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Les mutations organisationnelles : médiateur culturel, scénographe et commissaire

Conclusion du chapitre

3. Les mutations organisationnelles : médiateur culturel, scénographe et commissaire

Dans les années 1980, l’institutionnalisation de la mission d’éducation des publics et des expositions temporaires va impliquer des changements organisationnels, à travers la création de nouveaux services et métiers (Ballé, 2003 ; Caillet, Lehalle, 1995 ; Jacobi, 2012 ; Le Marec, 2007). Les services culturels ou services des publics seront chargés d’enrichir l’offre et d’attirer d’autres catégories de public. L’accueil des visiteurs, la création et l’encadrement des activités proposées par ces services seront assumés par de nouveaux spécialistes : les médiateurs, les animateurs, ou encore les personnels d’accueil. La vocation publique des institutions culturelles et la nécessité de promouvoir les expositions temporaires vont accroître l’importance des relations publiques et des relations presses, se traduisant par la création de services de communication (Ballé, 2003 : 23). L’exposition temporaire va impliquer la création d’un corps de spécialistes maîtrisant les techniques expographiques, comme les scénographes. L’essor des expositions « arts-sciences » est tributaire de ce mouvement d’institutionnalisation, puisque trois professions conditionnent la création d’exposition entre arts et sciences, à savoir les scénographes, les commissaires et les médiateurs culturels.

3.1. Le scénographe

Le métier de scénographe est favorable au développement des expositions « arts-sciences », au sens où la scénographie des œuvres d’art et celle des installations de médiation scientifique répondent aux mêmes principes de mise en espace et en lumière. Cependant, des tensions peuvent exister entre le scénographe de CSTI et l’artiste, dans le cas d’une exposition monographique. Ces désaccords ont deux sources, à savoir l’attribution des prérogatives d’auteur et les habitudes scénographiques. D’une part, l’exposition peut être conçue comme une installation par l’artiste, qui souhaite garder le privilège de la création artistique. La mise en scène des différentes pièces est donc revendiquée par l’artiste, alors qu’elle est habituellement prise en charge par le scénographe dans l’institution d’accueil. D’autre part, le décor doit servir les œuvres en s’effaçant le plus possible dans les expositions d’art contemporain. Le dispositif d’exposition typique est le « cube blanc », dont la neutralité est parfois critiquée par les artistes. A l’inverse, dans les expositions scientifiques, la scénographie est utilisée pour montrer et faire comprendre une connaissance. Elle peut aboutir à des environnements fortement stylisés, à l’opposé du « cube blanc ». Une solution est alors la

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partition de l’espace d’exposition entre l’installation artistique composée de plusieurs objets et le dispositif de médiation scientifique.

Dans les expositions thématiques consacrées à plusieurs artistes, ces tensions ne sont pas présentes, lorsque l’équipe de l’institution de CSTI assume un rôle de commissariat. La fonction du commissaire d’exposition telle qu’elle existe aujourd’hui est construite à la croisée de deux évolutions. La nouvelle muséographie est caractérisée par une construction thématique, qui contribue à modifier le rôle du conservateur. En tant que concepteur d’exposition, il devient lui aussi un médiateur proche de l’artiste réalisant une installation. Il devient un metteur en scène des points de vue et des connaissances. L’évolution de cette profession est aussi liée au développement des expositions temporaires dans les années 1980. Auparavant, l’organisation de l’exposition permanente était presque toujours réalisée anonymement par le conservateur du musée. Son rôle se limitait à la sélection des œuvres, à la direction de l’accrochage et à la rédaction du catalogue. Avec l’essor des expositions temporaires, les commissaires d’exposition tendent à acquérir le statut d’auteur. Les thèmes d’exposition relèvent de problématiques plus personnelles et ils signent l’exposition comme le catalogue. Ils sont alors soumis au même régime de singularité que les artistes (Heinich, 2001). La thématisation peut être de trois types selon la logique suivie par le concepteur : « l’une est interdisciplinaire et insiste sur l’articulation des points de vue disciplinaires entre eux ; la seconde est globale et montre en un même lieu phénomènes, démarches, expérimentations, modèles, connaissances, réflexions critiques ; la dernière est expressive en ce qu’elle exprime le point de vue du concepteur » (Caillet, Lehalle, 1995 : 126). Les expositions « transdisciplinaires » semblent relever de la thématisation interdisciplinaire, au sens où elles articulent différentes disciplines sur un même point de vue. Les expositions « arts-sciences » suivent plutôt une logique expressive, puisque qu’elles expriment le point de vue de l’auteur sur un thème. Les conflits sur le statut d’auteur évoqués précédemment peuvent s’expliquer par cette visée expressive.

3.2. Le commissaire d’exposition

Dans le cas des Art Science Factory Days, le chargé de projet et médiateur était aussi le commissaire d’exposition. Il a sélectionné les œuvres autour du thème des ondes et il a rédigé leurs notices et le panneau d’introduction de l’exposition. Il a réalisé la scénographie sans réticences de la part des artistes. Contrairement à une exposition temporaire artistique, le médiateur du S[Cube] n’a pas signé l’exposition. Pour La Chambre d’échos, le commissaire d’exposition Abdelkader Damani a signé une forme d’essai introductif, imprimé sur un dépliant jaune à deux volets et distribué dans l’espace d’exposition. Il est intéressant de remarquer la dissymétrie des relations entre d’une part l’artiste et le scénographe de CSTI, d’autre part

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plusieurs artistes et un commissaire d’exposition de CSTI. Un premier facteur d’explication peut être le nombre d’artistes. Dans le cas d’une exposition collective, il n’y a pas d’ambiguïté sur l’extension de l’installation artistique. Elle se limite à une pièce intégrée dans l’exposition globale. Un deuxième facteur peut être que le rôle de commissaire d’exposition artistique comprend l’accrochage des œuvres. Enfin, nous pouvons formuler l’hypothèse que le statut professionnel du commissaire définit le cadre social dans lequel se déploie l’exposition. Ce cadre oriente la perception de la situation, ainsi que les comportements adoptés. Les cadres fixent donc la représentation de la réalité et influencent les interactions sociales (Goffman, 1991). Le cas de la Chambre d’écho laisse penser que le statut du commissaire est plus déterminant que le statut de l’institution. Il serait intéressant de prolonger la recherche par une étude comparative qui croise les variables « commissaire d’exposition artistique ou scientifique » et « institution artistique ou scientifique ». Villagordo (2012) montre la pertinence d’une approche des résidences « arts-sciences » à partir de la notion de cadre social. Le sociologue analyse sa résidence avec un artiste comme une situation où deux cadres primaires coexistent sans s’interpénétrer. Les échanges entre les cadres sont interprétés à partir du concept de modalisation. Chez Goffman (1991), la modalisation désigne le processus de transformation d’un cadre primaire. Un cadre transformé qualifie alors une situation qui acquière une signification différente, malgré sa ressemblance à la situation du cadre primaire. Par exemple, la répétition d’un orchestre peut être analysée comme le cadre transformé d’un concert au moyen d’une modalisation.

3.3. Le médiateur culturel

La fonction et la formation des médiateurs culturels participe également à l’émergence des projets « arts-sciences ». Ce métier existe aussi bien dans les centres de culture scientifique que dans les centres d’art contemporain. La formation de ces professionnels, spécialisés en communication, leur permet de travailler sur des objets artistiques comme scientifiques. Cependant, l’absence de spécialisation dans une discipline artistique est vécue comme un manque de légitimité par les médiateurs scientifiques, compensé par un travail de documentation et la sollicitation de personnes-ressources. Les médiateurs culturels sont ici à distinguer des guides conférenciers ou des artistes plasticiens assumant des fonctions de médiation. La formation des médiateurs culturels favorise le développement des expositions « arts-sciences », en permettant des échanges entre la sphère professionnelle et la sphère universitaire. La porosité entre les champs culturel et scientifique existe dès l’émergence de la muséologie. Durant les années 1980, les établissements créés ou rénovés sont à la fois des objets d’études et des partenaires de la recherche en sciences humaines et sociales (Le

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Marec, 2007 : 16). Au début des années 1990, la première formation79 et le premier programme de recherche80 en muséologie sont créés, dans le champ des sciences et des techniques. Les universités accompagnent l’évolution du champ muséal par la formation des personnels. A l’inverse, le musée en tant que terrain va influencer les recherches dans plusieurs disciplines, telles que la philosophie, l’histoire de l’art, les sciences de l’éducation ou encore les sciences de l’information et de la communication. Caillet et Lehalle (1995) identifient quatre domaines de recherches sur le musée, qui ont en commun d’être d’abord théoriques puis appliquées. Elles peuvent concernées les contenus, les démarches, les publics et les métiers de la médiation. Les expositions « arts-sciences » analysées sont caractérisées par ce type de dynamiques. En effet, les centres de culture scientifique de Saint-Etienne et de Saclay ont recruté des médiateurs, issus de la même formation universitaire, le master Communication scientifique et technique de l’université Grenoble-Alpes. La partie professionnalisante de l’enseignement a porté sur des projets « arts-sciences » en partenariat avec l’Hexagone. Les médiateurs ont ainsi contribué à transférer des pratiques professionnelles entre les acteurs culturels par l’intermédiaire de l’université. Leur formation théorique véhicule une vision culturaliste et participative de la vulgarisation scientifique. Cette vision se fonde sur une définition pragmatique de la culture, caractéristique du champ de recherche de la médiation culturelle. L’approche pragmatique a pour conséquence de réduire les œuvres d’art et les productions scientifiques à des objets culturels, d’où une conception culturaliste et globale. Ainsi, Caillet et Lehalle (1995) interrogent l’identité des arts et des sciences sous l’angle de la médiation, avant de conclure que l’opération première du médiateur est de rendre présente la culture pour une communauté, qui questionnera ensuite le sens des discours artistiques comme scientifiques. L’université a donc contribué à l’émergence des expositions « arts-sciences, en transférant des connaissances et des pratiques vers et entre les acteurs culturels. Dans le même temps, ces expositions deviennent des objets de recherches, participant alors à l’évolution des connaissances scientifiques et à la formation de la génération suivante de professionnels. En outre, Joëlle Le Marec (2007 : 17) montre, dans le cas de la muséologie, qu’ « il y a une évolution conjointe des objets et questions de recherche et du contexte d’exercice de la recherche elle-même, dans la mesure où les secteurs de la recherche, de l’éducation et de la culture sont affectés par les cadres idéologiques et politiques d’une promotion de l’ ʺéconomie de la connaissanceʺ et de la

79 Une formation universitaire sur l’initiative du Conservatoire national des arts et métiers, du Museum national d’histoire naturelle et de l’Université Claude Bernard.

80 Recherches du la muséologie des sciences (REMUS) piloté par Y.-L. Le Coadic, conduit par la Direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche

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ʺsociété de l’informationʺ ». Dans le cas des projets « arts-sciences », nous avons montré l’influence d’une recomposition de l’action publique, mais liée ici à l’ « économie créative ».