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4. RECITS NARRATIFS DES ENTRETIENS

4.5 RECIT NARRATIF DE L’ENTRETIEN AVEC GERALDINE

Géraldine a trente-quatre ans. Elle enseigne depuis dix ans. Elle est titulaire d'une classe de 4P. Elle est mariée et mère de deux enfants. Lors de sa première année d'enseignement elle était mariée et n'avait pas encore d'enfant.

Elle habite dans la commune dans laquelle elle enseigne. Nous l'avons connue lors d'un stage effectué dans sa classe. L'entretien s'est déroulé dans sa classe.

Voici le récit d’une enseignante confirmée dans sa profession. Profession à laquelle Géraldine a amené ses pensées, ses réactions, ses avis et a fait part de

son expérience aussi. En effet, après une dizaine d’années d’enseignement, cette enseignante a vu ses convictions et ses opinions sur la profession évoluer.

Au commencement de cet entretien, nous nous sommes, comme dans les autres entretiens, penchés sur la notion d’identité. Notion, qui touche de près le métier d’enseignant et pour laquelle, différents aspects s’y attachent. Nous avons alors débuté l’entretien par la question suivante : "A ton avis, qu'est ce que c'est la notion d'identité"? Question à laquelle Géraldine a répondu en insistant sur le lien serré entre l’identité personnelle et l’identité professionnelle : "Oui, je pense que l'identité personnelle fait qu'on choisit une profession… Dans le sens que c'est parce que j'aime le contact avec les gens que je vais choisir un métier avec du contact avec les gens". Toutefois, Géraldine a relevé le fait que l’identité pouvait se comporter de manières différentes dans le privé que dans le professionnel.

Dans son cas, elle tâche, selon elle, à ne pas faire intervenir ses soucis d’ordre privé dans la vie de l’école. Elle nous a déclarés qu'en effet, lorsqu'elle enseignait elle était embarquée dans la classe et ne pensait plus à sa vie personnelle : "Mais c'est-à-dire que à partir du moment où les élèves sont là, je n'y arrive pas… C'est-à-dire, je mets ma casquette d'enseignante et… Ils me demandent d'être comme ça… Je leur demande dès qu'ils traversent la porte donc je me dois d'être comme ça, c'est une question éthique hein". Elle a cependant avoué sentir ses problèmes la retraverser lors de la récréation car elle n’avait plus le "flow". C’est alors que Géraldine a souligné que l’inverse n’était pas aussi simple. En effet, il lui est arrivé de repenser à ses soucis liés à sa profession dans son temps privé : "Je n'arrive pas à partir le vendredi seize heure… J'aimerais… Partir le vendredi, fermer ma classe et me dire fini terminé…Mais ça c'est peut-être dû à mon caractère… C'est-à-dire que bah si j'ai un souci et que je m'inquiète pour un élève ou que bah… Ouais il y a quelque chose qui ne joue pas dans la classe, je ne vais pas réussir à ne pas y penser".

Dès lors, selon ses dires, les identités personnelles et professionnelles se construiraient ensemble. En effet, elle nous a expliqué que vis-à-vis de ses expériences, des distances entre ces deux identités s'étaient créées mais qu’elles continuaient à se co-construire.

Puis, Géraldine nous a fait part de sa propre expérience et de comment elle-même a su évoluer dans sa construction de son identité. Elle a alors parlé de la construction constante de son identité face aux expériences qu’elle vivait : "Au tout début… Ouais j'ai pris vraiment ça à cœur quoi… D'ailleurs j'adore ce que je

fais et en plus on a affaire à des enfants… Voilà j'ai tout pris… Heu avec le temps, et avec des déceptions à se rendre compte qu'on a des limites hein, bah je me suis construite… Je continue à me construire, ce que je trouve sain, et surtout j'apprends à mettre de la distance… Ouais… Chose que je ne faisais pas au début. Donc là oui je pense que ça se construit".

Pour poursuivre l’entretien, nous lui avons ensuite demandé si elle pensait que sa vie personnelle devait être connue de l’institution. A ce sujet, elle nous a répondu : "Ma vie privée c'est ma vie privée". Géraldine a en effet considéré qu’il n’était pas nécessaire de rentrer dans les détails lorsqu’elle invoquait sa vie privée. Toutefois, elle a observé qu’il pouvait être bon que l’institution connaisse certains aspects. L’enseignante a dès lors précisé ce qui pour elle lui paraissait possible de partager. Elle a alors évoqué un décès familial ou une dure épreuve qui nécessiterait un soutien de la part du directeur, son institution directe. Notre interlocutrice pense alors que si une confiance se crée entre les deux parties, il est bon que le directeur connaisse un minimum de sa vie privée sans pour autant que cela soit intrusif. Là encore elle est revenue sur le fait qu’elle ne pourrait pas dire que sa vie privée n’influence pas sa vie professionnelle et inversement.

Géraldine nous a ensuite fait part de son inquiétude quand à la question d’afficher ses choix de vie librement : "Je crois qu'il y a quand même une gêne…

Parce qu’on représente une certaine profession et on a une certaine éthique et je crois que c'est pour ça qu'il faut qu'il y ait une certaine distance avec le directeur…". En effet, elle nous a indiqué que pour que ce dernier puisse prendre les bonnes décisions et être juste avec tout le monde, il fallait qu’il sache garder un écart et qu’il ne s’implique pas trop dans les vies privées. Dès lors, si cela n’influence pas son travail elle préfère qu’il ne connaisse pas tout de sa vie personnelle.

En ce qui concerne ses rapports avec ses collègues, l’enseignante a affirmé être libre de partager ou non des aspects de sa vie privée avec certains collègues et pas d’autres. Elle nous a expliqué alors que c’était une question d’affinités avec ceux-ci : "Je me dois de collaborer avec tous le monde… Mais je ne me dois pas de partager mes états d'âme avec tout le monde… Alors ça pour moi c'est clair…

Je me dois d'être professionnelle avec chacun d'entre eux, en revanche je me sens libre de partager plus avec certains qu'avec d'autres". Puis, elle nous a précisé que lorsqu’elle décidait de se confier à certains de ses collègues, là

encore elle n'allait pas tout dire à tous. Géraldine nous a alors parlé de l’une de ses collègues qui était sa meilleure amie et avec qui elle allait se confier sur tout.

Cependant, elle n’a pas eu l’impression d’être déloyale envers les autres car justement c’était d’ordre personnel. Elle a toutefois avoué avoir de meilleures collaborations avec les collègues avec qui elle avait de meilleures affinités :

"Forcément, je pense que ça influence… Disons je collabore plus facilement avec des gens avec qui j'ai plus d'affinités…". Ceci dit, elle nous a déclaré que bien que la personne ne lui correspondait pas du point de vue personnel, elle pouvait cependant lui apporter énormément du point de vue professionnel.

Nous avons continué l’entretien en lui demandant si certains parents d’élèves connaissaient des aspects de sa vie personnelle. Géraldine a alors répondu qu’elle ne pensait pas au niveau d’aspects très personnels, mais qu’elle se sentait libre et que certainement des parents devaient savoir des choses, tel que le fait qu’elle avait des enfants, mais cela ne la gênait pas. Enseignant dans une petite commune, elle a même affirmé avoir noué des liens avec certains parents qu’elle pouvait alors retrouver hors du cadre scolaire : "Certains bah je les retrouverai en dehors… Mes enfants étant dans l'école où j'enseigne bah certains parents je les retrouverai aux anniversaires… Evidemment qu’avec certains je vais créer des liens…". Géraldine a également évoqué certains parents qui allaient se montrer curieux de manière malsaine. L’enseignante a précisé qu’elle se devait alors d’être professionnelle et ainsi éviter des sujets.

Elle a d'ailleurs souligné qu’il s’agissait de facettes négatives du fait d’habiter dans la commune où l’on enseigne. L’enseignante nous a expliqué ainsi ne pas vouloir se sentir en conflit de loyauté vis-à-vis de ces parents trop curieux mais qu’elle se devait d’être en tout premier loyale envers ses collègues et l’institution.

Dès lors, elle allait essayer de détourner leurs questions sous formes de plaisanteries ou de jouer l’ironie. Géraldine a précisé devoir leur faire comprendre que ce n’était pas qu’elle ne voulait pas, mais qu’elle ne pouvait pas parler de certaines choses. Elle a avoué avoir ainsi appris à faire attention à ce qu’elle disait.

Nous lui avons ensuite demandé si elle parlait de sa vie personnelle à ses élèves. En ce qui concerne ses élèves, c’est la même attitude qu’elle a adopté :

"Je dirais non… Enfin oui s'ils me demandent si j'ai des enfants je dis j'ai deux enfants heu… Mais voilà je ne vais pas… Heu… Non je vais justement essayer de garder cette distance, je suis leur maîtresse… Heu… Voilà…". En effet, étant

leur maîtresse, elle pense devoir garder une distance où ses élèves peuvent savoir ce que tout le monde sait, mais pour le reste qu’elle estime plus personnel, elle ne se retient pas de leur répondre : "Que ça ne les regarde pas…

Ah ouais ! Alors ça ne me gène pas ! Y en a hein des élèves très curieux… J'ai déjà eu hein… Ouais je leur dis ça ne te regarde pas… Que ça ne les regarde pas".

A l’inverse, l’enseignante nous a fait part d’un cas où ses propres enfants étaient venus lui parler d’élèves de l’école. En effet, ses enfants étant dans l’école où elle enseigne, elle a admis avoir été confrontée à des soucis avec sa fille qui était venue lui parler d’un élève de l’école. Elle avait alors réagi en mettant en avant les deux rôles qu’elle endossait : celui de mère et celui d’enseignante. Elle nous a dès lors expliqué avoir agis en tant que mère face aux problèmes de sa fille en allant parler à l’enseignante de l’élève en question. Elle a alors avoué parfois devoir agir en tant que mère et parfois en tant qu’enseignante, ce qui ne lui rendait pas la tâche facile. Géraldine a également admis avoir parfois eu l’occasion de parler de choses personnelles avec certains de ses élèves venant eux-mêmes lui faire part de leurs soucis propres. Elle a donc avoué, pour témoigner de la confiance, et en retour de choses qu’on venait lui confier, livrer à l’élève des choses personnelles : "Oui je pense que oui… Je pense aux 6P qui sont suffisamment grands, qui peuvent comprendre et qui ont parfois besoin de voir que les adultes ne sont pas forcément si différents, qu'on a vécu des choses semblables…". Cependant, ce ne sera pas des facettes de sa vie personnelle qui la mettront mal à l’aise si l'élève le sait, mais uniquement des choses de sa personne nous a-t-elle dit : "Non, ça ne vas pas me perturber, parce que je sais que si j'ai pu le dire à l'enfant, je sais que c'est quelque chose que je peux dire…

Même s'il vient à le dire à ses parents…".

Pour poursuivre l’entretien, nous avons alors demandé à cette enseignante, si sa vision des choses avait changé par rapport au début de sa carrière. Géraldine nous a alors répondu qu’au départ elle ne voyait pas les choses comme cela. En effet, elle considérait qu’elle avait son travail d’un côté et sa vie de femme de l’autre et que c’était deux choses bien séparées. L'interviewée nous a alors raconté qu’au fil de sa première année, son rôle d’enseignante avait pris une énorme place et était venu occulter son rôle de femme : "Parce que bah à l'école j'avais tellement de chose à faire et puis j'avais tellement envie de bien faire que… Et puis on se rend compte que c'est un métier où on n'a jamais fini, on

peut toujours faire plus… Et ça justement j'ai appris… Au bout de ma première année je me suis dit : "ce n'est pas possible de continuer comme ça"… Mon mari me disait : "heu ça va pas jouer comme ça"! (rires)". Au terme de cette année, elle avait alors appris à mettre des barrières et pense avoir évolué depuis.

A la question : "Penses-tu que dans une grande école de ville les choses auraient été différentes"?, l'enseignante a répondu qu’elle pensait que cela aurait effectivement été plus facile dans une grande école : "Bah je dirais que dans une grande école on trouvera bien de toute façon des affinités avec quelqu'un, je veux dire… Je pense au contraire que c'est plus difficile dans une petite école…

On est plus vite cloisonné si on ne s'entend avec personne…".

Géraldine a alors conclu notre entretien en mettant en évidence le fait que les identités personnelles et professionnelles n'allaient pas l’une sans l’autre. En effet, elle pense qu’elles se construisent et s’influencent parmi. Elle a d'ailleurs pu le constater avec ses collègues. Elle nous a rappelé que si la vie personnelle n'aillait pas bien, il était rare que la vie professionnelle aille bien aussi. Elle croit alors que ces identités s’influencent sans savoir laquelle prend le dessus sur l’autre. Elle espère d’ailleurs qu’aucune des deux ne prenne le dessus sur l’autre.

L’enseignante voit cela comme une construction en nous rappelant que l’on n’est pas si différent dans la vie personnelle que dans la vie professionnelle :

"Autrement cela voudrait dire qu’on porte des masques…". Géraldine a terminé son discours par ceci : "Je crois que oui on apprend tous les jours et on grandit tous les jours".

5. ANALYSE

5.1 LIEN ENTRE L'IDENTITE PERSONNELLE ET L'IDENTITE