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La constitution et la mobilisation des réseaux d’acteurs

Conclusion du chapitre

6. La constitution et la mobilisation des réseaux d’acteurs

Une stratégie des acteurs des projets « arts-sciences » est la formation et la mobilisation de réseaux. Nous pouvons distinguer les réseaux formels et informels, ainsi que les réseaux institutionnels et individuels.

6.1. La Tras

Dans le premier chapitre, nous avons vu que l’Hexagone est à l’initiative d’un projet de réseau, qui s’inscrit dans sa stratégie de labellisation de Centre national arts-sciences par le ministère de la Culture. La stratégie de l’Hexagone est de formaliser un réseau d’institutions développant des projets arts-sciences. Plusieurs acteurs de notre terrain sont membres de ce réseau formel et institutionnel. Parmi eux, un acteur a été étudié directement et les autres ont été cités en entretien. Il s’agit du Collectif pour la culture en Essonne, mais aussi d’AADN et du théâtre Athénor. La chargée de mission de Diagonale Paris-Saclay nous a parlé de ce

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réseau en entretien, mais sa structure n’y participe pas finalement. Dans le champ artistique, la Transversale des réseaux arts sciences (Tras) réunit neuf théâtres, quatre associations dédiées à une discipline artistique (arts numériques, théâtre de marionnettes et arts visuels), deux centres nationaux de création musicale, le Centre national des arts de la rue et un établissement culturel interdisciplinaire. Dans le champ scientifique, deux acteurs sont présents : l’Institut de recherche et d’innovation de Paris et le festival Facts de l’Université de Bordeaux. Une association transversale est aussi membre, la Passerelle arts sciences technologies.

Après plusieurs mois d’échanges, la Tras a été officiellement lancée le 11 juillet 2016, à l’Institut supérieur des techniques du spectacle d’Avignon. Plusieurs réunions de travail sont prévues entre octobre 2016 et juin 2017. La Transversale des Réseaux Arts Sciences est un accord de contribution volontaire. Elle est pilotée par une instance de coordination, constituée par les membres fondateurs et des membres cooptés par les membres fondateurs. Elle est portée par l’ensemble de ses membres et l’Hexagone a une fonction d’accompagnement en tant que futur Centre national arts sciences. L’objectif principal de la Tras est de soutenir le développement de projets entre arts et sciences. Ce but est divisé en quatre axes. La Tras doit favoriser « la chaîne de mise en œuvre des activités entre arts et sciences » pour chacun de ses membres (Charte : 31). Cette chaîne inclut les activités de « recherche, création / production, diffusion et action culturelle », auxquelles s’ajoutent celles de « transfert vers d’autres secteurs d’activités, la communication et l’édition, la valorisation dans les champs respectifs, les différents niveaux de formation associés et la patrimonialisation » (Charte : 31). Ensuite, la Tras doit faire reconnaitre cette chaîne au sein des politiques publiques et dans les différents organismes concernés. Elle doit aussi développer les recherches et les échanges de méthodes entre ses membres, ainsi que « la transversalité sur les territoires, la transdisciplinarité dans les champs de recherche et l’intermédialité dans la production d’œuvres et de projets » (Charte : 33). Enfin, la Tras appuie l’organisation des ressources, la collecte des données issues de l’activité entre arts et sciences. Ces objectifs sont déclinés en sept types d’action : structurer une veille, constituer un espace de ressource, favoriser la réalisation de projets communs, catégoriser la relation entre arts et sciences, valoriser les projets « arts-sciences », rechercher des financements, œuvrer à la reconnaissance des activités « arts-sciences » par les politiques publiques.

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6.2. L’Amcsti

Les acteurs de la CSTI ont adopté une stratégie voisine, quand l’Amcsti s’est saisi de la question « arts et sciences ». Il s’agit cette fois de mobiliser un réseau formel et institutionnel préexistant, auquel s’ajoutent des individus concernés par la thématique « arts-sciences », à travers l’organisation du 31e congrès de l’Amcsti « Médiations [Arts et Sciences] en juillet 2013. Cet événement peut être analysé comme un lieu neutre participant à la production d’une idéologie au sein d’un réseau d’institutions. Cette notion est définie par Bourdieu et Boltanski (2008) pour rendre compte du rôle de la science politique dans la reproduction de la classe dominante au sein de lieux neutres comme l’Institut d’études politiques. Le congrès serait un lieu neutre dans le processus de reproduction du groupe des acteurs de la CSTI, dont l’activité risquerait d’être concurrencée par des alliances entre les institutions scientifiques et les institutions artistiques. Un lieu neutre favorise la production-circulation d’une idéologie, au sens d’un système de catégories de perception, de pensée et d’action. Or, le congrès est composé de séances plénières exposant des schèmes de pensée et d’ateliers diffusant des schèmes d’actions. Bourdieu et Boltanski ne distinguent pas la production et la circulation, dans la mesure où le champ de production est le lieu d’une circulation circulaire, qui induit un effet d’auto-confirmation et d’auto-renforcement, et ainsi une illusion d’évidence immédiate. Le champ de production-circulation est composé d’un réseau d’institutions unies par des liaisons personnelles et institutionnelles. Notre objectif est justement de présenter les liaisons institutionnelles à l’œuvre dans le phénomène « arts-sciences ». Nous abordons davantage les liaisons personnelles dans les sous-sections consacrées au fonctionnement en réseau du monde de l’art. Un lieu neutre produit un effet d’objectivité, qui résulte de la structure éclectique du groupe qu’il rassemble. Le congrès de l’Amcsti remplit également ce critère de définition. Parmi les intervenants figurent des scientifiques en sciences humains et sociales (SHS), des artistes et des personnels des institutions muséales. Les chercheurs interviennent en tant que scientifiques dont l’objet de recherche est les pratiques « arts-sciences », et non en tant que praticiens. Nous pouvons citer Jean-Marc Lévy-Leblond et Marie-Christine Bordeaux, qui ont ouvert le congrès. Jean-Paul Fourmentraux est intervenu dans l’atelier polémique aux côtés de Jean-Marc Lévy-Leblond, pour discuter de la pertinence du duo art-science. Eric Villagordo a participé à l’atelier problématique, dont l’objectif était de questionner les finalités, les enjeux et le statut des projets associant arts et sciences. En tant que grand témoin, Allain Glykos a livré sa réflexion sur la thématique arts et sciences, à partir d’une synthèse des ateliers. Les artistes appartiennent à différentes disciplines, tels que Antoine Wellens pour le théâtre ou Martina Kramer pour les arts plastiques. Auteur en résidence au S[Cube], François Bon a participé à l’atelier pratique, dont l’objectif est d’interroger l’œuvre d’art à caractère scientifique comme objet de médiation. Des acteurs de la CSTI sont aussi présents, comme la directrice

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du parc zoologique d’Amiens et la conservatrice du Musée Gassendi de Digne-les-Bains, qui est intervenue dans le même atelier que François Bon. Nous avons assisté à cet atelier en présence notamment du médiateur de la Rotonde et du scénographe de la Casemate. L’atelier s’est déroulé en trois parties. Dans un premier temps, les participants se sont présentés et ont établi une « cartographie » de l’art, la science et la médiation en listant les besoins, les objets de travail, les activités et leurs implications. Dans un deuxième temps, trois intervenants ont exposé leur projet « arts-sciences ». Le troisième temps était consacré à la discussion. Les participants ont essentiellement échangé autour de leurs questionnements et leurs difficultés.

6.3. La Mètis

Il est à noter que les acteurs de la CSTI observés ont tenté de mettre en œuvre une stratégie identique à la Tras, en formant une alliance La Mètis, le Laboratoire des Arts Mêlés Etonnamment aux Technologies, à l’Industrie et aux Sciences. Les objectifs du projet suivent plusieurs injonctions politiques et logiques sociales. « Changer les habitudes de travail et les mentalités » renvoie aux discours sociaux et politiques sur la nécessité de renouveler les pratiques de médiation scientifique. A cette fin, l’alliance propose d’organiser des résidences de médiateurs, portées par la Casemate. L’injonction au territoire est appropriée avec l’axe « Territoires comme éco-systèmes égalité des chances ». La participation des publics est présente, avec « Immersion des médiateurs, inclusion des habitants ». L’expression « arts-sciences » n’est pas employée au profit de la notion de « transdisciplinarité ». Le CCSTI de Saint-Etienne a mis en avant ses activités liées au design et aurait dû assurer la coordination et la communication. Le S[Cube] présente ses résidences entre artistes, scientifiques, citoyens et médiateurs. Ses liens avec la Diagonale Paris-Saclay sont précisés. Sa fonction aurait été d’harmoniser les rendus des méthodologies. La directrice du S[Cube] nous a précisé en entretien que la participation de l’association au projet avait pour objectif de financer un lieu de création et de diffusion. Le Planétarium de Vaulx-en-Velin évoque ses résidences « Arts / Sciences / Publics » et un rôle de « valorisation des dispositifs territoriaux » dans l’alliance. Deux établissements en voie de création font aussi partie du projet. Les Grands Moulins de Villancourt participent au projet en lien avec la Casemate, en proposant une expérimentation participative et un observatoire. Ils devaient coordonner l’évaluation du projet en lien avec le Gresec et l’Estim Médiation. Le dernier partenaire est le créalab C[AST] du pôle culturel en devenir de Gardanne, situé sur le site de l’ancien puits Yvon-Morandat. Il est présenté en tant que démonstrateur pour les entreprises et il devait gérer le site internet du projet La Mètis.

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6.4. Les réseaux informels

Il existe également des liens plus ou moins formels entre les différentes institutions étudiées. Le S[Cube] et le Collectif pour la culture en Essonne sont membres du comité de pilotage de la Diagonale Paris-Saclay. Des projets sont également montés en commun : la résidence des N+1 partagée entre la Rotonde et l’Atelier Arts-Sciences ; la diffusion de l’exposition d’EZ3kiel par la Casemate issue de la résidence portée par l’Atelier Arts-Sciences ; la participation du S[Cube] à la biennale organisée par le Collectif pour la culture en Essonne. Un réseau encore moins formel est celui composé par la circulation des artistes et des œuvres. Ainsi, un artiste diffusé par le S[Cube] a été repéré au salon Expérimenta organisé par l’Atelier Arts-Sciences et la Casemate. Ce type de lien est le seul qui unit le Cnes à un acteur étudié, en dehors de l’appartenance à l’Amcsti. Ainsi, Anaïs Tondeur a été à la fois résidente au Cnes et diffusée lors de la biennale La Science de l’Art. L’artiste plasticienne collabore également avec Jean-Marc Chomaz. Le recrutement des artistes et des scientifiques se fonde aussi en partie sur les réseaux informels tissés entre le champ artistique, scientifique et muséal. Nous développerons ce point dans les sous-sections consacrées au fonctionnement en réseau du monde de l’art, avec les notions de réputation et de chaîne de coopérations.