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La notion de « ville créative » peut être interprétée comme le signe d’une recomposition territoriale de l’Etat. Dans cette perspective, le territoire est entendu comme un produit de l’action étatique, en réponse à la transformation de l’Etat-nation. Ainsi, le territoire apparaît comme une entité qui émane de processus internes à l’Etat, par lesquels il est décidé que certaines fonctions relèvent de tel échelon, avec son ancrage spatial et ses acteurs (Klein et

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Harrisson, 2007). Cette perspective se distingue d’une seconde approche, où le territoire est défini comme le produit de l’action collective et ainsi comme un cadre institutionnel relativement autonome. La recomposition territoriale correspond au développement de métropoles au centre d’une zone géographique dont l’extension peut varier. La dimension métropolitaine est caractérisée par trois traits. Une métropole est un pôle de décision, de production et de regroupement humain (Samson, 2009). La notion de « ville créative » relève d’une attention portée à la dimension culturelle des métropoles, au sens où celles-ci construisent une image associée à une ambiance (Clark et Sawyer, 2010), liées aux activités professionnelles et à la vie culturelle. En tant que pôle de décision et de production, la métropole régule son territoire et contribue à son développement socio-économique. La recomposition territoriale de l’Etat serait une réponse à plusieurs phénomènes tels que la décentralisation, la construction européenne, la mondialisation et une crise des formes de participations politiques traditionnelles. Il est à noter que la thèse de la recomposition de l’Etat s’oppose à celles de son affaiblissement voire de sa disparition.

Les facteurs nationaux

A partir de 1982, la région obtient le statut de collectivité territoriale décentralisée. Les politiques publiques adoptent un caractère territorial sous l’impulsion de l’Etat. La révélation de l’aggravation des déséquilibres régionaux par le recensement de 1990 participe à un renouvellement des méthodes. Une approche contractuelle est mise en œuvre dans une politique d’animation régionale poursuivant quatre objectifs : conforter les territoires ruraux organisés si possible autour de petites villes, favoriser le rayonnement de quelques grandes agglomérations métropolitaines, développer l’association en réseaux des villes moyennes et insérer les territoires français dans l’espace européen en repensant les systèmes de communication (Samson, 2009). Cette politique s’inscrit dans une évolution du rôle de l’Etat avec le passage d’un modèle keynésien à un modèle schumpétérien. Ainsi, il implique désormais les acteurs sociaux dans des procédures de coordination-concertation et il re-territorialise les rapports socio-économiques, plutôt que de gérer le socio-économique de manière centralisée par la demande.

Juan-Luis Klein et Denis Harrisson (2007) soutiennent que le mouvement de réorganisation spatiale et institutionnelle de l’Etat serait aussi sous-tendu par une dimension politique et stratégique, et notamment par des stratégies de légitimation. L’Etat serait aussi affecté par une crise des structures et des formes de participation politiques traditionnelles. La territorialisation des politiques publiques serait alors une réponse à la montée en puissance du local (Jaillet, 2009). Elle serait une tentative de l’Etat de se rapprocher du local, pour faire entendre sa voix parmi la multiplicité de celles des collectivités. Selon Isabelle Pailliart (1993),

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la montée en puissance du local serait la manifestation de l’évolution de l’idée de nation comme imposition de normes à celle d’élaboration de règles communes. Marie-Christine Jaillet (2009 : 117-118) décrit le même phénomène : « C’est ainsi que l’on passe de politiques reposant sur l’administration et l’application d’une norme intangible à des politiques dont le contenu doit s’adapter au contexte local et privilégier, par le contrat, la négociation avec les acteurs des territoires ». Bruno Raoul (2013) évoque une revendication pour davantage de participation sur les questions culturelles, sociales et politiques, opposée aux procédures technocratiques et planificatrices de l’Etat. Le local est conçu comme un nouveau lieu du politique et un contre-pouvoir. Il est envisagé comme un fédérateur de luttes sociales, remettant en question l’action des partis politiques de la classe ouvrière. La recomposition de l’Etat et la redéfinition de la nation constituent les enjeux du « retour au local ». Ainsi, la notion de « local » renvoie « d’une part à un rapport vécu à un lieu précis, délimité, géographique, et, d’autre part, à un groupe social porteur d’une certaine conception du politique considérant l’échelle de la proximité spatiale comme étant structurante pour l’action. » (Raoul, 2013 : 83). Les facteurs européens et internationaux

La recomposition territoriale est également favorisée par la construction européenne. Dès les années 1990, Isabelle Pailliart (1993) souligne que les réflexions sur l’Europe comme « Etat-continent » participent à la dissociation des notions d’Etat et de nation. Dans une perspective heuristique, la chercheuse propose d’adopter les territoires comme entrée dans l’analyse des rapports entre l’Etat et la nation. Plus récemment, un modèle de gouvernance culturelle territoriale s’impose à travers l’Europe, par l’intermédiaire de règles institutionnelles et de procédures de coopération intergouvernementale (G. Saez, 2012 : 43). Ce modèle de « nouvelle action publique » est caractérisé par une action publique partenariale, transversale et territoriale. Sur un plan fonctionnel, le travail partenarial s’organise en réseau sur un territoire, de manière coordonnée pour plus de transversalité. La « nouvelle action publique » contribue ainsi à la montée en puissance des métropoles et des territoires.

La mondialisation est un facteur de recomposition territoriale de l’Etat. A partir de 2002, la politique d’aménagement du territoire s’oriente vers la création des conditions de la compétitivité au niveau international. Le développement des territoires s’organise autour de projets fondés sur la coopération de l’ensemble des acteurs locaux. Le rôle moteur des grandes villes est valorisé dans l’ouverture internationale et européenne des régions (Samson, 2009). L’émergence du modèle de la « nouvelle action publique » participe à/de la remise en cause de l’Etat par la mondialisation. Son développement s’inscrit dans une tension entre le global et le local, avec la notion d’ « interterritorialité ». Celle-ci désigne la conscience que la ville doit construire les modalités de sa participation à la mondialisation sans être dépendante

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de la médiation de l’Etat. Elle qualifie aussi l’idée que les territoires locaux sont liés entre eux par une dialectique entre la solidarité et la compétition. Cela se traduit par le développement de réseaux de villes au niveau international, théorisé notamment par la thèse de la « ville-monde » (Knox et Taylor, 1995 ; Taylor, 2004). Le réseau des villes créatives relève de ce phénomène. La recomposition territoriale s’accompagne d’un second repositionnement de l’Etat avec le développement de coopération internationale. L’Etat ne serait plus en mesure de contrôler seul la régulation économique et sociale dans le cadre d’échanges mondialisés. Les firmes multinationales et les marchés financiers réduisent les capacités d’action des Etats, qui mènent de plus en plus leurs politiques économiques au niveau supranational. La recomposition de l’Etat a pour conséquence une complexification de la superposition des niveaux d’action publique. Dans ce sens, Guy Saez (2012) évoque un continuum des politiques publiques dans un espace commun d’action.