovateur sont des formes spécifiques. Il présente deux caractéristiques principales :

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le marché et la réciprocité sont ses deux mécanismes de fonctionnement ; sa compétitivité repose sur la flexibilité productive et la capacité innovatrice. Les SPL se développent de manière spontanée, à l’opposé de la technopole issue de décisions politiques ou liée à des ressources naturelles. La technopole est un modèle générique, qui recoupe trois réalités : le district technologique, le parc technologique et le technopôle. Le district technologique est un district industriel avec une forte intensité de R&D. Il se distingue des deux autres notions, car il repose sur l’existence préalable d’atouts. Le parc technologique est une concentration d’entreprise high-tech sans effet de synergie. A l’inverse, le technopôle est caractérisé par la densité des échanges en ressources immatérielles et il catalyse des externalités de connaissance. Philippe Béraud et Franck Cormerais (2012) attribuent l’émergence de ces nouvelles approches à la combinaison des grilles de lecture de l’économie industrielle et de l’économie régionale.

A partir de cette typologie, Ivan Samson (2009) propose de définir Grenoble comme un « district rayonnant » (Markusen, 1996). Son pôle de compétitivité présente les caractéristiques d’un district technologique, mais ses activités sont inscrites dans des chaînes de valeurs globales. Sa dimension mondiale le distingue donc d’un district technologique et le rapproche du cluster. Cependant, il ne peut pas être qualifié de cluster car les connexions locales entre les grandes firmes et les petites entreprises sont trop hiérarchisées. Les petites entreprises peuvent entretenir des relations de coopération et avoir une identité locale forte. Les grandes entreprises entretiennent entre elles des relations de coopération et constituent l’interface avec l’économie globale. Il est difficile de classer Paris-Saclay puisque ce pôle est en voie d’aménagement. Nous pouvons signaler que les acteurs locaux le qualifient de « cluster scientifique ».

3.2. Les rapports entre les réseaux et les territoires en géographie

Dans les publications officielles comme dans les ouvrages scientifiques, les « pôles de compétitivité » et les « villes créatives » peuvent être présentés comme des réseaux ou des territoires. La coexistence des deux notions pose la question de leur rapport théorique. Les travaux de Joe Painter (2009) apportent une réponse en dressant une typologie des relations entre réseau et territoire établies par la géographie. Le chercheur présente quatre rapports. Premièrement, des auteurs anglophones affirment que les réseaux ont remplacé les territoires, soit au niveau empirique, soit au niveau conceptuel. Deuxièmement, certains auteurs soutiennent la thèse de la persistance des territoires, en réaction à la thèse de leur disparition au profit des réseaux. Les territoires auraient simplement évolués, soit à cause des mutations socioéconomiques, soit parce qu’ils sont de nature changeante. Un troisième courant de pensée envisage l’économie en termes de réseaux et la politique en termes de territoires. Les

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approches économiques exposées semblent s’inscrire dans cette perspective, puisqu’elles affirment l’existence de réseaux sur un territoire. Quatrièmement, d’autres auteurs affirment que le territoire est un type particulier de réseau. Les relations politiques et institutionnelles seraient elles-mêmes organisées en réseau. Quant à Joe Painter, il soutient que le territoire est un effet des réseaux.

Il distingue quatre acceptions du réseau en sciences sociales qu’il met en relation avec la notion de territoire. Premièrement, les territoires peuvent être considérés comme des nœuds dans les réseaux de transmission, soit les structures matérielles de la communication. Deuxièmement, ils peuvent être définis du point de vue de la densité des réseaux sociaux, à savoir comme une condensation d’interactions sociales. Troisièmement, les territoires sont des configurations d’objets en relation, dans la perspective de la théorie des réseaux d’acteurs, qui refuse la distinction entre les réseaux matériels et les réseaux sociaux. Quatrièmement, ils sont des espaces bornés par des frontières, avec la notion de réseaux topologiques, qui rend compte de la spatialité des réseaux d’acteurs. Ainsi, un territoire serait l’effet de l’ensemble des réseaux. Nous n’adoptons pas cette perspective, dans la mesure où elle ne rend pas compte de la dimension communicationnelle du territoire. La dimension symbolique du territoire n’est pas abordée par Joe Painter, alors qu’elle est primordiale dans l’analyse des processus identitaires. Ceux-ci contribuent à définir un territoire comme un construit politique et culturel, au-delà des interactions sociales et techniques dans un espace géographique.

3.3. Une approche communicationnelle des pôles de compétitivité

Les pôles de compétitivité peuvent être étudiés grâce à la notion de territoire dans une perspective communicationnelle. Isabelle Pailliart (1993) affirme la pertinence heuristique de la notion de territoire à la confluence de plusieurs disciplines. Elle permet de traiter de manière non cloisonnée des sujets, tels que l’histoire des moyens de communication, l’étude des processus identitaires ou des stratégies des acteurs de la communication.