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Malgré des effets d’annonce, le dernier cadre statistique publié en 2009 n’inclut pas les « industries créatives ». Pour Philippe Bouquillion (2012), cela montre que l’Unesco a une position variable et équivoque sur la question des « industries créatives ». L’organisation internationale aurait soutenu la notion d’ « industries créatives », avant de se soucier de sa concurrence relative à celle de diversité culturelle. Le cadre statistique ajoute la distinction entre les domaines culturels, périphériques et transversaux, à une définition anthropologique de la culture, adoptée au Sommet mondial sur les politiques culturelles de Mexico en 1982. Il

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ne dissout pas la culture et les industries culturelles dans un ensemble plus vaste, contrairement aux promoteurs des « industries créatives ». Ces dernières sont évoquées seulement sur des points ponctuels et elles semblent englobées par le thème de la diversité culturelle avec l’adoption des déclarations et conventions sur la diversité culturelle. Les effets économiques du dynamisme culturel prêtés habituellement aux industries créatives sont attribués à la diversité culturelle. Les seules domaines « créatifs » ajoutés au cadre de 2009 sont le design et la publicité, mais leur dimension créative est critiquée.

Avec la notion de diversité culturelle et la définition anthropologique de la culture, l’Unesco bénéficie des avantages attribués aux industries créatives sans remettre en question la convention de 2005 sur la diversité culturelle. Parmi ces avantages, Philippe Bouquillion (2012a : 19) note « la promotion d’une vision entrepreneuriale de la culture et l’articulation des dimensions économiques, culturelles et sociales ». Les discours sur « les industries et l’économie créative » se situent alors dans la continuité des politiques sur la « diversité culturelle ». Philippe Bouquillion liste un ensemble d’éléments associés actuellement aux propositions sur les « industries et l’économie créatives », qui étaient présents dans les attendus de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée en 2005. Il s’agit de « la vision de la culture comme constituant à la fois une valeur universelle et comme devant être respectueuse des particularismes identitaires locaux : la cohabitation, peu pensée d’ailleurs, entre les dimensions culturelle et économique de la culture ; l’impact de la culture sur la cohésion sociale et territoriale ; la construction personnelle des individus ; la promotion des DPI et l’imprécision sur les notions de la culture » (Bouquillion, 2012 : 19). Si la diversité culturelle comporte des enjeux parfois opposés aux « valeurs » promues par les discours sur « les industries et l’économie créatives », il n’en demeure pas moins que ces discours ressaisissent ces thématiques antérieures.

1.2.4. Les notions d’ « économie et d’industries créatives » dans les discours de l’UE

Dans un premier temps, la Commission européenne adhère partiellement aux discours sur les industries créatives, en adoptant des définitions maintenant une distinction entre les industries culturelles, les industries créatives et l’économie créative. En 2000, le cadre européen pour les statistiques culturelles ignore la thématique des industries créatives, en excluant ses domaines hormis l’architecture. En outre, à la différence des définitions britanniques du Mapping Document, la dimension marchande ne constitue pas un critère de classification, puisque les secteurs évalués ne se réduisent pas aux industries culturelles et au marché de l’art. En 2010, les auteurs du Livre vert « Libérer le potentiel des industries culturelles et créatives » plaident pour l’élargissement du cadre statistique, par l’adoption de la notion d’ « industries culturelles et créatives ». En 2011, bien que le domaine des industries

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créatives ait été jugé trop vaste pour produire des statistiques harmonisées sur le plan européen, l’artisanat et la publicité sont inclus dans les domaines culturels du cadre (Bouquillion, 2012a : 20-22).

Les « industries créatives », l’ « économie créative » et l’agenda de Lisbonne

Selon Bouquillion (2012a : 12), l’Union européenne va porter politiquement les thèmes des industries et de l’économie créatives avec l’objectif de relancer l’ « agenda de Lisbonne » de 2000. Celui-ci correspond à une politique de dynamisation des investissements publics et privés dans la recherche liée aux Tic. Sa stratégie consiste à réformer le champ de la recherche et développement pour renforcer l’innovation et ainsi faire de l’UE l’ « économie de la connaissance » la plus compétitive. La croissance ainsi engendrée favoriserait la création d’emplois et la cohésion sociale. Il est à noter que l’ « économie de la connaissance » est une notion institutionnalisée par l’Union européenne à travers la stratégie de Lisbonne et l’objectif de développement des industries créatives. L’Europe doit ainsi transformer son « économie de production » en « économie de la connaissance ». L’expression « économie de la production » désigne l’économie du XIXe siècle, conditionnée par les marchés des matières premières et du travail en amont de la production, et par le marché des biens et service en aval. L’ « économie de la connaissance » affirme que le marché déterminant serait celui de l’innovation avec son réservoir de savoir, appelé « capital humain ». Cette idée présuppose que l’innovation soit le moteur actuel de la croissance économique. Dans cette perspective, la concentration spatiale permettrait de mieux gérer le « capital humain », en se situant à proximité des lieux d’éducation, de formation, de recherche et de développement, et donc de stimuler l’innovation. L’attention au rôle de la concentration spatiale dans l’innovation et la compétitivité a mené à l’élaboration collective d’un cadre conceptuel autour d’une « économie territoriale » (Courlet, 2008). Cela a conduit certains auteurs à affirmer que le cluster, en tant que modèle d’organisation en grappe fondé sur un ancrage territorial, est nécessaire au développement de l’ « économie de la connaissance » (Foray, 2001, cité par Le Corf, 2012 : 101). Les Tic associés à la concentration permettraient aux entreprises d’être au cœur des réseaux d’information (Barthet, Thoin, 2009 : 11). Pour l’UE, l’innovation désigne « un processus qui conjugue les connaissances et la technologie avec l’exploitation de débouchés commerciaux pour des produits, des services et des procédés industriels nouveaux ou améliorés par rapport à ceux déjà disponibles sur le marché et qui présentent un certain risque » (Barthet, Thoin, 2009 : 9). L’innovation ne se limite pas à la R&D concentrée dans certains secteurs, mais elle inclut les entreprises de tous les secteurs où elle concerne les modes d’organisation ou le marketing. L’extension de la notion d’innovation hors du domaine technologique est commune avec la Cnuced. Dans le rapport de 2010, les auteurs utilisent la

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notion de soft innovations de Paul Stoneman, pour désigner une innovation centrée sur les processus et les produits. Philippe Bouquillion (2012b : 249) cite l’extrait suivant :

According to Paul Stonemas, soft innovation reflects changes of an aesthetic nature and product differentiation, such as new books films, plays and video games in markets that exhibit regular novelty. Such innovations can also encompass a new line of clothing, the design of furniture or a new advertising campaign. (Cnuced, 2010 : 20)

La nouveauté de la stratégie réside dans l’introduction des notions de culture, créativité et industries créatives. Pour Sylvie Daviet et Frédéric Leriche (2015 : 35), l’Europe affiche clairement son intention d’éclairer les impacts directs et indirects du secteur culturel. A cette occasion, elle souligne le rôle de la culture dans l’importance du secteur touristique, dans le développement local et durable, ainsi que dans l’intégration sociale et territoriale. En 2001 lors du Conseil européen de Göteborg, le champ d’application de la stratégie de Lisbonne a été élargi à la réalisation d’un modèle de développement durable fondé sur la compétitivité, l’emploi/inclusion sociale et l’environnement/prévention des risques. Suite à un bilan mitigé en 2005, le Conseil européen relance la stratégie en la recentrant sur ses objectifs initiaux la croissance, l’emploi et la cohésion sociale, au moyen de l’innovation.