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2.4.1 LA DOMINATION DE L’HETEROSEXISME

"Nous arrivons dans un monde équipé dans lequel des valeurs sont affirmées et des rôles prédéfinis. L’activité sociale de nos prédécesseurs a balisé les possibles, construit les normes, et des objets sont là pour appareiller solidement les définitions du bien et du mal, du normal et du pathologique, dans tous les domaines que nous traversons" (Schurmans, 2005, 35).

Parler d’homosexualité revient inévitablement à parler de différence. Un sujet vaste qui nous pousse à s’intéresser à plusieurs thématiques telles que la stigmatisation, la déviance et l’identité face à une norme. Dans nos sociétés occidentales, la distinction du sujet "normal" par rapport à celui qu’il considère comme différent s’opère à travers une norme. Dayer (2005) reprend l’idée de Dubois (1994) en soulignant qu’une norme est issue d’un collectif, qu’elle ne provient pas du fonctionnement naturel de l’organisme mais est socialement acquise. "Elle correspond à une attribution de valeur et cette valeur normative renvoie à des utilités sociales plutôt qu’à un critère de vérité" (Dayer, 2005, 51).

D’autre part, Bourhis & Gagnon (1994) mettent en évidence que la formation d’un collectif est, quant à lui, issu d’un processus de catégorisation par lequel un individu définit deux groupes bien distincts à savoir d’une part, "l’endogroupe", constitué d’individus que la personne a catégorisés comme membres de son propre groupe d’appartenance et à qui elle tend à s’identifier et d’autre part

"l’exogroupe", un groupe d’individus que la personne définit comme autre que le sien. Chaque personne effectue donc des classifications en s’identifiant à ses groupes de référence et en se positionnant par rapport à autrui au sein de relations d’appartenance et de distanciation. La théorie de l’identité sociale de Tajfel et Turner (1986) citée par Dayer (2005) précise à ce sujet que ce processus psychologique de catégorisation provoque des préjugés et déclenche le phénomène de discriminations intergroupes. En effet, motivées par le besoin d’acquérir une identité sociale positive, les personnes effectueraient de la

discrimination en faveur de leur "endogroupe" dans le but de se distinguer de manière avantageuse des "exogroupes". Dès lors, il est possible de définir la discrimination comme "toute action négative dirigée contre un membre d’un

"exogroupe" résultant d’un préjugé à l’égard du groupe dont il fait partie" (Bourhis

& Gagnon, 1994, 33). La discrimination des personnes hétérosexuelles envers les personnes homosexuelles existe bel et bien comme phénomène social et porte un nom : l’homophobie.

De nombreux sociologues s’accordent aujourd’hui pour dire que les rapports sociaux de sexe traversent l’ensemble de nos sociétés et les hommes comme les femmes en sont touchés. Ceci étant, Dayer (2005) cite Welzer-Lang (1998) qui définit l’homophobie comme : "La discrimination envers les personnes qui montrent, ou à qui l’on prête, certaines qualités (ou défauts) attribué(e)s à l’autre genre. L’homophobie bétonne donc les frontières de genre" (Welzer-Lang, 1998, cité par Dayer, 2005, 54). Ce dernier démontre également que la domination masculine organise les hommes et les femmes de notre société en groupes hiérarchisés, offre des privilèges aux hommes au détriment des femmes et produit de l’homophobie face aux hommes qui, pour une raison quelconque, ne reproduisent pas cette division, ceci afin que ces derniers s’insèrent dans les rouages des schèmes "normaux" de la virilité. L’hétérosexisme apparaît alors comme : "La discrimination et l’oppression basées sur une distinction faite à propos de l’orientation sexuelle. L’hétérosexisme est la promotion incessante, par les institutions et / ou les individus, de la supériorité de l’hétérosexualité et de la subordination simultanée de l’homosexualité. L’hétérosexisme prend comme acquis que tout le monde est hétérosexuel, sauf avis contraire" (Welzer-Lang, 1998, cité par Dayer, 2005, 56). De son côté, Bourdieu (1998) estime que les personnes homosexuelles sont victimes d’une domination symbolique qui s’inscrit dans une logique d’honneur et de honte et qui se concrétise par un déni d’existence publique : "L’oppression comme invisibilisation se traduit par le refus de l’existence légitime, c’est-à-dire connue et reconnue, notamment par le droit, et par une stigmatisation qui n’apparaît jamais aussi clairement que lorsque le mouvement revendique la visibilité. On le rappelle alors explicitement à la discrétion ou à la dissimulation qu’il est ordinairement obligé de s’imposer"

(Bourdieu, 1998, 70). Il convient également d’ajouter que certaines études ont réussi à démontrer qu’hommes et femmes ne semblent pas être sur le même pied d’égalité en matière d’homophobie. Dans son ouvrage, Dayer (2005) a sélectionné le travail de Le Talec (1998) qui met en évidence le fait que : "les

femmes sont opprimées en tant que femmes avant de l’être en tant qu’homosexuelles ; les hommes sont réprimés en tant qu’homosexuels, jamais en tant qu’hommes" (Le Talec, 1998, 67). Contrairement aux gays, les lesbiennes seraient alors victimes d’une double discrimination de la part de la société hétérosexiste. Eribon (1999) précise encore que de manière plus générale, il s’agit de l’application de "la domination de du principe masculin sur le principe féminin et donc, de l’homme hétérosexuel (c’est-à-dire l’homme !) sur l’homme homosexuel (qui n’est pas considéré comme un homme) dans la mesure où l’homosexualité est rangée dans l’inconscient de nos sociétés du côté féminin" (Eribon, 1999, 57).

2.4.2 LE COMING OUT

Dans son jeune âge, la personne homosexuelle n’a pas la possibilité de se rendre compte qu’elle s’éloigne ou s’éloignera de la norme hétérosexuelle. Par ailleurs, c’est au travers d’un processus identitaire solitaire que celle-ci prendra conscience de sa différence. "Dès lors, elle se trouve confrontée à une appartenance qu’elle estime n’avoir pas choisie, qui de prime abord lui pèse"

(Fortin, 2000, cité par Dayer, 2005, 72). Une fois la découverte de sa différence faite, la personne homosexuelle va se retrouver devant un choix important : choisir entre le placard ou le coming out.

Le placard est un terme familier qui désigne le fait pour un homosexuel de se cacher et de mentir aux autres sur son identité sexuelle et affective dans le but de la préserver du regard extérieur ainsi que de se prévenir contre les insultes, la dévalorisation et le rejet. Le sujet se doit donc de porter le masque de l’hétérosexuel. Cette attitude revient à tenir enfermé dans le secret une bonne partie de sa propre identité. Dayer (2005) cite Goffman (1973) qui définit les personnes vivant dans le placard comme des "individus discréditables", autrement dit des personnes qui possèdent un stigmate sans que les autres en aient connaissance. Ces personnes sont alors amenées à manipuler l’information les concernant afin de ne pas devenir des individus "discrédités". Ils mettent au point diverses stratégies pour ne rien laisser transparaître. Eribon (1999) note que cette nécessité du mensonge aux autres (même à ses proches) permet le développement de répertoires de comportements utilisés en fonction des différents publics engagés dans la situation. Se distinguent alors des espaces

primaires (grande visibilité sociale comme l’entreprise, le quartier) et des espaces secondaires (faible visibilité sociale comme un club privé et sentiment d’anonymat comme le centre-ville) qui façonnent les comportements que l’individu se doit d’adopter. Le même auteur, qui considère cette expérience comme une véritable "caractéristique d’un parcours homosexuel" parle de véritable "ghetto psychologique" car, même si le placard offre au sujet une certaine sécurité de par le fait de se prémunir de toute discrimination, cette dernière reste illusoire. En effet, les tensions issues de cette double vie provoquent à leurs tours de terribles souffrances psychiques. "L’armure protège de l’hostilité extérieure mais pas au dépérissement intérieur, la double vie meurtrit l’âme et le corps. Dans le placard, l’air commence à manquer" (Eribon, 1999, 16).

Le coming out (en français : la sortie du placard) constitue pour le sujet homosexuel une action par laquelle il va révéler à une ou plusieurs personnes la vérité sur son identité sexuelle. Cet acte représente bien souvent l’aboutissement d’un long processus psychologique parsemé de complexes calculs de coût humain, d’hésitations, de tentatives et d’abandons au dernier moment. Goffman (1973) cité par Dayer (2005) définit le coming out comme le passage pour un individu du camp des "discréditables" à celui des "discrédités". Le stigmate caché devient alors socialement visible et expose ainsi, le sujet aux moqueries, insultes et autres formes de rejet. Le conflit intra-individuel devient dès lors inter-individuel. Eribon (1999) considère le coming out comme une épreuve initiatique à travers laquelle s’effectue le passage d’un soi abandonné vers un soi endossé, autrement dit, assumé. C’est un acte qui configure le processus identitaire et l’acceptation de soi : "(…) de la blessure à la carapace, l’identité se fortifie"

(Dayer, 2005, 42). Eribon (1999) interprète cette expérience comme une sortie de la honte de soi-même et une véritable proclamation de sa propre fierté. Il ajoute que le coming out peut durer des mois comme des années et peut être opéré dans certaines sphères (familiale, professionnelle, amicale, sportive, etc.) et pas dans d’autres. En outre, cet acte peut prendre des formes différentes : utiliser la parole plus ou moins explicite, laisser traîner un indice, présenter son partenaire etc. Le coming out ne représente cependant pas une expérience unique dans la vie d’une personne homosexuelle. C’est en effet un acte qui reste sans cesse à renouveler tout au long de la vie de par l’incessante réactivation de la question de le dire ou non. Cette caractéristique de la vie homosexuelle pousse d’ailleurs Bersani (1998) à la considérer comme un combat perpétuel :

"Etre homosexuel est, de toutes les façons et avant toute autre chose, un parcours de combat : combat de soi avec soi pour lever l’inhibition de se dire et s’accepter ; combat de soi en soi pour inventer l’équilibre toujours fragile de cette acceptation ; combat avec les autres lorsqu’il s’agit d’affronter leur regard ; combat de tous les jours dans l’encerclement de l’homophobie" (Bersani, 1998, 57).

3. METHODOLOGIE

3.1 LA DEMARCHE

Le contexte dans lequel s’est effectuée notre recherche était le suivant : période contemporaine auprès d’enseignants issus des écoles primaires publiques genevoises.

Dans le cadre de notre recherche, nous avons opté pour une démarche clinique, c’est-à-dire une méthode exploratoire par le biais d’entretiens semi-directifs auprès de cinq enseignants de l’école primaire publique genevoise. Par ce choix, nous avons véritablement souhaité mener notre réflexion à partir de ce que nos interlocuteurs disaient et faisaient et plus particulièrement de ce qu’ils faisaient en disant et de ce qu’ils disaient en faisant. Cette méthode inductive d’interprétation de données langagières a eu comme principal objectif de comprendre la façon dont les sujets construisent leurs définitions d’eux-mêmes et des autres mais également leur conception du monde (et donc de leur identité). Selon Dubar (2000), "partir du terrain signifie avant tout, se mettre à l’écoute des gens, mettre entre parenthèses ses propres croyances, convictions ou autres "théories" et tenter de recueillir des paroles signifiantes, des constructions de sens" (Dubar, 2000, 12). Cette citation constitue exactement la ligne de conduite que nous avons suivie pour ce travail de recherche.