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Le renouvellement des pratiques de vulgarisation scientifique

Conclusion du chapitre

5. Le renouvellement des pratiques de vulgarisation scientifique

Les acteurs de la CSTI interrogés partagent le constat de l’essoufflement du modèle de la vulgarisation scientifique. Dans ce contexte, les projets « arts-sciences » apparaissent comme une tentative de renouvellement des pratiques de médiation scientifique. Jusqu’à présent, nous avons évoqué plusieurs limites de la vulgarisation scientifique. Le médiateur du S[Cube] avance une lassitude des publics de la CSTI et une exclusion des publics « éloignés ». Le directeur de la Rotonde insiste sur la diffusion limitée des sciences dans la société et le peu de vocation suscitée par les carrières scientifiques. Le constat des limites de la vulgarisation et la volonté de renouveler les pratiques sont partagés par la sphère politique. Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche organise des Assises de la culture scientifique en novembre 2001 et dévoile un Plan national pour la diffusion de la CST le 25 février 2004. Ils ont en commun d’affirmer la nécessité de renouveler les façons de transmettre la CST pour élargir son accès au plus grand nombre (Schiele, 2005 : 27-28).

5.1. Les projets « arts-sciences » entre la philosophie de l’Exploratorium, le

modèle culturaliste de la CST et la nouvelle muséologie

Les projets « arts-sciences » font partie d’une stratégie de dépassement de ces limites, argumentée différemment par les acteurs de la CSTI. Le directeur de la Rotonde affirme que la spécialisation disciplinaire favorise la déconnexion entre la science et les réalités sociales, alors qu’il y a des revendications et des interrogations sociales fortes sur la recherche. L’objectif des pratiques « arts-sciences » est de ré-ancrer la science dans la société en introduisant de la « transdisciplinarité » (entretien B7, R6). Pour Arnaud Zohou, les CCSTI

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doivent renverser la « politique de l'offre » en explorant de nouveaux champs, et notamment celui de « l'inclusion en particulier des habitants dans nos activités ». Il s'agit d'écouter les « besoins » des « personnes de la société civile » et de « voir en quoi ce qu'on a pu créer ou ce qu'on crée peut être mis à leur service » (entretien B7, R27). L’inclusion des citoyens repose aussi sur leur participation aux projets de CSTI. La notion de participation est aussi présente dans les discours de la Casemate et du S[Cube]. Les trois institutions mettent en avant des pratiques de médiation culturelle à la croisée de la philosophie de l’Exploratorium (Hein, 1990), du modèle culturaliste de la CST (Caune, 2005) et de la nouvelle muséologie (Caillet, Lehalle, 1995). L’Exploratorium et le modèle culturaliste ont en commun l’idée d’accès à la connaissance à travers l’expérience sensible du visiteur, qui implique l’ensemble des sens et des émotions. L’art par sa dimension esthétique constitue une source de sensations et d’émotions. L’Exploratorium ajoute la notion de « hands-on », qui désigne la participation du visiteur à partir d’une expérimentation suivie d’un investissement cognitif. Plus que l’expression des visiteurs, c’est bien leur participation qui est visée. Le directeur de la Casemate explique le lien entre la notion de « hands-on » et le rapprochement entre arts et sciences, établi par l’Exploratorium.

C’était un musée dans le hands-on donc que des manips. Le pitch du musée, c’est en gros l’expérimentation, enfin l’expérience et la perception. Et donc tout de suite il [Frank

Oppenheimer] a parlé des arts et sciences. Au début c’était un musée des arts et des sciences, l’Exploratorium, beaucoup orienté sur la représentation et les arts visuels. Quand on travaille sur la perception, par exemple observer un phénomène naturel, on va comprendre par la science, mais ça peut être aussi comment des artistes de l’art cinétique par exemple vont brouiller nos perceptions avec les dispositifs qui ont plutôt un objectif artistique qu’un objectif pédagogique ou scientifique. (Entretien B2, R4)

La participation décrite par Laurent Chicoineau correspond à la notion d’interactivité de la nouvelle muséologie. Elle vise la participation du visiteur pour conférer un effet de réel à la simulation de la réalité par l’agencement d’artefacts au sein de l’espace d’exposition. Les artefacts sont entendus comme des objets conçus pour être exposés ou des œuvres arrachées à leur contexte. L’interactivité se distingue des méthodes actives de la pédagogie des années 1980, par la spectacularisation dans laquelle s’inscrit l’activité du visiteur. La notion de participation recouvre également l’idée d’inclusion des habitants exprimée par Arnaud Zohou. Cette démarche est aussi mise en œuvre par la Casemate à travers un living lab dont l’objectif était de produire l’exposition Confidences d’outre-tombe, diffusée au Musée dauphinois. Cette acception de la participation est liée à la redéfinition du statut du public par la nouvelle muséologie. Les publics ne doivent plus être des visiteurs ponctuels mais des usagers réguliers. En conséquence, le musée et son espace social doivent interagir et

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collaborer. Ainsi, Hughes de Varine introduit la notion de participation des habitants à la conception et à la vie des musées comme des expositions (Caillet, Lehalle, 1995 : 174). L’interactivité avec le visiteur et l’intégration des habitants sont des principes structurants par exemple l’exposition XYZT Les paysages abstraits et la résidence de Laurent Mulot. Le modèle de l’Exploratorium ajoute également l’idée de jeu. La dimension ludique des projets « arts-sciences » est particulièrement évoquée par les médiateurs du S[Cube] et de la Rotonde. Le médiateur stéphanois explique qu’une activité artistique au sein d’un atelier ludique peut compléter une exposition didactique. Mais il s’interroge sur le statut « arts-sciences » des pratiques de médiation scientifique mobilisant l’art.

Dans l’expo, là par exemple, il y aura pas mal de trucs que l’on pourrait considérer comme un peu art-science. Par exemple, on va avoir, avec les enfants on imagine un espace dans l’expo pour faire du lightpainting. Donc, il y a tout un passage avant, où on va expliquer un peu la lumière, raconter des histoires sur pourquoi, quelles étaient les envies des scientifiques de l’époque, qui creusaient le sujet, parlaient un peu des curiosités qui les a poussés à aller voir plus loin. Il y aura tout un truc sur le conte autour de la science. Ces hommes et ces femmes qui se cachent derrière les objets des fois surprenants. Ça sera beaucoup d’objets un peu d’époque ou des facsimiles. Ça sera pour le côté un peu didactique. Et le côté purement ludique, où en fait je veux dire que tu es dans l’expression corporelle, tu as une source lumineuse, et tu peins, tu peins avec de la lumière. Donc, est-ce que c’est de l’art-science, je ne sais pas. Ça vient se greffer à un discours on va dire plus traditionnel d’une expo. Et là, c’est un atelier purement ludique. (Entretien D2, R3)

Le médiateur du S[Cube] évoque l’intérêt du jeu dans l’acquisition des connaissances, sans limitations disciplinaires :

Mais c’est parce que tu as un aspect qui est culturel ludique que les gens vont se l’approprier et comprendre plein de choses. Et c’est ce vers quoi on essaye de se tourner. C’est de parler aux gens avec eux, leurs objets, la culture de façon générale. (Entretien D1, R23)

La proximité des discours entre les trois institutions peut s’expliquer par leur collaboration et par le fait que le directeur de la Casemate ait participé à la formation des médiateurs de la Rotonde et du S[Cube], en tant que professeur associé (Past).

L’objectif commun des trois institutions est poursuivi par différents moyens. La Rotonde soutient le théâtre de science, qui permet de « questionner la science grâce à la mise en relation des chercheurs avec les artistes, de revisiter la place qu'elle prend dans nos vies et nos choix de société à travers les arts de la scène »81. Avec Art Science Factory, le S[Cube]

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poursuit l’objectif d’organiser les échanges entre les artistes, les scientifiques et les citoyens, en développant un site internet interactif, en accompagnant des résidences de longue durée et en organisant des manifestations sur le Plateau, dont les Art Science Factory Days. La Casemate a produit l’exposition de Régina Trinidad et la résidence de Laurent Mulot, en s’inspirant explicitement du modèle de l’Exploratorium de San Francisco, où le visiteur accède à la connaissance à travers une expérience sensible, participative et ludique. Dans le cas de Régina Trinidad, la Casemate a simplement exposé les œuvres que l’artiste a réalisées dans un laboratoire de biotechnologie. Pour Laurent Mulot, le CCSTI a initié le projet et mis en relation les participants. L’ESRF a été contacté pour l’accueil en résidence et le Museum pour la diffusion de l’exposition.

5.2. Les spécificités et les limites des projets « arts-sciences »

La directrice du Museum d’histoire naturelle de Grenoble développe des arguments un peu différents. Une œuvre d’art permet d’aborder un thème scientifique d’une manière non pédagogique et de montrer des éléments invisibles ou abstraits. Les Art Science Factory Days poursuivent une démarche similaire, en exposant des œuvres d’art pour figurer le concept d’onde. Dans le cadre d’une commande, l’œuvre est un élément de scénographie, dans l’exposition d’un patrimoine naturel. La production artistique est encadrée par une demande de la directrice. Dans le cas de l’exposition de Laurent Mulot, l’artiste est arrivé avec son projet, à partir duquel il sélectionne et scénographie des pièces de la collection. En termes de CSTI, « arts-sciences » est conçu comme une approche complémentaire, puisque l’artiste établit une relation particulière entre la société et le monde sensible. L’art peut porter sur des enjeux de société, comme les nanotechnologies ou la PMA. Mais la démarche artistique n’est pas suffisante pour accomplir les objectifs scientifiques et démocratiques de la CSTI. En effet, Catherine Gauthier nous a expliqué au sujet des pratiques « arts-sciences » :

Ce n’est pas l'éducation scientifique, du côté population. Ce n'est pas donner aux citoyens la capacité. Ce n’'est pas suffisant pour moi pour donner aux citoyens la capacité d'être éclairés, dans le cadre d'une démocratie éclairée, dans un dialogue science et société. C'est-à-dire, oui on ne veut pas des nanos ou on veut des nanos, la PMA... Toutes ces décisions qui vont après s'imposer à nous. Pouvoir apporter des éléments aux gens, l'artiste peut y contribuer. Il peut faire une installation sur la PMA. Mais il faut quand même aussi expliquer aux gens ce que c'est techniquement. (Entretien B5, R36)

5.3. Une volonté récurrente de renouvellement

Schiele (2005) note la récurrence de la volonté de renouveler les rapports entre la science et la société. A partir de nombreux travaux américains et britanniques, l’auteur montre que les phases d’expansion et de diminution de la couverture médiatique des sciences s’articulent aux

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cycles économiques, où le potentiel d’innovation des sciences et des technologies est intégré dans des ajustements structurels, dans un objectif de sortie de crise par une politique de relance. Schiele explique ce phénomène à partir de l’hypothèse d’une double fonction du discours de la CST. D’une part, il contribuerait à déstabiliser les connaissances, lors d’une étape critique de déconstruction du rapport au savoir. D’autre part, il valoriserait les savoirs émergents, lors d’une étape positive de construction d’un nouveau rapport. Le discours de la CST participerait à la reconfiguration des représentations des sciences dans le cadre d’un changement de rôle des acteurs sociaux. Schiele met en avant une fonction d’anticipation du nouveau rôle, mais nous pouvons ajouter une fonction de légitimation du rôle par des significations sociales (Berger et Luckmann, 1996). Ainsi, l’inauguration du Palais de la Découverte en 1937 est structurée par la représentation des sciences en tant que recherche fondamentale sans contrainte d’innovation ou de rentabilisation. L’ouverture des Science centers dans les années 1970 témoigne d’un glissement de la recherche fondamentale vers l’innovation technologique. La connaissance n’est plus valorisée pour elle-même, mais elle est soumise à la nécessité économique de produire constamment de nouvelles applications. Schiele souligne que les conditions d’exercice de la recherche évoluent vers une pratique collective et interdisciplinaire. L’émergence d’expositions de CSTI « transdisciplinaires » aurait alors une fonction d’anticipation et de légitimation du rôle de scientifique en tant que membre d’une équipe interdisciplinaire réunie autour d’un projet, distinct de la signification sociale du génie engagé dans une quête individuelle. Les pratiques « arts-sciences » seraient également le reflet d’un repositionnement à la fois des activités scientifiques, artistiques et culturelles. Les rôles sociaux et les significations les légitimant seront analysés dans un chapitre spécifique.