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L’influence par la spectacularisation des technologies

Conclusion du chapitre

2. L’influence par la spectacularisation des technologies

Les institutions scientifiques sont confrontées au modèle des relations publiques généralisées, au même titre que les autres organismes publics comme privés. Les organisations doivent s’assurer une présence médiatique pour défendre leurs intérêts. Les institutions scientifiques interviennent de différentes manières dans la communication scientifique : « mise à disposition de personnel, production d’informations, situation de commanditaire ou de partenaire d’opérations publiques » (Fayard, 1988 : 52). A partir des années 1980, les manifestations scientifiques ne se limitent plus aux colloques destinés aux chercheurs voire aux acteurs politiques chargés de la recherche, mais des événements pour le grand public sont organisés. Cette décennie est marquée par le développement des techniques de communication au sein des services de relations publiques émergeant dans les grandes institutions de recherche. Une course à la visibilité se met en place entre les grands centres de recherche.

2.1. Une démarche stratégique

Les laboratoires doivent participer à des programmes de recherche nationaux ou internationaux, pour obtenir des financements afin d’assurer leur fonctionnement. Dans cette logique, la communication permet de créer une image de marque auprès des décideurs politiques ou plus largement des électeurs. S’assurer d’une présence au sein des représentations sociales permet d’obtenir un capital de confiance et de légitimité. Celui-ci pourra être mobilisé pour moduler les baisses de budget voire pour dissuader un gouvernement. Les centres de recherche développent ainsi une stratégie d’influence sur les pouvoirs publics via l’ « opinion publique ». Le transfert technologique représente une seconde source de financement pour les institutions scientifiques. La communication cible ici les acteurs industriels. La stratégie de l’influence consiste ici à diffuser une image valorisée pour obtenir des financements publics et privés. Fayard (1988) met en avant d’autres objectifs des campagnes de communication scientifique. Il peut s’agir de se prémunir contre les perturbations socio-économiques dérivant des applications ou de limiter le risque d’attaque sur les domaines controversés. Ainsi, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) communique sur des sujets perçus positivement comme le cancer, pour éviter les manifestations contre la vivisection, comme en avril 2015 à l’occasion de la Journée Mondiale des animaux dans les laboratoires. Fayard (1988 : 62) montre que pour l’Inserm « les recherches sur la santé et les origines de la vie représentent une excellente thématique à fort taux d’écoute spontanée, donc un levier efficace à la création d’une image de marque positive ».

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2.2. Les rapports entre la communication et la vulgarisation scientifique

La démarche stratégique se distingue des pratiques de vulgarisation par les personnels impliqués. Alors que la promotion institutionnelle est assurée par des professionnels de la communication, la vulgarisation scientifique demeure portée par les chercheurs. La stratégie de l’influence conditionne aussi les rapports avec les acteurs de la CSTI. Dans une action de vulgarisation comme de culture scientifique, les laboratoires sont des lieux du savoir et les médiateurs œuvrent au partage des connaissances ou à leur mise en culture. Dans les actions de communication, les laboratoires sont des partenaires voire des commanditaires. L’activité des médiateurs s’inscrit alors dans une logique de promotion institutionnelle. L’opposition entre une logique de partage du savoir et une logique de promotion institutionnelle soulignée par Fayard (1988) dans les institutions scientifiques est également observée par Caune (2005) dans les institutions de CSTI. Les deux auteurs établissent un rapport entre les logiques de fonctionnement et la nature des contenus diffusés. Il est à noter que les deux logiques ne sont pas contradictoires. A partir de l’analyse du 20e anniversaire de l’Inserm, Fayard soutient que la vulgarisation scientifique est un vecteur d’influence publique. L’Inserm s’est créé en capital de légitimité en coproduisant l’exposition « A la recherche de votre santé » avec le Musée des Sciences, Techniques et Industries de la Villette. La stratégie de l’influence trouve un terrain privilégié dans la CSTI pour capitaliser des opinions favorables. Ainsi, les centres de recherche utilisent la CSTI pour « s’imposer en tant qu’acteurs institutionnels et médiatiques de la vie sociale » (Fayard, 1988 : 98). Le chercheur souligne le risque d’hétéronomie du champ de la CSTI, qui pourrait devenir « une véritable annexe des sciences » (Fayard, 1988 : 98). Plusieurs éléments laissent entrevoir une emprise du champ scientifique sur le champ de la CSTI. Une tension similaire entre promotion institutionnelle et partage des savoirs peut indiquer une forme d’hétéronomie. La présence des membres d’institutions scientifiques dans les instances de direction des associations de CSTI est un deuxième facteur d’hétéronomie. Ainsi, le directeur des open lab du CEA est un administrateur de la Casemate. Plusieurs institutions scientifiques ont contribué à fonder le S[Cube] et elles font partie du CA avec un pouvoir décisionnel. Quant à la Rotonde, elle dépend de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne. Un troisième facteur d’hétéronomie est la dépendance des institutions de CSTI aux contenus et aux chercheurs des institutions scientifiques.

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2.3. L’usage stratégique des projets « arts-sciences »

Les pratiques « arts-sciences » s’inscrivent dans une stratégie d’influence des pouvoirs publics et des citoyens. Elle consiste à célébrer les technologies dans un objectif de gestion des opinions. La célébration consiste à exposer les prouesses des sciences et des technologies, en faisant appel aux émotions du spectateur. L’objectif est de faire rêver à travers des réalisations tangibles. Cela est perceptible par le champ lexical employé pour décrire les activités de l’Atelier Arts-Sciences. Les termes « merveilleux », « imaginaire », « rêve » et leurs dérivés sont utilisés de manière récurrente dans les supports de communication. Les productions jouent sur les lumières et les sons pour provoquer l’émerveillement. Il ne s’agit pas de démontrer des contenus scientifiques, selon une approche rationnelle. Les spectacles présentent l’aboutissement du processus de recherche et développement, sans montrer la démarche scientifique hasardeuse faite d’essais-erreurs. Ils jouent sur les sentiments ambivalents de fascination et de crainte face au pouvoir de la technologie, à l’instar de Virus//Antivirus. Seule la phase d’application des technologies aux domaines artistiques est exposée dans les Cahiers de l’Atelier Arts-Science. Les présupposés et les enjeux du développement ne sont pas débattus. Les connaissances théoriques à l’origine de la technologie ne font pas l’objet d’une médiation scientifique. Elles sont faiblement explicitées, mises en perspective et contextualisées. La visée des spectacles et des cahiers n’est pas de provoquer une appropriation des connaissances, mais de susciter l’adhésion aux activités du CEA à travers l’admiration de ses résultats spectaculaires. Cette stratégie de persuasion relève en partie de la gestion d’opinions, au sens où elle tente de susciter des attitudes favorables, en masquant la nature partisane des productions. Cependant, elle ne partage pas le déguisement de la gestion d’opinion en information objective, dans la mesure où l’Atelier Arts-Sciences ne se revendique pas comme un acteur de la culture scientifique. Mais l’intégration des technologies dans le propos artistique contribue à les naturaliser et donc à les soustraire à une mise en débat. Le recours aux dispositifs techniques ou à l’expertise du CEA témoigne d’une reconnaissance du milieu artistique, même s’il ne s’agit pas d’une démarche promotionnelle pour les artistes. Le soutien aux pratiques « arts-sciences » permet au CEA de bâtir un capital de confiance et d’améliorer sa notoriété. La collaboration avec l’Hexagone est d’autant plus efficace que les activités « arts-sciences » n’auraient pas lieu sans sa participation, dans un contexte de baisse des subventions. Le maintien de l’Hexagone en tant que scène nationale et son évolution en Centre national arts-sciences peuvent également être imputés au CEA. Cette stratégie d’amélioration de la notoriété par la démonstration d’une vocation sociale est similaire aux stratégies du mécénat d’entreprise des années 1990 décrites notamment par Miège (1996).

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