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4. RECITS NARRATIFS DES ENTRETIENS

5.1 LIEN ENTRE L'IDENTITE PERSONNELLE ET L'IDENTITE PROFESSIONNELLE

5.2.2 L’INTIMITE EN RELATION AVEC LES COLLEGUES

Comme dans de nombreuses professions, les enseignants que nous avons interviewés se retrouvent confrontés sur leur lieu de travail à d’autres personnes qui exercent la même profession qu’eux-mêmes. Ce sont des collègues de travail. Que les enseignants le veuillent ou non, leurs collègues constituent des personnes importantes dans leur vie professionnelle, puisqu’elles les côtoient de manière très régulière et partagent beaucoup de temps ensemble, notamment pendant les pauses ainsi que pendant les temps de travail en commun. C’est donc pour cette raison que nous nous y sommes intéressés.

Stéphane : "Il faut dire tout d'abord que je me sens très à l’aise dans cette équipe et qu’on est une équipe très chouette, ce sont des gens qui sont vraiment très super…".

Aude : "Bon, c'est vrai que nous on a la chance dans cette école de vraiment tous bien s'entendre …".

Ces exemples tirés de nos récits narratifs démontrent que l’ensemble des enseignants interviewés entretiennent des relations cordiales avec leurs collègues. Ils semblent se sentir à l’aise et apprécier ces relations privilégiées. Il s’agit d’ailleurs pour De Gaulejac (2002), d’un phénomène bien connu des identités professionnelles qui tendent à rassembler tous ceux qui exercent le même métier et qui servent de "soubassement à la reconnaissance sociale".

L’auteur parle même d’un véritable besoin identitaire d’appartenir à une communauté et d’être reconnu comme membre particulier de sa communauté d’appartenance. Pourtant, comme dans la majorité des groupes sociaux, ils ont des affinités plus ou moins marquées selon les personnes. En se basant sur les dires des interviewés, certains de ces collègues deviennent même des amis pour lesquels, le lieu géographique de leurs rencontres / activités dépasse bien souvent le cadre strict de l’école. Il arrive même que deux collègues dépassent le stade de l’amitié pour parvenir à une relation sentimentale.

Stéphane : "Tu as toujours certains collègues avec lesquelles tu tisses plus de liens qu’avec d’autres et du coup, la barrière collègue / ami devient beaucoup plus floue".

Aude : "Il y a des collègues avec qui je vais sortir le soir manger…".

Martine, au sujet de sa relation amoureuse : "Ben oui parce que là le sujet était quand même assez chaud tu vois, on était deux collègues heu… Voilà quoi".

Sabrina : "C'est une question d'affinités… En plus c'est vrai que j'ai assez de facilité à parler avec n'importe qui… Que ce soit un homme, une femme… C'est une question de qui mange avec moi à midi… (rires)".

Géraldine : "Bah disons que j'ai ma meilleure amie ici".

Au vue des extraits qui vont suivre, il est dans notre bon droit de penser que ces relations sont sincères et librement consenties par les intervenants. On peut donc exclure toute forme d’hypocrisie, de relation subie ou d’acte commis contre leur gré.

Stéphane : "Hmm… Moi, je dirais que cela s’est fait de manière très naturelle. Il n’y a pas eu de pression euh…. Je sais pas…".

Géraldine : "Ah ouais. Alors je me sens complètement libre ! Je me dois de collaborer avec tous le monde… Mais je ne me dois pas de partager mes états d'âme avec tout le monde… Alors ça pour moi c'est clair… Je me dois d'être professionnelle avec chacun d'entre eux, en revanche je me sens libre de partager plus avec certains qu'avec d'autres".

Ces relations amicales entre collègues permettent aux enseignants d’exprimer régulièrement de nombreux éléments tirés de leur intimité. Il s’agit d’ailleurs d’une relation à double sens : le collègue est alors perçu par l’interviewé comme tantôt confident et tantôt comme celui qui se confie. Le fait de se confier est d’ailleurs parfois ressenti par certains comme un réel besoin. C'est d'ailleurs ce qu'appelle Tisseron (2001), l'"extimité".

Aude précise : "Ca m'est déjà arrivé de me confier ou de recevoir des confidences de certains de mes collègues…" et de rajouter : "Mais par contre parfois c'est un besoin".

Géraldine, concernant sa collègue qui représente sa meilleure amie : "(…) donc avec elle je vais parler de tout, et avec les autres non".

La confiance, garantie indispensable à toutes ces confidences et qui caractérise leurs relations, ne s’est pourtant pas faite en un seul jour. Ce sont bien souvent au terme d’une longue collaboration, que les personnes ont appris à se connaître les unes les autres et à se faire confiance mutuellement.

Stéphane, au sujet de son coming out : "Bon cela ne s’est pas su tout de suite, euh… Je dirais après une année ou quelque chose comme cela".

Aude : "… Et puis des gens à qui tu auras envie de te confier, ou des gens avec qui tu travailles depuis longtemps et que tu sais que tu peux avoir entière confiance…".

Il existe cependant des disparités entre les enseignants interviewés au sujet de la notion d’intimité. En effet, chacun semble avoir sa propre définition de l’intimité et ils ne sont donc pas tous prêts à avouer les mêmes éléments tirés de leur vie intime à leurs collègues. Car, même si "les notions de limite et de barrière sont des notions nécessaires à la construction de la conscience de soi" (Lipiansky, 1990, 41), ces dernières sont propres à chacun. Il s’agit ici de la frontière que chaque personne met entre son identité privée et son identité sociale.

A notre question : "Et alors y a-t-il certaines facettes de ta vie personnelle que tu ne te vois pas aborder avec tes collègues "?, Aude nous a répondu : "Oui quand même il y a des choses… (rires)".

Martine, concernant son homosexualité : "Mes collègues sont aujourd’hui tous au courant de cette facette de ma personnalité donc voilà".

Sabrina : "Je n'ai pas tellement de domaines que je pourrais cacher… A part peut-être de ma vie sexuelle (rires)… Mais à part cela… Même la dernière fois j'ai eu un problème avec mon copain ça m'a pas dérangé d'en parler avec des collègues…".

Avoir des collègues avec lesquelles on entretient des relations très amicales et envers qui on peut se confier librement ne signifie pas pour autant qu’il n’existe aucun trouble ou malaise. C’est notamment le cas de Martine, qui a avoué son homosexualité à l’ensemble de ses collègues et qui avoue, lorsque le sujet de l’homosexualité est abordé en salle des maîtres : "C’est un peu gênant pour moi parce que tu sens que dans l’esprit de certains, pas de tous, c’est encore quelque chose de mal alors c’est un peu gênant et je me sens un peu mal à l’aise mais cela fait partie du truc". Cette enseignante semble donc avoir des difficultés à assumer une composante majeure de son identité sexuelle qui est dès lors devenue une identité sociale auprès de ses collègues. Dès lors, "la gêne des uns contribue au rejet des autres et au silence de tous" (De Gaulejac, 1996, 33). Il en va de même pour la jeune enseignante Sabrina : "Et là ouais je vais devoir m'affirmer et dire attend on est là en tant que collègues et ouais… Me

positionner soit en tant que collègue soit en tant que maîtresse de son enfant, mais ça va pas être facile…". Cette dernière peine en réalité à trouver un véritable équilibre entre deux statuts (celui d’enseignante et celui de collègue), deux éléments qui font désormais partie intégrante de son identité sociale. Enfin, une seule enseignante, en l’occurrence Géraldine, avoue ouvertement penser qu’il existe un lien extrêmement fort entre l’identité sociale et l’identité privée : "Je dirais forcément parce que à partir du moment où on se confie à quelqu'un le rapport change (…) forcément. Je pense que ça influence… Disons je collabore plus facilement avec des gens avec qui j'ai plus d'affinités…".

En résumé, il nous est possible de conclure que les relations entre collègues qui débouchent sur une amitié de plus ou moins grande intensité, constituent le meilleur terrain d’expression de l’intimité au sein du monde professionnel. En effet, ces dernières offrent une confiance ainsi qu’une confidentialité qui sont toutes deux indispensables aux confidences d’éléments issus de l’intimité d’une personne. Cependant, il convient de noter que l’élément "temps" représente une variable primordiale à l’établissement de ces conditions nécessaires à la libre expression de l’intimité et qu’il ne paraît que peu probable que de telles confidences soient envisageables entre collègues à très court terme.